Tribunal judiciaire de Marseille Désignée en Qualité de, le 18 juin 2025, n°24/00039
Le droit de l’expropriation pour cause d’utilité publique illustre la tension permanente entre l’intérêt général et la protection de la propriété privée. La fixation judiciaire des indemnités constitue le moment où cette tension trouve sa résolution concrète.
Le juge de l’expropriation de Marseille, par un jugement du 18 juin 2025, était saisi d’un litige opposant l’Établissement public foncier Provence-Alpes-Côte d’Azur à une société civile immobilière propriétaire de trois lots au sein d’un immeuble déclaré insalubre. Le préfet des Bouches-du-Rhône avait, par arrêté du 20 mars 2018, déclaré l’insalubrité à caractère remédiable des parties communes de l’immeuble litigieux. Une convention d’intervention foncière fut signée le 20 septembre 2019 entre plusieurs collectivités et l’établissement public foncier. Par arrêté du 23 septembre 2021, l’acquisition des immeubles concernés fut déclarée d’utilité publique aux fins de constitution d’une réserve foncière. L’ordonnance d’expropriation intervint le 4 janvier 2023, transférant la propriété des trois appartements à l’autorité expropriante.
L’établissement public foncier saisit la juridiction de l’expropriation le 11 décembre 2024, sollicitant la fixation d’une indemnité totale de 74.703,42 euros. Il proposait une valeur de 505,75 euros par mètre carré, obtenue après application d’un abattement de 30 pour cent pour insalubrité sur une moyenne de 722,50 euros. Le commissaire du gouvernement retenait une indemnité de 102.024 euros sur la base de 913,36 euros par mètre carré, assortie du même abattement. La société expropriée demandait 145.117,05 euros, contestant tout abattement au motif que les termes de comparaison devaient eux-mêmes concerner des biens soumis à une procédure d’insalubrité.
La question posée au juge était celle de la méthode d’évaluation applicable à des biens situés dans un immeuble insalubre, et plus précisément celle de l’opportunité d’appliquer un abattement lorsque les références retenues présentent des caractéristiques similaires au bien exproprié.
Le juge de l’expropriation fixe l’indemnité totale à 119.387,50 euros, retenant une valeur de 750 euros par mètre carré. Il écarte l’application d’un abattement pour les termes de comparaison relatifs à des biens présentant un état similaire, tout en appliquant une décote de 30 pour cent aux seules références portant sur des immeubles en bon état.
Cette décision invite à examiner successivement la méthodologie retenue pour l’évaluation des biens expropriés (I), puis l’appréciation des facteurs de minoration de l’indemnité (II).
I. La méthodologie d’évaluation des biens expropriés
Le jugement précise d’abord le cadre temporel de l’évaluation (A), avant de détailler le choix des termes de comparaison (B).
A. La détermination du cadre temporel de l’évaluation
Le juge rappelle les règles applicables à la consistance et à la date de référence. La consistance des biens, conformément à l’article L. 322-1 du code de l’expropriation, s’apprécie à la date de l’ordonnance d’expropriation, soit en l’espèce le 4 janvier 2023. Cette consistance comprend « les éléments qui le composent et ses caractéristiques (état d’entretien, de très mauvais à très bon ; situation d’occupation, libre ou occupé) ». Les trois appartements totalisaient 143,50 mètres carrés et se trouvaient dans un « état très dégradé », libres de toute occupation.
La date de référence pour apprécier l’usage effectif du bien obéit aux dispositions de l’article L. 213-4 du code de l’urbanisme, le bien étant situé dans le périmètre d’une zone d’aménagement concerté soumise au droit de préemption urbain. Cette date correspond à l’entrée en vigueur du plan local d’urbanisme intercommunal modifié, soit le 26 juillet 2022. L’article L. 322-2 du code de l’expropriation impose enfin que les valeurs d’échange soient estimées à la date du jugement.
Cette triple temporalité structure l’ensemble du raisonnement du juge et conditionne la recevabilité des termes de comparaison. La juridiction écarte ainsi les ventes de 2020 proposées par l’expropriant, considérées comme « trop anciennes ». Cette rigueur chronologique garantit que l’indemnité reflète la valeur réelle du bien au jour où le propriétaire en est effectivement dépossédé.
B. Le choix et la pondération des termes de comparaison
La méthode comparative constitue le procédé habituel d’évaluation des biens expropriés. Le juge rappelle qu’il convient de « retenir des mutations d’immeubles comparables offrant les mêmes caractéristiques : situation, superficie, qualité et état d’entretien de la construction ». L’expropriant produisait dix références, le commissaire du gouvernement vingt-neuf, et l’exproprié un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Le juge opère un tri méthodique. Il écarte le terme relatif à un local commercial car « le bien ne présentant pas de caractéristiques similaires ». Il relève que huit références de l’expropriant se recoupent avec celles du commissaire du gouvernement. Il retient finalement les termes « relatifs à des mutations d’immeubles comparables offrant les mêmes caractéristiques de situation géographique et d’état d’entretien ».
Cette sélection aboutit à distinguer deux catégories de références. Les premières concernent des biens présentant un état comparable à celui des lots expropriés et dégagent une moyenne de 750 euros par mètre carré sans abattement. Les secondes portent sur des immeubles « en bon état ou qui ne précisent pas l’état d’entretien » et affichent une moyenne de 1040 euros, ramenée à 725 euros après décote. La convergence des deux moyennes autour de 750 euros confère une assise solide à l’évaluation retenue.
II. L’appréciation des facteurs de minoration de l’indemnité
Le traitement de l’insalubrité révèle une approche nuancée (A), tandis que la question de l’encombrement des parties communes fait l’objet d’un rejet motivé (B).
A. Le traitement différencié de l’état d’insalubrité
Le jugement adopte une position remarquable sur l’abattement pour insalubrité. L’expropriant sollicitait l’application systématique d’une décote de 30 pour cent. L’exproprié contestait toute réduction, arguant que les termes de comparaison devaient être intrinsèquement comparables.
Le juge retient une voie médiane. Il refuse d’appliquer un abattement aux références portant sur des biens « situés dans des immeubles présentant des caractéristiques très proches de celles de l’immeuble litigieux ». La comparaison avec des biens similairement dégradés intègre déjà la dépréciation liée à l’insalubrité. En revanche, pour les références relatives à des immeubles en bon état, la décote de 30 pour cent compense la différence de qualité « eu égard à l’état particulièrement dégradé de la copropriété et de son inhabitabilité ».
Cette approche respecte la logique même de la méthode comparative. Appliquer un abattement à des termes déjà affectés par l’insalubrité reviendrait à sanctionner deux fois le même défaut. Le juge précise également que les biens occupés et libres sont indistinctement retenus, « puisque le prix des biens concernés a nécessairement subi une décote ». L’évaluation tient ainsi compte de la réalité du marché local pour ce type de biens.
B. Le rejet de l’abattement pour encombrement des parties communes
L’expropriant demandait une réduction supplémentaire correspondant aux frais d’enlèvement des déchets accumulés dans les parties communes. Le juge rejette cette prétention par une double motivation.
En premier lieu, « la moins-value résultant de la situation d’encombrement des parties communes a été prise en compte dans la fixation du prix ». L’abattement déjà appliqué aux références en bon état englobe cette dépréciation. Accorder une réduction additionnelle constituerait une double prise en compte du même préjudice.
En second lieu, le juge relève que « l’état d’encombrement des parties communes résulte des squats dont a fait l’objet l’immeuble litigieux, qui ne sont pas datés ». Or, « l’EPF PACA est propriétaire de l’immeuble litigieux depuis l’ordonnance d’expropriation ». L’argument implicite est celui de la responsabilité du propriétaire actuel dans la gestion de son bien. L’expropriant ne saurait faire supporter à l’exproprié les conséquences d’une situation survenue ou aggravée postérieurement au transfert de propriété.
Cette solution préserve le caractère juste et intégral de l’indemnité exigé par les articles 17 de la Déclaration des droits de l’homme et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne. Le juge rappelle ces textes en préambule de sa décision, soulignant que « nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique » et « sous la réserve d’une juste et préalable indemnité ». L’indemnité finalement allouée, supérieure de 60 pour cent à l’offre initiale de l’expropriant, traduit cette exigence constitutionnelle et conventionnelle.
Le droit de l’expropriation pour cause d’utilité publique illustre la tension permanente entre l’intérêt général et la protection de la propriété privée. La fixation judiciaire des indemnités constitue le moment où cette tension trouve sa résolution concrète.
Le juge de l’expropriation de Marseille, par un jugement du 18 juin 2025, était saisi d’un litige opposant l’Établissement public foncier Provence-Alpes-Côte d’Azur à une société civile immobilière propriétaire de trois lots au sein d’un immeuble déclaré insalubre. Le préfet des Bouches-du-Rhône avait, par arrêté du 20 mars 2018, déclaré l’insalubrité à caractère remédiable des parties communes de l’immeuble litigieux. Une convention d’intervention foncière fut signée le 20 septembre 2019 entre plusieurs collectivités et l’établissement public foncier. Par arrêté du 23 septembre 2021, l’acquisition des immeubles concernés fut déclarée d’utilité publique aux fins de constitution d’une réserve foncière. L’ordonnance d’expropriation intervint le 4 janvier 2023, transférant la propriété des trois appartements à l’autorité expropriante.
L’établissement public foncier saisit la juridiction de l’expropriation le 11 décembre 2024, sollicitant la fixation d’une indemnité totale de 74.703,42 euros. Il proposait une valeur de 505,75 euros par mètre carré, obtenue après application d’un abattement de 30 pour cent pour insalubrité sur une moyenne de 722,50 euros. Le commissaire du gouvernement retenait une indemnité de 102.024 euros sur la base de 913,36 euros par mètre carré, assortie du même abattement. La société expropriée demandait 145.117,05 euros, contestant tout abattement au motif que les termes de comparaison devaient eux-mêmes concerner des biens soumis à une procédure d’insalubrité.
La question posée au juge était celle de la méthode d’évaluation applicable à des biens situés dans un immeuble insalubre, et plus précisément celle de l’opportunité d’appliquer un abattement lorsque les références retenues présentent des caractéristiques similaires au bien exproprié.
Le juge de l’expropriation fixe l’indemnité totale à 119.387,50 euros, retenant une valeur de 750 euros par mètre carré. Il écarte l’application d’un abattement pour les termes de comparaison relatifs à des biens présentant un état similaire, tout en appliquant une décote de 30 pour cent aux seules références portant sur des immeubles en bon état.
Cette décision invite à examiner successivement la méthodologie retenue pour l’évaluation des biens expropriés (I), puis l’appréciation des facteurs de minoration de l’indemnité (II).
I. La méthodologie d’évaluation des biens expropriés
Le jugement précise d’abord le cadre temporel de l’évaluation (A), avant de détailler le choix des termes de comparaison (B).
A. La détermination du cadre temporel de l’évaluation
Le juge rappelle les règles applicables à la consistance et à la date de référence. La consistance des biens, conformément à l’article L. 322-1 du code de l’expropriation, s’apprécie à la date de l’ordonnance d’expropriation, soit en l’espèce le 4 janvier 2023. Cette consistance comprend « les éléments qui le composent et ses caractéristiques (état d’entretien, de très mauvais à très bon ; situation d’occupation, libre ou occupé) ». Les trois appartements totalisaient 143,50 mètres carrés et se trouvaient dans un « état très dégradé », libres de toute occupation.
La date de référence pour apprécier l’usage effectif du bien obéit aux dispositions de l’article L. 213-4 du code de l’urbanisme, le bien étant situé dans le périmètre d’une zone d’aménagement concerté soumise au droit de préemption urbain. Cette date correspond à l’entrée en vigueur du plan local d’urbanisme intercommunal modifié, soit le 26 juillet 2022. L’article L. 322-2 du code de l’expropriation impose enfin que les valeurs d’échange soient estimées à la date du jugement.
Cette triple temporalité structure l’ensemble du raisonnement du juge et conditionne la recevabilité des termes de comparaison. La juridiction écarte ainsi les ventes de 2020 proposées par l’expropriant, considérées comme « trop anciennes ». Cette rigueur chronologique garantit que l’indemnité reflète la valeur réelle du bien au jour où le propriétaire en est effectivement dépossédé.
B. Le choix et la pondération des termes de comparaison
La méthode comparative constitue le procédé habituel d’évaluation des biens expropriés. Le juge rappelle qu’il convient de « retenir des mutations d’immeubles comparables offrant les mêmes caractéristiques : situation, superficie, qualité et état d’entretien de la construction ». L’expropriant produisait dix références, le commissaire du gouvernement vingt-neuf, et l’exproprié un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Le juge opère un tri méthodique. Il écarte le terme relatif à un local commercial car « le bien ne présentant pas de caractéristiques similaires ». Il relève que huit références de l’expropriant se recoupent avec celles du commissaire du gouvernement. Il retient finalement les termes « relatifs à des mutations d’immeubles comparables offrant les mêmes caractéristiques de situation géographique et d’état d’entretien ».
Cette sélection aboutit à distinguer deux catégories de références. Les premières concernent des biens présentant un état comparable à celui des lots expropriés et dégagent une moyenne de 750 euros par mètre carré sans abattement. Les secondes portent sur des immeubles « en bon état ou qui ne précisent pas l’état d’entretien » et affichent une moyenne de 1040 euros, ramenée à 725 euros après décote. La convergence des deux moyennes autour de 750 euros confère une assise solide à l’évaluation retenue.
II. L’appréciation des facteurs de minoration de l’indemnité
Le traitement de l’insalubrité révèle une approche nuancée (A), tandis que la question de l’encombrement des parties communes fait l’objet d’un rejet motivé (B).
A. Le traitement différencié de l’état d’insalubrité
Le jugement adopte une position remarquable sur l’abattement pour insalubrité. L’expropriant sollicitait l’application systématique d’une décote de 30 pour cent. L’exproprié contestait toute réduction, arguant que les termes de comparaison devaient être intrinsèquement comparables.
Le juge retient une voie médiane. Il refuse d’appliquer un abattement aux références portant sur des biens « situés dans des immeubles présentant des caractéristiques très proches de celles de l’immeuble litigieux ». La comparaison avec des biens similairement dégradés intègre déjà la dépréciation liée à l’insalubrité. En revanche, pour les références relatives à des immeubles en bon état, la décote de 30 pour cent compense la différence de qualité « eu égard à l’état particulièrement dégradé de la copropriété et de son inhabitabilité ».
Cette approche respecte la logique même de la méthode comparative. Appliquer un abattement à des termes déjà affectés par l’insalubrité reviendrait à sanctionner deux fois le même défaut. Le juge précise également que les biens occupés et libres sont indistinctement retenus, « puisque le prix des biens concernés a nécessairement subi une décote ». L’évaluation tient ainsi compte de la réalité du marché local pour ce type de biens.
B. Le rejet de l’abattement pour encombrement des parties communes
L’expropriant demandait une réduction supplémentaire correspondant aux frais d’enlèvement des déchets accumulés dans les parties communes. Le juge rejette cette prétention par une double motivation.
En premier lieu, « la moins-value résultant de la situation d’encombrement des parties communes a été prise en compte dans la fixation du prix ». L’abattement déjà appliqué aux références en bon état englobe cette dépréciation. Accorder une réduction additionnelle constituerait une double prise en compte du même préjudice.
En second lieu, le juge relève que « l’état d’encombrement des parties communes résulte des squats dont a fait l’objet l’immeuble litigieux, qui ne sont pas datés ». Or, « l’EPF PACA est propriétaire de l’immeuble litigieux depuis l’ordonnance d’expropriation ». L’argument implicite est celui de la responsabilité du propriétaire actuel dans la gestion de son bien. L’expropriant ne saurait faire supporter à l’exproprié les conséquences d’une situation survenue ou aggravée postérieurement au transfert de propriété.
Cette solution préserve le caractère juste et intégral de l’indemnité exigé par les articles 17 de la Déclaration des droits de l’homme et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne. Le juge rappelle ces textes en préambule de sa décision, soulignant que « nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique » et « sous la réserve d’une juste et préalable indemnité ». L’indemnité finalement allouée, supérieure de 60 pour cent à l’offre initiale de l’expropriant, traduit cette exigence constitutionnelle et conventionnelle.