Deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 19 juin 2025, n°25-40.009
La question prioritaire de constitutionnalité constitue un mécanisme procédural permettant de contester la conformité d’une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 19 juin 2025, s’est prononcée sur le renvoi d’une telle question relative au régime de retraite complémentaire des exploitants agricoles.
Un assuré avait exercé plusieurs mandats locaux et cotisé, à ce titre, auprès de l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques. Il sollicitait la revalorisation de sa pension de retraite complémentaire agricole à raison de la cessation de son mandat d’élu local. La caisse de mutualité sociale agricole des Portes de Bretagne lui a opposé un refus.
L’assuré a saisi le tribunal judiciaire de Rennes, pôle social, d’un recours contre cette décision. À l’appui de sa demande, il a soulevé, dans un mémoire distinct, une question prioritaire de constitutionnalité. Le tribunal judiciaire de Rennes a transmis cette question à la Cour de cassation par jugement du 4 avril 2025.
L’assuré soutenait que les dispositions législatives subordonnant la revalorisation de la pension de retraite complémentaire agricole à la liquidation de l’ensemble des droits à retraite méconnaissaient le principe d’égalité devant la loi. Il estimait que les élus locaux affiliés à l’IRCANTEC se trouvaient dans une situation différente justifiant un traitement distinct.
La question posée à la Cour de cassation était de déterminer si les dispositions contestées, en imposant aux personnes affiliées à plusieurs régimes de retraite la liquidation de l’ensemble de leurs droits pour bénéficier d’une revalorisation, portaient atteinte au principe d’égalité devant la loi garanti par la Constitution.
La Cour de cassation dit n’y avoir lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Elle retient que « la situation des personnes qui ont exercé un mandat électif et, à ce titre, ont été affiliées à l’IRCANTEC n’est pas différente de celle des personnes qui ont été affiliées à plusieurs régimes de sécurité sociale ». La différence de traitement instaurée entre les assurés mono-affiliés et les poly-affiliés est « en rapport avec l’objet de la loi qui est de réserver, par mesure d’équité, les revalorisations des minima de pension aux plus petites pensions ».
La décision appelle une analyse portant sur l’application du principe d’égalité aux régimes de retraite complémentaire (I), puis sur la justification de la différence de traitement au regard de l’objectif législatif poursuivi (II).
I. L’application du principe d’égalité aux régimes de retraite complémentaire
Le refus de la Cour de cassation de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité repose sur une analyse rigoureuse de la comparabilité des situations (A), qui conduit à écarter toute rupture d’égalité injustifiée (B).
A. L’identification d’une situation comparable entre assurés poly-affiliés
La Cour de cassation procède à une qualification juridique des situations en présence pour déterminer si le principe d’égalité trouve à s’appliquer. Elle affirme que « la situation des personnes qui ont exercé un mandat électif et, à ce titre, ont été affiliées à l’IRCANTEC n’est pas différente de celle des personnes qui ont été affiliées à plusieurs régimes de sécurité sociale ».
Cette analyse s’inscrit dans la jurisprudence constitutionnelle classique selon laquelle le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur traite différemment des situations différentes. La Cour rappelle expressément cette règle en énonçant que « le principe d’égalité devant la loi ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général ».
L’assuré tentait d’établir une spécificité de la situation des élus locaux affiliés à l’IRCANTEC. Il soutenait implicitement que l’exercice d’un mandat électif, par sa nature particulière, devait conduire à un traitement différencié. La Cour rejette cette analyse en rattachant les élus locaux à la catégorie plus large des assurés poly-affiliés.
Cette approche témoigne d’un refus de fragmenter les catégories d’assurés au-delà de ce que la logique des régimes de retraite impose. La poly-affiliation constitue le critère pertinent de comparaison, indépendamment de la nature de l’activité ayant généré cette affiliation multiple.
B. L’exclusion d’une rupture d’égalité entre assurés mono-affiliés et poly-affiliés
La Cour de cassation constate l’existence d’une différence de traitement entre les assurés affiliés au seul régime de retraite des exploitants agricoles et ceux affiliés à plusieurs régimes. Cette différence réside dans l’obligation pour les seconds de liquider l’ensemble de leurs droits pour bénéficier de la revalorisation.
Cette différence de traitement ne constitue pas pour autant une rupture d’égalité inconstitutionnelle. La Cour applique le critère jurisprudentiel classique tenant au rapport direct entre la différence de traitement et l’objet de la loi. Elle précise que cette condition doit être remplie pour que la différence de traitement soit conforme au principe d’égalité.
La décision révèle une conception fonctionnelle du principe d’égalité. Celui-ci n’impose pas un traitement identique de toutes les situations mais prohibe les différences de traitement arbitraires ou sans rapport avec l’objectif poursuivi par le législateur. La Cour de cassation se fait ainsi le gardien d’une égalité proportionnée aux finalités légitimes de la loi.
II. La justification de la différence de traitement par l’objectif législatif
La Cour de cassation valide la différence de traitement en se fondant sur sa conformité à l’objet de la loi (A), ce qui traduit une conception solidariste du système de retraite (B).
A. La conformité de la différence de traitement à l’objet de la loi
La Cour de cassation identifie avec précision l’objet de la loi pour apprécier la justification de la différence de traitement. Elle énonce que cet objet « est de réserver, par mesure d’équité, les revalorisations des minima de pension aux plus petites pensions conformément au principe de solidarité et dans le souci de maintenir l’équilibre financier du régime ».
Cette triple justification témoigne d’une analyse approfondie de la finalité législative. Le législateur a entendu cibler les revalorisations sur les assurés les plus modestes, ceux dont la pension de retraite complémentaire agricole constitue l’essentiel de leurs ressources. L’exigence de liquidation de l’ensemble des droits permet de s’assurer que le bénéficiaire de la revalorisation ne dispose pas de ressources significatives provenant d’autres régimes.
La Cour conclut qu’« il ne saurait être sérieusement soutenu que les dispositions contestées méconnaissent le principe d’égalité devant la loi ». Cette formulation, particulièrement ferme, traduit le caractère manifestement infondé de la question prioritaire de constitutionnalité. Elle justifie le non-renvoi au Conseil constitutionnel sans qu’il soit nécessaire d’examiner plus avant les conditions de nouveauté et de caractère sérieux.
B. L’affirmation d’une conception solidariste du système de retraite
La référence au « principe de solidarité » et au « souci de maintenir l’équilibre financier du régime » inscrit la décision dans une conception globale du système de retraite. Les revalorisations de pension ne constituent pas un droit absolu mais un mécanisme de redistribution soumis à des contraintes budgétaires.
La Cour de cassation valide ainsi une logique de ciblage des prestations sociales. Les ressources limitées du régime de retraite complémentaire agricole doivent être affectées en priorité aux assurés qui en ont le plus besoin. Cette approche s’inscrit dans une évolution plus large du droit de la protection sociale vers une prise en compte accrue de l’ensemble des ressources des assurés.
La décision présente une portée qui dépasse le cas particulier des élus locaux. Elle confirme que la poly-affiliation peut constituer un critère légitime de différenciation dans l’accès aux prestations sociales. Le Conseil constitutionnel, s’il avait été saisi, aurait vraisemblablement abouti à la même solution au regard de sa jurisprudence en matière de droits sociaux. La Cour de cassation, en refusant le renvoi, exerce pleinement son rôle de filtre et contribue à la stabilité du droit de la sécurité sociale.
La question prioritaire de constitutionnalité constitue un mécanisme procédural permettant de contester la conformité d’une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 19 juin 2025, s’est prononcée sur le renvoi d’une telle question relative au régime de retraite complémentaire des exploitants agricoles.
Un assuré avait exercé plusieurs mandats locaux et cotisé, à ce titre, auprès de l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques. Il sollicitait la revalorisation de sa pension de retraite complémentaire agricole à raison de la cessation de son mandat d’élu local. La caisse de mutualité sociale agricole des Portes de Bretagne lui a opposé un refus.
L’assuré a saisi le tribunal judiciaire de Rennes, pôle social, d’un recours contre cette décision. À l’appui de sa demande, il a soulevé, dans un mémoire distinct, une question prioritaire de constitutionnalité. Le tribunal judiciaire de Rennes a transmis cette question à la Cour de cassation par jugement du 4 avril 2025.
L’assuré soutenait que les dispositions législatives subordonnant la revalorisation de la pension de retraite complémentaire agricole à la liquidation de l’ensemble des droits à retraite méconnaissaient le principe d’égalité devant la loi. Il estimait que les élus locaux affiliés à l’IRCANTEC se trouvaient dans une situation différente justifiant un traitement distinct.
La question posée à la Cour de cassation était de déterminer si les dispositions contestées, en imposant aux personnes affiliées à plusieurs régimes de retraite la liquidation de l’ensemble de leurs droits pour bénéficier d’une revalorisation, portaient atteinte au principe d’égalité devant la loi garanti par la Constitution.
La Cour de cassation dit n’y avoir lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Elle retient que « la situation des personnes qui ont exercé un mandat électif et, à ce titre, ont été affiliées à l’IRCANTEC n’est pas différente de celle des personnes qui ont été affiliées à plusieurs régimes de sécurité sociale ». La différence de traitement instaurée entre les assurés mono-affiliés et les poly-affiliés est « en rapport avec l’objet de la loi qui est de réserver, par mesure d’équité, les revalorisations des minima de pension aux plus petites pensions ».
La décision appelle une analyse portant sur l’application du principe d’égalité aux régimes de retraite complémentaire (I), puis sur la justification de la différence de traitement au regard de l’objectif législatif poursuivi (II).
I. L’application du principe d’égalité aux régimes de retraite complémentaire
Le refus de la Cour de cassation de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité repose sur une analyse rigoureuse de la comparabilité des situations (A), qui conduit à écarter toute rupture d’égalité injustifiée (B).
A. L’identification d’une situation comparable entre assurés poly-affiliés
La Cour de cassation procède à une qualification juridique des situations en présence pour déterminer si le principe d’égalité trouve à s’appliquer. Elle affirme que « la situation des personnes qui ont exercé un mandat électif et, à ce titre, ont été affiliées à l’IRCANTEC n’est pas différente de celle des personnes qui ont été affiliées à plusieurs régimes de sécurité sociale ».
Cette analyse s’inscrit dans la jurisprudence constitutionnelle classique selon laquelle le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur traite différemment des situations différentes. La Cour rappelle expressément cette règle en énonçant que « le principe d’égalité devant la loi ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général ».
L’assuré tentait d’établir une spécificité de la situation des élus locaux affiliés à l’IRCANTEC. Il soutenait implicitement que l’exercice d’un mandat électif, par sa nature particulière, devait conduire à un traitement différencié. La Cour rejette cette analyse en rattachant les élus locaux à la catégorie plus large des assurés poly-affiliés.
Cette approche témoigne d’un refus de fragmenter les catégories d’assurés au-delà de ce que la logique des régimes de retraite impose. La poly-affiliation constitue le critère pertinent de comparaison, indépendamment de la nature de l’activité ayant généré cette affiliation multiple.
B. L’exclusion d’une rupture d’égalité entre assurés mono-affiliés et poly-affiliés
La Cour de cassation constate l’existence d’une différence de traitement entre les assurés affiliés au seul régime de retraite des exploitants agricoles et ceux affiliés à plusieurs régimes. Cette différence réside dans l’obligation pour les seconds de liquider l’ensemble de leurs droits pour bénéficier de la revalorisation.
Cette différence de traitement ne constitue pas pour autant une rupture d’égalité inconstitutionnelle. La Cour applique le critère jurisprudentiel classique tenant au rapport direct entre la différence de traitement et l’objet de la loi. Elle précise que cette condition doit être remplie pour que la différence de traitement soit conforme au principe d’égalité.
La décision révèle une conception fonctionnelle du principe d’égalité. Celui-ci n’impose pas un traitement identique de toutes les situations mais prohibe les différences de traitement arbitraires ou sans rapport avec l’objectif poursuivi par le législateur. La Cour de cassation se fait ainsi le gardien d’une égalité proportionnée aux finalités légitimes de la loi.
II. La justification de la différence de traitement par l’objectif législatif
La Cour de cassation valide la différence de traitement en se fondant sur sa conformité à l’objet de la loi (A), ce qui traduit une conception solidariste du système de retraite (B).
A. La conformité de la différence de traitement à l’objet de la loi
La Cour de cassation identifie avec précision l’objet de la loi pour apprécier la justification de la différence de traitement. Elle énonce que cet objet « est de réserver, par mesure d’équité, les revalorisations des minima de pension aux plus petites pensions conformément au principe de solidarité et dans le souci de maintenir l’équilibre financier du régime ».
Cette triple justification témoigne d’une analyse approfondie de la finalité législative. Le législateur a entendu cibler les revalorisations sur les assurés les plus modestes, ceux dont la pension de retraite complémentaire agricole constitue l’essentiel de leurs ressources. L’exigence de liquidation de l’ensemble des droits permet de s’assurer que le bénéficiaire de la revalorisation ne dispose pas de ressources significatives provenant d’autres régimes.
La Cour conclut qu’« il ne saurait être sérieusement soutenu que les dispositions contestées méconnaissent le principe d’égalité devant la loi ». Cette formulation, particulièrement ferme, traduit le caractère manifestement infondé de la question prioritaire de constitutionnalité. Elle justifie le non-renvoi au Conseil constitutionnel sans qu’il soit nécessaire d’examiner plus avant les conditions de nouveauté et de caractère sérieux.
B. L’affirmation d’une conception solidariste du système de retraite
La référence au « principe de solidarité » et au « souci de maintenir l’équilibre financier du régime » inscrit la décision dans une conception globale du système de retraite. Les revalorisations de pension ne constituent pas un droit absolu mais un mécanisme de redistribution soumis à des contraintes budgétaires.
La Cour de cassation valide ainsi une logique de ciblage des prestations sociales. Les ressources limitées du régime de retraite complémentaire agricole doivent être affectées en priorité aux assurés qui en ont le plus besoin. Cette approche s’inscrit dans une évolution plus large du droit de la protection sociale vers une prise en compte accrue de l’ensemble des ressources des assurés.
La décision présente une portée qui dépasse le cas particulier des élus locaux. Elle confirme que la poly-affiliation peut constituer un critère légitime de différenciation dans l’accès aux prestations sociales. Le Conseil constitutionnel, s’il avait été saisi, aurait vraisemblablement abouti à la même solution au regard de sa jurisprudence en matière de droits sociaux. La Cour de cassation, en refusant le renvoi, exerce pleinement son rôle de filtre et contribue à la stabilité du droit de la sécurité sociale.