Tribunal judiciaire de Grenoble, le 19 juin 2025, n°25/00645

Le contentieux du recouvrement des charges de copropriété constitue une source abondante de décisions illustrant les mécanismes protecteurs institués par la loi du 10 juillet 1965. Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Grenoble le 19 juin 2025, statuant selon la procédure accélérée au fond, s’inscrit dans cette lignée tout en apportant des précisions utiles quant à l’étendue des condamnations susceptibles d’être prononcées.

Une société civile immobilière, propriétaire d’un lot au sein d’une copropriété, avait accumulé un arriéré de charges. Le 25 février 2025, elle fut mise en demeure d’acquitter la somme de 1 965,59 euros. Cette mise en demeure l’informait que, conformément à l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965, les provisions non encore échues deviendraient immédiatement exigibles à l’issue d’un délai de trente jours. Par acte du 4 avril 2025, le syndicat des copropriétaires assigna la société défaillante en paiement de 2 869,55 euros représentant l’arriéré et les provisions échues, de 2 500 euros de dommages-intérêts pour résistance abusive, ainsi que de 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La défenderesse, assignée par dépôt de l’acte en l’étude du commissaire de justice, ne comparut pas.

Le tribunal devait déterminer si les conditions de la condamnation au paiement des charges étaient réunies et si le syndicat pouvait prétendre, outre le principal, à des dommages-intérêts pour résistance abusive.

La juridiction grenobloise condamna la société au paiement de 1 893,59 euros avec intérêts au taux légal, après déduction de 72 euros correspondant à des frais de mise en demeure et de contentieux. Elle rejeta en revanche la demande de dommages-intérêts, faute de preuve d’un préjudice indépendant du retard de paiement ou de mauvaise foi.

Cette décision invite à examiner successivement le mécanisme de recouvrement accéléré des charges impayées (I), puis les limites de l’indemnisation du syndicat créancier (II).

I. Le mécanisme de recouvrement accéléré des charges de copropriété

Le tribunal rappelle les conditions d’exigibilité des charges avant de préciser le périmètre de la condamnation pécuniaire.

A. La déchéance du terme comme instrument de protection de la trésorerie collective

Le juge grenoblois fonde sa décision sur l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 qui permet, après mise en demeure restée infructueuse pendant trente jours, de rendre immédiatement exigibles les provisions non encore échues du budget prévisionnel. Ce mécanisme dérogatoire au droit commun des obligations vise à protéger la trésorerie de la copropriété contre les défaillances individuelles.

La juridiction vérifie méthodiquement la réunion des conditions légales. Elle constate d’abord « le vote du budget prévisionnel par l’assemblée générale de la copropriété ». Elle relève ensuite l’approbation des comptes pour l’exercice clos. Elle s’assure enfin de la régularité de la mise en demeure « distribuée le 6 mars 2025 ». Cette rigueur procédurale s’impose au juge qui doit, selon les termes du jugement, « constater la déchéance du terme avant de condamner le copropriétaire défaillant ».

L’automaticité de la déchéance du terme, une fois les conditions réunies, traduit la volonté du législateur de faciliter le recouvrement. Le copropriétaire défaillant ne saurait se prévaloir d’échéances futures pour différer sa dette. Cette sévérité se justifie par l’intérêt collectif qui commande que les charges communes soient honorées ponctuellement.

B. L’exclusion des frais de recouvrement du décompte principal

Le tribunal opère une distinction significative en retranchant du montant réclamé la somme de 72 euros correspondant aux « frais de mise en demeure, de contentieux et de suivi ». La motivation retenue mérite attention : ces frais « sont indemnisés par l’application des dispositions de l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 et de l’article 700 du code de procédure civile ».

L’article 10-1 prévoit que les frais nécessaires exposés par le syndicat pour le recouvrement d’une créance justifiée sont imputables au seul copropriétaire concerné. Le juge évite ainsi un cumul indu entre ces frais inclus dans le principal et leur indemnisation par une voie distincte. Il précise que ces sommes « pourraient, de par leur régime, faire l’objet d’un décompte séparé ».

Cette approche garantit une transparence comptable et prévient l’enrichissement du syndicat. Elle impose aux syndics une présentation rigoureuse des décomptes distinguant clairement les charges proprement dites des frais de recouvrement.

II. Les limites de l’indemnisation complémentaire du syndicat créancier

Le tribunal refuse d’accorder des dommages-intérêts tout en allouant une indemnité procédurale, révélant les frontières de la réparation accessible au syndicat.

A. L’exigence d’un préjudice distinct du retard de paiement

La demande de 2 500 euros pour résistance abusive se heurte à un obstacle probatoire. Le tribunal, visant l’article 1231-6 alinéa 3 du code civil, constate que le syndicat « ne démontre ni l’existence d’un préjudice indépendant du retard en paiement, ni la mauvaise foi » de la défenderesse.

Cette disposition pose en principe que les dommages-intérêts pour retard de paiement consistent en intérêts au taux légal. Une indemnité complémentaire suppose la preuve d’un préjudice distinct. En l’espèce, le défaut de comparution de la société débitrice ne suffit pas à caractériser une mauvaise foi. L’abstention n’équivaut pas à la résistance délibérée.

Le rejet de cette demande rappelle aux syndicats que l’impayé, même prolongé, ne génère pas automatiquement un droit à réparation au-delà des intérêts moratoires. La charge de la preuve pèse sur le créancier qui doit établir des circonstances particulières : manœuvres dilatoires, contestations manifestement infondées ou comportement vexatoire.

B. L’indemnisation procédurale comme compensation partielle

Si le tribunal refuse les dommages-intérêts, il accorde 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Cette somme, inférieure aux 900 euros sollicités, compense partiellement les frais non compris dans les dépens. Le juge motive cette allocation par le caractère inéquitable qu’il y aurait à laisser ces frais à la charge du syndicat.

L’articulation entre l’article 10-1 de la loi de 1965 et l’article 700 du code de procédure civile apparaît clairement. Le premier impute au copropriétaire défaillant les frais nécessaires de recouvrement, intégrés aux dépens par renvoi. Le second permet d’indemniser les frais non récupérables autrement, notamment les honoraires d’avocat excédant le tarif.

Cette complémentarité offre au syndicat une couverture satisfaisante de ses débours sans pour autant lui permettre d’obtenir une sanction supplémentaire du débiteur. Le juge maintient ainsi l’équilibre entre la protection légitime de la collectivité et le refus de toute dimension punitive excédant la réparation du préjudice démontré.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture