Tribunal judiciaire de Lyon, le 16 juin 2025, n°25/00435

Le bail commercial, contrat synallagmatique par excellence, repose sur une économie contractuelle où le paiement du loyer constitue l’obligation cardinale du preneur. Lorsque cette obligation demeure inexécutée, le bailleur dispose de mécanismes contractuels et procéduraux lui permettant d’obtenir rapidement la résiliation du bail et la libération des locaux.

La première vice-présidente du tribunal judiciaire de Lyon, statuant en référé le 16 juin 2025, a eu à connaître d’un litige opposant un bailleur à une société preneuse défaillante dans le paiement de ses loyers. Un bail commercial avait été conclu le 27 juillet 2022 portant sur des locaux commerciaux, moyennant un loyer annuel de 12 200 euros payable par trimestre d’avance. Face à l’accumulation d’impayés, le bailleur a fait délivrer le 2 septembre 2024 un commandement de payer visant la clause résolutoire et portant sur une somme principale de 7 863,06 euros. Ce commandement étant demeuré infructueux, le bailleur a assigné la société locataire en référé le 22 janvier 2025 aux fins de voir constater la résiliation du bail, ordonner l’expulsion et obtenir le paiement de diverses sommes provisionnelles.

La société défenderesse a constitué avocat mais n’a ni conclu ni fait connaître ses observations.

Le juge des référés se trouvait confronté à une double interrogation. La première tenait à l’étendue de ses pouvoirs en matière de constatation de la résiliation d’un bail commercial pour acquisition de la clause résolutoire. La seconde portait sur les limites de sa compétence s’agissant de l’application d’une clause pénale contractuelle.

La première vice-présidente a constaté la résiliation du bail à la date du 3 octobre 2024, condamné la société preneuse au paiement d’une provision de 16 114,12 euros, ordonné son expulsion et fixé une indemnité d’occupation. Elle a en revanche rejeté la demande relative à la clause pénale, au motif que « seul le juge du fond a toujours la possibilité de la moduler en fonction des éléments de l’espèce, ce qui rend son application sujette à contestation sérieuse par le juge des référés ».

Cette décision illustre le rôle du juge des référés dans le contentieux locatif commercial, tant dans l’affirmation de sa compétence pour constater la résiliation du bail (I) que dans la délimitation de ses pouvoirs face à la clause pénale (II).

I. La compétence du juge des référés pour constater la résiliation du bail commercial

Le juge des référés tire de l’article 835 du Code de procédure civile le pouvoir de constater la résiliation d’un bail commercial lorsque la clause résolutoire a joué de plein droit (A), ce qui emporte des conséquences immédiates sur l’occupation des locaux (B).

A. Le mécanisme de la clause résolutoire dans le bail commercial

L’article L. 145-41 du Code de commerce encadre strictement le jeu de la clause résolutoire en matière de bail commercial. Cette disposition impose au bailleur de faire délivrer un commandement visant la clause résolutoire et d’attendre l’expiration d’un délai d’un mois avant que la résiliation ne soit acquise. En l’espèce, le commandement avait été délivré le 2 septembre 2024, de sorte que la résiliation était acquise le 3 octobre 2024 à défaut de régularisation.

Le juge des référés ne prononce pas la résiliation mais la constate. Cette distinction est fondamentale. La clause résolutoire opère de plein droit dès l’expiration du délai légal, sans intervention du juge. Ce dernier se borne à vérifier la régularité formelle du commandement et l’absence de paiement dans le délai imparti. En l’occurrence, la première vice-présidente relève que le demandeur « produit le bail, le commandement de payer, le décompte des sommes dues ». Ces pièces suffisent à établir l’absence de contestation sérieuse sur l’acquisition de la clause résolutoire.

La société défenderesse, bien qu’ayant constitué avocat, n’a pas sollicité de délais de grâce sur le fondement de l’article L. 145-41 alinéa 2 du Code de commerce. Le juge pouvait donc constater la résiliation sans avoir à examiner une éventuelle demande de suspension des effets de la clause. Cette abstention de la défenderesse a simplifié l’office du juge, qui n’a pas eu à apprécier la bonne foi du preneur ni sa capacité à régulariser sa situation.

B. Les conséquences de la résiliation sur l’occupation des locaux

Une fois la résiliation constatée, le preneur perd tout titre à occuper les lieux. Il devient occupant sans droit ni titre, ce qui justifie tant l’expulsion que la fixation d’une indemnité d’occupation.

L’ordonnance autorise l’expulsion de la société « et tout occupant de son chef », formule classique permettant d’appréhender les éventuels sous-occupants. Le juge précise que cette expulsion pourra intervenir « avec le concours si nécessaire de la force publique et d’un serrurier ». Cette précision, habituelle dans ce type de décisions, permet au bailleur de procéder à l’exécution forcée sans avoir à solliciter une nouvelle autorisation judiciaire.

La condamnation au paiement d’une provision de 16 114,12 euros couvre les loyers et charges échus jusqu’au 7 mai 2025. Le juge des référés peut en effet accorder une provision au créancier lorsque l’obligation n’est pas sérieusement contestable. L’absence de toute contestation de la part de la défenderesse rendait cette condition aisément satisfaite. Les intérêts au taux légal courent à compter du commandement du 2 septembre 2024 sur la somme initialement réclamée, ce qui constitue une application classique de la mise en demeure comme point de départ des intérêts moratoires.

L’indemnité d’occupation provisionnelle est fixée à un montant « équivalent à celui des loyers hors taxes et des charges » jusqu’au départ effectif des lieux. Cette équivalence entre l’indemnité et le loyer antérieur ne préjuge pas de la fixation définitive de l’indemnité par le juge du fond, qui pourrait tenir compte de la valeur locative réelle des locaux.

II. Le refus du juge des référés d’appliquer la clause pénale

Le rejet de la demande relative à la clause pénale procède d’une analyse de la compétence du juge des référés confrontée au pouvoir modérateur reconnu au juge du fond (A), solution qui n’est pas sans susciter des interrogations quant à sa portée (B).

A. L’incompétence du juge des référés face au pouvoir modérateur

La première vice-présidente rejette la demande de condamnation au titre de la clause pénale, évaluée à 1 228,38 euros, au motif explicite que « seul le juge du fond a toujours la possibilité de la moduler en fonction des éléments de l’espèce, ce qui rend son application sujette à contestation sérieuse par le juge des référés ».

Ce raisonnement s’appuie sur l’article 1231-5 du Code civil, qui confère au juge le pouvoir de modérer ou d’augmenter la pénalité convenue lorsqu’elle est manifestement excessive ou dérisoire. Ce pouvoir modérateur, d’ordre public, peut être exercé d’office par le juge du fond. La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que cette faculté appartient souverainement aux juges du fond, qui apprécient le caractère manifestement excessif de la clause au regard des circonstances de l’espèce.

Le juge des référés estime que l’existence même de ce pouvoir modérateur fait naître une contestation sérieuse sur le montant de la clause pénale. En d’autres termes, tant que le juge du fond n’a pas exercé ou renoncé à exercer son pouvoir de modération, le montant de la pénalité demeure incertain. Cette incertitude constitue un obstacle à la compétence du juge des référés, qui ne peut statuer qu’en l’absence de contestation sérieuse.

Cette position trouve un écho dans une jurisprudence établie. La chambre sociale de la Cour de cassation a pu juger que le pouvoir de modération du juge rendait contestable toute demande de provision au titre d’une clause pénale. Le raisonnement transpose au contentieux commercial une solution déjà consacrée dans d’autres domaines.

B. La portée de la solution et ses limites

La solution retenue par la première vice-présidente mérite d’être nuancée au regard de la pratique jurisprudentielle. Si le principe de l’incompétence du juge des référés en présence d’un pouvoir modérateur est régulièrement affirmé, certaines juridictions admettent l’octroi d’une provision au titre de la clause pénale lorsque celle-ci n’apparaît pas manifestement excessive.

En l’espèce, la clause pénale représentait environ 10 % du loyer annuel, soit un montant qui ne paraît pas disproportionné au regard des usages en matière de baux commerciaux. Le juge des référés aurait pu considérer que, dans ces circonstances, le pouvoir modérateur n’avait pas vocation à s’exercer et accorder une provision. Certaines décisions admettent en effet que le juge des référés apprécie prima facie le caractère manifestement excessif et accorde une provision si tel n’est pas le cas.

La position adoptée présente néanmoins l’avantage de la prudence. En renvoyant systématiquement l’application de la clause pénale au juge du fond, le juge des référés évite tout risque de contradiction entre la provision allouée et la somme définitivement retenue après modération éventuelle. Cette approche préserve également les droits du débiteur, qui conserve la possibilité de solliciter une réduction devant le juge du fond.

La décision illustre ainsi les limites de l’office du juge des référés dans le contentieux contractuel. S’il dispose de pouvoirs étendus pour constater la résiliation d’un bail et ordonner l’expulsion, sa compétence trouve une borne lorsque l’appréciation définitive d’une créance suppose l’exercice d’un pouvoir que seul le juge du fond peut mettre en œuvre.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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