Cour d’appel de Versailles, le 4 septembre 2025, n°24/06766
Par un arrêt rendu le 4 septembre 2025, la cour d’appel de Versailles s’est prononcée sur un litige opposant deux voisins au sujet d’une servitude conventionnelle de passage. Cette décision illustre les difficultés contentieuses liées à l’exercice des servitudes de passage et à leur éventuelle extinction par non-usage trentenaire.
Les faits à l’origine du litige sont les suivants. Par acte authentique du 26 janvier 2005, un couple a acquis une parcelle bénéficiant d’une servitude de passage instituée par acte notarié du 31 juillet 1985. Cette servitude, grevant le fonds voisin, permettait le transit de matériaux lourds ou encombrants depuis la rue jusqu’à une porte dans la clôture mitoyenne. Le propriétaire du fonds servant, souhaitant réaliser des travaux d’extension, s’est opposé à l’usage de cette servitude. Face à ce refus réitéré, les bénéficiaires de la servitude ont saisi le juge des référés aux fins de voir enjoindre au propriétaire du fonds servant de leur permettre d’user de leur droit.
Par ordonnance du 17 septembre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Versailles a fait droit à leur demande en enjoignant au propriétaire du fonds servant de permettre l’usage de la servitude aux dates et heures signifiées par écrit, moyennant un délai de prévenance de huit jours. Le juge a rejeté la demande reconventionnelle d’expertise et condamné le défendeur aux dépens ainsi qu’à une indemnité au titre des frais irrépétibles. Le propriétaire du fonds servant a interjeté appel de cette décision, contestant l’existence même de la servitude qu’il estimait éteinte par non-usage trentenaire.
La question posée à la cour d’appel de Versailles était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si les bénéficiaires de la servitude rapportaient la preuve de son exercice dans le délai de trente ans, faisant ainsi obstacle à l’extinction par non-usage. Il convenait ensuite d’apprécier si la demande formée en appel aux fins d’élargissement de l’assiette de la servitude constituait une prétention nouvelle irrecevable.
La cour d’appel de Versailles a confirmé l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a enjoint au propriétaire du fonds servant de permettre l’usage de la servitude. Elle a déclaré irrecevable comme nouvelle en appel la demande d’aménagement de l’assiette de la servitude. Infirmant partiellement la décision de première instance, elle a ordonné une mesure d’expertise judiciaire aux fins d’examiner les conséquences des travaux envisagés sur la servitude et la possibilité d’en modifier l’assiette.
Cette décision mérite attention en ce qu’elle précise les modalités probatoires de l’exercice d’une servitude ancienne (I) et rappelle les conditions de recevabilité des prétentions nouvelles en appel en matière de servitude (II).
I. La preuve de l’exercice de la servitude comme obstacle à l’extinction trentenaire
La cour d’appel rappelle le principe de la charge de la preuve pesant sur le bénéficiaire de la servitude (A), avant d’apprécier avec souplesse les éléments probatoires produits (B).
A. Le rappel du principe de la charge probatoire incombant au titulaire de la servitude
La cour d’appel de Versailles applique une règle classique en matière de servitude. Elle énonce que « c’est au demandeur qui invoque le maintien de la servitude ancienne, dont il n’a pas la possession actuelle, de prouver que le dernier acte d’exercice remonte à moins de trente ans, de manière à empêcher l’extinction par le non-usage ». Cette solution, conforme à une jurisprudence constante de la Cour de cassation, place le titulaire de la servitude dans une position probatoire délicate lorsqu’il s’agit d’établir un fait positif ancien.
L’article 706 du code civil prévoit en effet que la servitude s’éteint par le non-usage pendant trente ans. Ce délai, particulièrement long, correspond à la prescription acquisitive de droit commun. Le législateur a ainsi entendu protéger le propriétaire du fonds servant contre une charge perpétuelle dont l’utilité aurait disparu. La servitude, droit réel accessoire au droit de propriété, ne saurait grever indéfiniment un fonds sans être effectivement exercée.
La difficulté réside dans la nature même de l’acte d’exercice d’une servitude de passage occasionnel. Contrairement à une servitude de vue ou d’écoulement des eaux, dont l’exercice est continu et apparent, la servitude de transit pour travaux exceptionnels ne laisse que peu de traces matérielles. Le bénéficiaire se trouve ainsi contraint de conserver des preuves documentaires sur une période de trois décennies, ce qui constitue une charge considérable.
B. L’appréciation souple des éléments probatoires par le juge des référés
Face aux contestations de l’appelant sur l’authenticité du bon d’intervention produit, la cour d’appel de Versailles adopte une position mesurée. Elle relève que « les incohérences de ce document mises en exergue par M. [X] dans ses écritures ne sauraient faire sérieusement douter de son authenticité ». La cour examine chaque grief soulevé et y répond de manière circonstanciée.
L’appelant avait notamment relevé que l’adresse figurant sur le document correspondait à l’ancienne adresse de la société intervenante. La cour écarte cet argument en observant que « le changement de lieu est intervenu le 1er juin 2004 et qu’il se conçoit aisément que l’entreprise ait pu continuer d’utiliser des documents datant d’avant son déménagement ». De même, s’agissant des mentions prétendument raturées ou repassées, la cour considère qu’elles laissent « toutes les hypothèses possibles ouvertes » sans permettre de conclure à une falsification.
Cette appréciation libérale de la preuve s’inscrit dans la logique du référé. Le juge des référés n’a pas à trancher définitivement la question de l’extinction de la servitude, mais seulement à apprécier si le trouble invoqué présente un caractère manifestement illicite. La cour considère qu’« il apparaît établi avec l’évidence requise en référé que la servitude de passage a été exercée avant l’acquisition de la prescription extinctive trentenaire ». Cette formulation prudente ménage l’avenir contentieux tout en permettant de mettre fin au trouble actuel.
II. L’irrecevabilité de la demande d’élargissement de l’assiette comme prétention nouvelle en appel
La cour d’appel de Versailles refuse d’examiner au fond la demande d’élargissement de la servitude en raison de son caractère nouveau (A), tout en ordonnant une expertise pour préparer un éventuel aménagement futur (B).
A. L’absence de fait nouveau justifiant la recevabilité de la prétention
Les intimés avaient formé un appel incident aux fins de voir ordonner au propriétaire du fonds servant de rétablir un passage d’une largeur minimale de trois mètres cinquante. Ils fondaient la recevabilité de cette prétention sur l’article 564 du code de procédure civile, invoquant la révélation d’un fait lors de l’usage de la servitude en décembre 2024.
La cour d’appel de Versailles rejette cette argumentation. Elle relève que « les intimés ne peuvent dès lors valablement arguer avoir découvert la modification de l’assiette de la servitude dont ils allèguent seulement lors de l’usage de la servitude le 19 décembre 2024 ». La cour s’appuie sur une correspondance antérieure datée du 19 octobre 2021 dans laquelle les bénéficiaires de la servitude évoquaient déjà la présence d’un escalier entravant le passage.
Cette solution s’inscrit dans une conception stricte de la notion de fait nouveau. La révélation d’un fait suppose une découverte postérieure aux débats de première instance. Tel n’est pas le cas lorsque le demandeur avait connaissance des éléments en cause avant même l’introduction de l’instance initiale. La cour sanctionne ainsi une stratégie procédurale consistant à différer une prétention pour la présenter comme nouvelle en appel.
Surabondamment, la cour relève que la demande était en tout état de cause infondée. Elle observe que « les modalités d’exercice de la servitude litigieuse, telles décrites dans l’acte de 1985, ne font en aucun cas état d’un passage de 3,5 mètres minimum dans le jardin de M. [X] permettant le passage d’un véhicule automobile ». Cette motivation subsidiaire renforce la solution retenue en démontrant que l’irrecevabilité n’a pas privé les intimés d’une chance réelle de succès.
B. L’ouverture d’une expertise en vue d’un éventuel déplacement de l’assiette
Infirmant l’ordonnance de première instance sur ce point, la cour d’appel de Versailles ordonne une mesure d’expertise judiciaire. Elle relève que « M. [X], qui souhaite faire procéder à une extension de sa maison, est susceptible de solliciter l’application » de l’article 701 du code civil permettant au propriétaire du fonds servant de demander le déplacement de l’assiette de la servitude.
L’article 701 du code civil subordonne cette faculté à une double condition. L’assignation primitive doit être devenue plus onéreuse pour le propriétaire du fonds assujetti ou l’empêcher de faire des réparations avantageuses. Le nouvel endroit proposé doit par ailleurs être aussi commode pour l’exercice des droits du propriétaire du fonds dominant.
La cour précise toutefois les limites de la mission expertale. Elle rappelle qu’en application de l’article 249 du code de procédure civile, « il ne peut être demander à un expert de donner un avis sur l’extinction de la servitude par non-usage ». Cette question, de nature juridique, relève de la seule appréciation du juge. L’expert devra se cantonner aux constatations techniques relatives à l’assiette de la servitude et aux conséquences de son éventuel déplacement.
Cette décision présente un intérêt pratique certain. Elle permet de concilier le respect des droits du propriétaire du fonds dominant avec les projets légitimes d’aménagement du propriétaire du fonds servant. L’expertise ordonnée préparera utilement un éventuel contentieux au fond sur le déplacement de la servitude, tout en préservant dans l’immédiat le droit de passage des bénéficiaires.
Par un arrêt rendu le 4 septembre 2025, la cour d’appel de Versailles s’est prononcée sur un litige opposant deux voisins au sujet d’une servitude conventionnelle de passage. Cette décision illustre les difficultés contentieuses liées à l’exercice des servitudes de passage et à leur éventuelle extinction par non-usage trentenaire.
Les faits à l’origine du litige sont les suivants. Par acte authentique du 26 janvier 2005, un couple a acquis une parcelle bénéficiant d’une servitude de passage instituée par acte notarié du 31 juillet 1985. Cette servitude, grevant le fonds voisin, permettait le transit de matériaux lourds ou encombrants depuis la rue jusqu’à une porte dans la clôture mitoyenne. Le propriétaire du fonds servant, souhaitant réaliser des travaux d’extension, s’est opposé à l’usage de cette servitude. Face à ce refus réitéré, les bénéficiaires de la servitude ont saisi le juge des référés aux fins de voir enjoindre au propriétaire du fonds servant de leur permettre d’user de leur droit.
Par ordonnance du 17 septembre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Versailles a fait droit à leur demande en enjoignant au propriétaire du fonds servant de permettre l’usage de la servitude aux dates et heures signifiées par écrit, moyennant un délai de prévenance de huit jours. Le juge a rejeté la demande reconventionnelle d’expertise et condamné le défendeur aux dépens ainsi qu’à une indemnité au titre des frais irrépétibles. Le propriétaire du fonds servant a interjeté appel de cette décision, contestant l’existence même de la servitude qu’il estimait éteinte par non-usage trentenaire.
La question posée à la cour d’appel de Versailles était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si les bénéficiaires de la servitude rapportaient la preuve de son exercice dans le délai de trente ans, faisant ainsi obstacle à l’extinction par non-usage. Il convenait ensuite d’apprécier si la demande formée en appel aux fins d’élargissement de l’assiette de la servitude constituait une prétention nouvelle irrecevable.
La cour d’appel de Versailles a confirmé l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a enjoint au propriétaire du fonds servant de permettre l’usage de la servitude. Elle a déclaré irrecevable comme nouvelle en appel la demande d’aménagement de l’assiette de la servitude. Infirmant partiellement la décision de première instance, elle a ordonné une mesure d’expertise judiciaire aux fins d’examiner les conséquences des travaux envisagés sur la servitude et la possibilité d’en modifier l’assiette.
Cette décision mérite attention en ce qu’elle précise les modalités probatoires de l’exercice d’une servitude ancienne (I) et rappelle les conditions de recevabilité des prétentions nouvelles en appel en matière de servitude (II).
I. La preuve de l’exercice de la servitude comme obstacle à l’extinction trentenaire
La cour d’appel rappelle le principe de la charge de la preuve pesant sur le bénéficiaire de la servitude (A), avant d’apprécier avec souplesse les éléments probatoires produits (B).
A. Le rappel du principe de la charge probatoire incombant au titulaire de la servitude
La cour d’appel de Versailles applique une règle classique en matière de servitude. Elle énonce que « c’est au demandeur qui invoque le maintien de la servitude ancienne, dont il n’a pas la possession actuelle, de prouver que le dernier acte d’exercice remonte à moins de trente ans, de manière à empêcher l’extinction par le non-usage ». Cette solution, conforme à une jurisprudence constante de la Cour de cassation, place le titulaire de la servitude dans une position probatoire délicate lorsqu’il s’agit d’établir un fait positif ancien.
L’article 706 du code civil prévoit en effet que la servitude s’éteint par le non-usage pendant trente ans. Ce délai, particulièrement long, correspond à la prescription acquisitive de droit commun. Le législateur a ainsi entendu protéger le propriétaire du fonds servant contre une charge perpétuelle dont l’utilité aurait disparu. La servitude, droit réel accessoire au droit de propriété, ne saurait grever indéfiniment un fonds sans être effectivement exercée.
La difficulté réside dans la nature même de l’acte d’exercice d’une servitude de passage occasionnel. Contrairement à une servitude de vue ou d’écoulement des eaux, dont l’exercice est continu et apparent, la servitude de transit pour travaux exceptionnels ne laisse que peu de traces matérielles. Le bénéficiaire se trouve ainsi contraint de conserver des preuves documentaires sur une période de trois décennies, ce qui constitue une charge considérable.
B. L’appréciation souple des éléments probatoires par le juge des référés
Face aux contestations de l’appelant sur l’authenticité du bon d’intervention produit, la cour d’appel de Versailles adopte une position mesurée. Elle relève que « les incohérences de ce document mises en exergue par M. [X] dans ses écritures ne sauraient faire sérieusement douter de son authenticité ». La cour examine chaque grief soulevé et y répond de manière circonstanciée.
L’appelant avait notamment relevé que l’adresse figurant sur le document correspondait à l’ancienne adresse de la société intervenante. La cour écarte cet argument en observant que « le changement de lieu est intervenu le 1er juin 2004 et qu’il se conçoit aisément que l’entreprise ait pu continuer d’utiliser des documents datant d’avant son déménagement ». De même, s’agissant des mentions prétendument raturées ou repassées, la cour considère qu’elles laissent « toutes les hypothèses possibles ouvertes » sans permettre de conclure à une falsification.
Cette appréciation libérale de la preuve s’inscrit dans la logique du référé. Le juge des référés n’a pas à trancher définitivement la question de l’extinction de la servitude, mais seulement à apprécier si le trouble invoqué présente un caractère manifestement illicite. La cour considère qu’« il apparaît établi avec l’évidence requise en référé que la servitude de passage a été exercée avant l’acquisition de la prescription extinctive trentenaire ». Cette formulation prudente ménage l’avenir contentieux tout en permettant de mettre fin au trouble actuel.
II. L’irrecevabilité de la demande d’élargissement de l’assiette comme prétention nouvelle en appel
La cour d’appel de Versailles refuse d’examiner au fond la demande d’élargissement de la servitude en raison de son caractère nouveau (A), tout en ordonnant une expertise pour préparer un éventuel aménagement futur (B).
A. L’absence de fait nouveau justifiant la recevabilité de la prétention
Les intimés avaient formé un appel incident aux fins de voir ordonner au propriétaire du fonds servant de rétablir un passage d’une largeur minimale de trois mètres cinquante. Ils fondaient la recevabilité de cette prétention sur l’article 564 du code de procédure civile, invoquant la révélation d’un fait lors de l’usage de la servitude en décembre 2024.
La cour d’appel de Versailles rejette cette argumentation. Elle relève que « les intimés ne peuvent dès lors valablement arguer avoir découvert la modification de l’assiette de la servitude dont ils allèguent seulement lors de l’usage de la servitude le 19 décembre 2024 ». La cour s’appuie sur une correspondance antérieure datée du 19 octobre 2021 dans laquelle les bénéficiaires de la servitude évoquaient déjà la présence d’un escalier entravant le passage.
Cette solution s’inscrit dans une conception stricte de la notion de fait nouveau. La révélation d’un fait suppose une découverte postérieure aux débats de première instance. Tel n’est pas le cas lorsque le demandeur avait connaissance des éléments en cause avant même l’introduction de l’instance initiale. La cour sanctionne ainsi une stratégie procédurale consistant à différer une prétention pour la présenter comme nouvelle en appel.
Surabondamment, la cour relève que la demande était en tout état de cause infondée. Elle observe que « les modalités d’exercice de la servitude litigieuse, telles décrites dans l’acte de 1985, ne font en aucun cas état d’un passage de 3,5 mètres minimum dans le jardin de M. [X] permettant le passage d’un véhicule automobile ». Cette motivation subsidiaire renforce la solution retenue en démontrant que l’irrecevabilité n’a pas privé les intimés d’une chance réelle de succès.
B. L’ouverture d’une expertise en vue d’un éventuel déplacement de l’assiette
Infirmant l’ordonnance de première instance sur ce point, la cour d’appel de Versailles ordonne une mesure d’expertise judiciaire. Elle relève que « M. [X], qui souhaite faire procéder à une extension de sa maison, est susceptible de solliciter l’application » de l’article 701 du code civil permettant au propriétaire du fonds servant de demander le déplacement de l’assiette de la servitude.
L’article 701 du code civil subordonne cette faculté à une double condition. L’assignation primitive doit être devenue plus onéreuse pour le propriétaire du fonds assujetti ou l’empêcher de faire des réparations avantageuses. Le nouvel endroit proposé doit par ailleurs être aussi commode pour l’exercice des droits du propriétaire du fonds dominant.
La cour précise toutefois les limites de la mission expertale. Elle rappelle qu’en application de l’article 249 du code de procédure civile, « il ne peut être demander à un expert de donner un avis sur l’extinction de la servitude par non-usage ». Cette question, de nature juridique, relève de la seule appréciation du juge. L’expert devra se cantonner aux constatations techniques relatives à l’assiette de la servitude et aux conséquences de son éventuel déplacement.
Cette décision présente un intérêt pratique certain. Elle permet de concilier le respect des droits du propriétaire du fonds dominant avec les projets légitimes d’aménagement du propriétaire du fonds servant. L’expertise ordonnée préparera utilement un éventuel contentieux au fond sur le déplacement de la servitude, tout en préservant dans l’immédiat le droit de passage des bénéficiaires.