Cour d’appel de Versailles, le 2 juillet 2025, n°23/07367

Par un arrêt du 2 juillet 2025, la Cour d’appel de Versailles s’est prononcée sur la régularité de résolutions d’assemblée générale autorisant la création d’une passerelle entre deux parties d’un immeuble en copropriété. Cette décision s’inscrit dans un contentieux récurrent relatif aux travaux affectant les parties communes et à la protection des droits des copropriétaires.

Des époux, propriétaires d’un appartement au sixième étage d’un immeuble desservi par un escalier principal et un ascenseur, contestaient l’autorisation accordée par l’assemblée générale du 11 janvier 2018 à d’autres copropriétaires de créer une passerelle reliant le septième étage, desservi uniquement par un escalier de service, au sixième étage. Cette passerelle devait permettre aux bénéficiaires d’accéder à l’ascenseur pour rejoindre leur appartement, issu de la réunion d’anciennes chambres de service. Le tribunal judiciaire de Nanterre avait rejeté leurs demandes par jugement du 24 août 2023, estimant notamment que les copropriétaires bénéficiaires disposaient d’un droit acquis résultant d’une assemblée générale de 2007 et que les résolutions litigieuses ne portaient pas atteinte à la destination de l’immeuble.

La Cour d’appel de Versailles était saisie de la question de savoir si les résolutions autorisant la création de la passerelle et modifiant la répartition des charges pouvaient être annulées pour irrégularité formelle et pour atteinte à la destination de l’immeuble.

La Cour infirme le jugement et annule les résolutions contestées. Elle retient que l’assemblée générale était irrégulière au regard de l’article 13 du décret du 17 mars 1967 en raison d’une discordance entre l’ordre du jour et le contenu des résolutions adoptées. Sur le fond, elle juge que le projet « aboutit à desservir un logement, antérieurement constitué de chambres de service […] par l’ascenseur, alors qu’il n’avait pas vocation à l’être » et qu’il « y a donc modification de l’économie générale des conditions d’habitation de l’immeuble et de sa destination bourgeoise ».

Cette décision présente un intérêt certain en ce qu’elle rappelle les exigences formelles gouvernant les assemblées générales de copropriétaires (I) tout en précisant les contours de la notion de destination de l’immeuble (II).

I. Le contrôle rigoureux de la régularité formelle des assemblées générales

La Cour d’appel de Versailles sanctionne les irrégularités entachant la convocation et le déroulement de l’assemblée générale (A) avant d’écarter l’argument tiré de l’existence d’un prétendu droit acquis (B).

A. L’exigence de concordance entre l’ordre du jour et les résolutions adoptées

L’article 13 du décret du 17 mars 1967 dispose que « l’assemblée générale ne prend de décision valide que sur les questions inscrites à l’ordre du jour ». La Cour relève une discordance manifeste entre l’ordre du jour adressé aux copropriétaires et le contenu effectif des résolutions votées. L’ordre du jour de la résolution n° 17 visait uniquement l’autorisation de travaux, tandis que la délibération a également qualifié la passerelle de partie commune et réparti les charges d’entretien.

La Cour observe que « la création d’une nouvelle partie commune n’était nullement visée dans l’ordre du jour » et que la décision relative aux charges « avait une incidence nécessaire sur la clé de la répartition des charges ». Cette exigence de concordance n’est pas un formalisme tatillon. Elle garantit que les copropriétaires puissent voter en connaissance de cause sur des questions clairement identifiées.

La juridiction d’appel sanctionne également l’insuffisance des documents joints à la convocation. L’article 10 du décret du 17 mars 1967 impose que le projet de résolution portant sur des travaux affectant les parties communes soit accompagné d’un document précisant leur implantation et leur consistance. Or la Cour constate que « la hauteur disponible entre les marches de l’escalier situées au-dessous de la passerelle et celle-ci était approximative », que « le plan afférent à la passerelle n’était pas coté » et qu’« aucune note technique n’était produite ».

B. Le rejet de l’argument tiré d’un droit acquis antérieur

Le syndicat des copropriétaires invoquait une résolution de 2007 ayant donné un « accord de principe » pour la création de la passerelle. Il soutenait que cette décision, devenue définitive faute de contestation dans le délai de deux mois, conférait aux bénéficiaires un droit acquis intangible.

La Cour écarte cet argument en rappelant que « le caractère définitif d’une résolution adoptée en assemblée générale de copropriétaires n’a pas pour corollaire son irrévocabilité ». L’assemblée générale peut revenir sur une décision antérieure « dès lors que cette décision n’a pas été exécutée et que son annulation ne porte atteinte ni aux droits acquis des copropriétaires, ni à l’intérêt collectif de la copropriété ».

En l’espèce, « l’autorisation de principe donnée […] n’a pas été suivie de l’exécution des travaux ». Plus de dix années s’étaient écoulées entre l’accord de principe et la nouvelle délibération, sans commencement d’exécution. La Cour en déduit logiquement qu’« il n’y a donc pas de droit acquis ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui distingue l’autorité de la chose décidée de l’irrévocabilité absolue.

II. La protection de la destination de l’immeuble face aux travaux modificatifs

La Cour d’appel caractérise une atteinte à la destination bourgeoise de l’immeuble (A) et en tire les conséquences quant à la majorité applicable (B).

A. La caractérisation d’une modification de la destination de l’immeuble

La notion de destination de l’immeuble, visée aux articles 25 et 26 de la loi du 10 juillet 1965, constitue une limite aux pouvoirs de l’assemblée générale. Elle renvoie à l’ensemble des caractères qui définissent la nature et le standing d’un immeuble.

La Cour relève plusieurs éléments pour caractériser le standing de l’immeuble : il « ne comporte que deux appartements par étage », est « doté d’un escalier principal recouvert d’un tapis, avec une cage d’escalier spacieuse et très lumineuse comme étant bordée de baies vitrées ». Elle en déduit qu’il « est d’un certain standing ».

Le projet de passerelle porte atteinte à cette destination pour plusieurs raisons. D’abord, il « aboutit à desservir un logement, antérieurement constitué de chambres de service, dont les portes d’accès sont nettement moins luxueuses que celles des autres logements […] par l’ascenseur, alors qu’il n’avait pas vocation à l’être ». Ensuite, il entraîne « une perte de luminosité » par l’insertion d’une porte dans la baie vitrée. Enfin, il occasionne une « fréquentation accrue de l’ascenseur » avec les « nuisances sonores lors du claquement de la porte, outre les bruits de passage ou de conversation ».

La Cour observe également que la passerelle « devait prendre appui sur un mur et donc constituer une emprise sur les parties communes » et qu’elle « rendait moins commode l’utilisation de l’escalier pour y transporter des meubles ». Elle conclut qu’il « y a donc modification de l’économie générale des conditions d’habitation de l’immeuble et de sa destination bourgeoise ».

B. Les conséquences sur la majorité requise et l’impossibilité d’imposer la restructuration

La qualification d’atteinte à la destination de l’immeuble emporte des conséquences déterminantes quant à la majorité applicable. La Cour rappelle que « toute décision qui modifie la destination de l’immeuble doit être prise à l’unanimité des copropriétaires ». L’article 26 dernier alinéa de la loi du 10 juillet 1965 réserve en effet à l’unanimité l’aliénation des parties communes dont la conservation est nécessaire au respect de la destination de l’immeuble.

La Cour relève que l’assemblée générale contestée a été votée à la majorité de l’article 25, alors qu’elle « ne relevait donc pas des dispositions de l’article 25 de la loi du 10 juillet 1965 ». Cette erreur de majorité constitue un motif autonome d’annulation.

Au-delà de la question de la majorité, la Cour pose une limite de principe : les copropriétaires bénéficiaires « ne sont pas fondés à imposer à la copropriété ni aux autres copropriétaires individuellement une restructuration de l’immeuble qui aura immanquablement pour effet de valoriser leur bien de façon importante ». Cette valorisation interviendrait « sans pour autant modifier leurs tantièmes de copropriété, par hypothèse intangibles ».

La Cour écarte enfin les considérations personnelles invoquées par les bénéficiaires. L’un d’eux faisait valoir des difficultés à se déplacer en raison de lésions rhumatologiques. La juridiction répond sèchement que « ces arguments sont sans portée juridique sur le présent litige ». Cette position traduit une conception strictement objective du droit de la copropriété, insensible aux situations individuelles lorsque sont en cause les droits collectifs des copropriétaires.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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