Cour d’appel de Versailles, le 2 juillet 2025, n°22/04514
Par un arrêt du 2 juillet 2025, la cour d’appel de Versailles s’est prononcée sur un litige opposant un fabricant de parfums à son ancien distributeur et au fournisseur l’ayant remplacé, au sujet d’allégations de concurrence déloyale et de parasitisme dans le secteur de la parfumerie de voyage.
Une société spécialisée dans la fabrication de produits de parfumerie commercialisait depuis plusieurs années une gamme d’eaux de parfum présentées dans des flacons distinctifs, de couleurs variées selon les fragrances, vendues à prix modique dans les magasins d’une enseigne de distribution. Cette relation commerciale a pris fin en 2019 à l’initiative du distributeur. Quelques mois plus tard, le fabricant a découvert la commercialisation dans les mêmes magasins d’une gamme concurrente présentant des caractéristiques qu’il estimait similaires aux siennes.
Le fabricant a assigné le distributeur et le nouveau fournisseur devant le tribunal de commerce de Nanterre, invoquant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme. Par jugement du 24 juin 2022, le tribunal a rejeté l’ensemble de ses demandes, estimant que la preuve des actes déloyaux n’était pas rapportée. Le fabricant a interjeté appel de cette décision.
Devant la cour, l’appelant soutenait que le nouveau fournisseur avait repris sans nécessité les caractéristiques essentielles de sa gamme, notamment le format des flacons, les étiquettes colorées, les noms évocateurs et les modes de présentation, créant ainsi un risque de confusion. Il arguait également que cette reprise constituait un parasitisme en ce qu’elle permettait de profiter indûment de ses investissements sans effort propre.
La cour d’appel de Versailles devait déterminer si la commercialisation d’une gamme de parfums présentant des caractéristiques communes avec celle d’un concurrent caractérisait des actes de concurrence déloyale par confusion ou des actes de parasitisme.
La cour confirme le jugement entrepris. Elle rappelle que « le simple fait de copier la prestation d’autrui ne constitue pas comme tel un acte de concurrence déloyale » et que « le fait de reproduire ou de s’inspirer des produits d’un concurrent devient déloyal, donc fautif, lorsque la reproduction ou l’imitation est de nature à engendrer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle ». Elle constate que les caractéristiques communes aux deux gammes sont « relativement courantes dans le secteur de la parfumerie » et que les produits concurrents se distinguent par « une identité visuelle prononcée » propre. S’agissant du parasitisme, la cour énonce que « les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme ».
La solution retenue par la cour d’appel de Versailles invite à examiner les conditions de caractérisation des actes de concurrence déloyale par confusion (I), avant d’analyser les limites de la protection contre le parasitisme économique (II).
I. Le risque de confusion, critère déterminant de la concurrence déloyale par imitation
La cour rappelle le principe de liberté qui gouverne la matière (A) puis applique une méthode d’appréciation fondée sur l’impression d’ensemble (B).
A. La réaffirmation du principe de libre reproduction des prestations non protégées
La cour d’appel de Versailles pose en préambule le cadre juridique applicable. Elle rappelle que « la liberté du commerce et la libre concurrence restant le principe, le simple fait de copier la prestation d’autrui ne constitue pas comme tel un acte de concurrence déloyale ». Cette formulation reprend une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui refuse de sanctionner l’imitation en elle-même lorsque la prestation copiée ne bénéficie d’aucune protection par un droit de propriété intellectuelle.
L’arrêt précise que « le principe étant qu’une prestation qui ne fait pas ou ne fait plus l’objet de droit de propriété intellectuelle peut être librement reproduite ». Cette affirmation délimite clairement le champ de la concurrence déloyale par rapport à celui de la propriété intellectuelle. Le droit commun de la responsabilité civile ne peut servir à reconstituer un monopole que le législateur n’a pas voulu accorder ou qui a expiré.
La cour subordonne ensuite la qualification de comportement déloyal à une condition précise. La reproduction ou l’imitation devient fautive « lorsque la reproduction ou l’imitation est de nature à engendrer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ». Le risque de confusion constitue ainsi l’élément qui transforme un comportement licite en faute au sens de l’article 1240 du code civil.
Cette exigence se justifie par la nécessité de concilier deux impératifs. D’une part, la protection de l’investissement et de l’effort créatif des opérateurs économiques. D’autre part, le maintien d’une concurrence effective qui profite aux consommateurs par la diversité de l’offre et la modération des prix.
B. L’appréciation in concreto du risque de confusion
La cour procède à un examen méthodique des éléments de ressemblance invoqués par l’appelant. Elle reconnaît l’existence de « caractéristiques communes » entre les deux gammes, tenant au format des flacons, aux étiquettes colorées, aux noms évocateurs et aux modes de présentation. L’examen visuel fait ressortir des similarités objectives.
La cour neutralise ces ressemblances par deux considérations successives. Elle observe d’abord que ces caractéristiques sont « guidées pour certaines par la nécessité de répondre aux besoins d’une même clientèle » et qu’elles sont « relativement courantes dans le secteur de la parfumerie ». Des éléments communs imposés par la fonctionnalité du produit ou banalisés par les usages du secteur ne peuvent fonder une action en concurrence déloyale.
La cour constate ensuite que les produits concurrents « se distinguent nettement du fait de l’identité visuelle prononcée » caractérisée par une charte graphique particulière. Elle souligne que la dénomination apparaît « en gros caractères très apparents » et sera perçue « comme une marque par le consommateur et non comme un simple élément décoratif ». L’existence d’éléments distinctifs suffisamment marqués neutralise les ressemblances.
La méthode d’appréciation retenue se fonde sur « l’impression d’ensemble produite par ces derniers auprès du public ». Cette approche globale, inspirée du droit des marques, évite une comparaison analytique élément par élément qui pourrait artificiellement grossir les similitudes. La cour en déduit que le public ne sera pas conduit « à se méprendre sur leur origine ou à croire qu’ils sont commercialisés par une entreprise économiquement liée » à l’appelant.
II. Les contours restrictifs de la protection contre le parasitisme économique
La cour définit les conditions du parasitisme (A) avant de refuser d’y voir un instrument de monopolisation des concepts commerciaux (B).
A. L’exigence d’une valeur économique individualisée
La cour rappelle la définition du parasitisme économique, forme de déloyauté « qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ». Cette définition classique fait du parasitisme un comportement d’appropriation indue de la valeur créée par autrui.
L’appelant invoquait une « valeur économique individualisée, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements ». Elle se prévalait de ses efforts de recherche et développement, du dépôt de marques et modèles, de la conception de présentoirs spécifiques. Le succès commercial de la gamme, attesté par des distinctions professionnelles, démontrait selon elle la valeur créée.
La cour refuse de reconnaître l’existence d’une telle valeur individualisée. Elle observe que les caractéristiques invoquées « visent à répondre aux besoins d’une même clientèle et/ou étaient déjà répandues parmi les acteurs du secteur ». La banalité des éléments repris fait obstacle à leur appropriation par un seul opérateur. Le format de voyage et le prix modique correspondent à un segment de marché préexistant.
La cour ajoute que la gamme concurrente « dispose d’une identité propre et distincte ». Cette circonstance exclut l’idée d’un placement dans le sillage d’un autre. L’opérateur qui développe ses propres signes distinctifs ne cherche pas à profiter de la notoriété d’autrui mais à construire la sienne.
B. Le refus de sanctionner la reprise des concepts commerciaux
La cour énonce un principe général selon lequel « les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme ». Cette formulation reprend la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la libre circulation des idées et concepts.
L’enjeu pratique de cette solution est considérable. L’appelant sollicitait la condamnation in solidum des intimées à des dommages et intérêts substantiels ainsi que des mesures d’interdiction et de destruction sous astreinte. L’accueil de telles demandes aurait conféré un monopole de fait sur un segment de marché.
La cour écarte également l’argument tiré de la présence d’une ancienne salariée. Elle note que cette personne « avait quitté ses fonctions à la date du lancement de la gamme » concurrente. Elle ajoute que ce fait est « insuffisant à démontrer un comportement déloyal » qui « ne peut découler de simples présomptions ». La coïncidence de parcours professionnels ne suffit pas à établir une captation déloyale de savoir-faire.
La portée de l’arrêt dépasse le cas d’espèce. La cour refuse de faire du parasitisme un instrument de protection des positions acquises contre l’entrée de nouveaux concurrents. Les opérateurs économiques demeurent libres de s’inspirer des concepts commerciaux de leurs rivaux dès lors qu’ils développent leur propre identité et n’entretiennent pas de confusion sur l’origine des produits. Cette solution préserve le dynamisme concurrentiel du marché.
Par un arrêt du 2 juillet 2025, la cour d’appel de Versailles s’est prononcée sur un litige opposant un fabricant de parfums à son ancien distributeur et au fournisseur l’ayant remplacé, au sujet d’allégations de concurrence déloyale et de parasitisme dans le secteur de la parfumerie de voyage.
Une société spécialisée dans la fabrication de produits de parfumerie commercialisait depuis plusieurs années une gamme d’eaux de parfum présentées dans des flacons distinctifs, de couleurs variées selon les fragrances, vendues à prix modique dans les magasins d’une enseigne de distribution. Cette relation commerciale a pris fin en 2019 à l’initiative du distributeur. Quelques mois plus tard, le fabricant a découvert la commercialisation dans les mêmes magasins d’une gamme concurrente présentant des caractéristiques qu’il estimait similaires aux siennes.
Le fabricant a assigné le distributeur et le nouveau fournisseur devant le tribunal de commerce de Nanterre, invoquant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme. Par jugement du 24 juin 2022, le tribunal a rejeté l’ensemble de ses demandes, estimant que la preuve des actes déloyaux n’était pas rapportée. Le fabricant a interjeté appel de cette décision.
Devant la cour, l’appelant soutenait que le nouveau fournisseur avait repris sans nécessité les caractéristiques essentielles de sa gamme, notamment le format des flacons, les étiquettes colorées, les noms évocateurs et les modes de présentation, créant ainsi un risque de confusion. Il arguait également que cette reprise constituait un parasitisme en ce qu’elle permettait de profiter indûment de ses investissements sans effort propre.
La cour d’appel de Versailles devait déterminer si la commercialisation d’une gamme de parfums présentant des caractéristiques communes avec celle d’un concurrent caractérisait des actes de concurrence déloyale par confusion ou des actes de parasitisme.
La cour confirme le jugement entrepris. Elle rappelle que « le simple fait de copier la prestation d’autrui ne constitue pas comme tel un acte de concurrence déloyale » et que « le fait de reproduire ou de s’inspirer des produits d’un concurrent devient déloyal, donc fautif, lorsque la reproduction ou l’imitation est de nature à engendrer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle ». Elle constate que les caractéristiques communes aux deux gammes sont « relativement courantes dans le secteur de la parfumerie » et que les produits concurrents se distinguent par « une identité visuelle prononcée » propre. S’agissant du parasitisme, la cour énonce que « les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme ».
La solution retenue par la cour d’appel de Versailles invite à examiner les conditions de caractérisation des actes de concurrence déloyale par confusion (I), avant d’analyser les limites de la protection contre le parasitisme économique (II).
I. Le risque de confusion, critère déterminant de la concurrence déloyale par imitation
La cour rappelle le principe de liberté qui gouverne la matière (A) puis applique une méthode d’appréciation fondée sur l’impression d’ensemble (B).
A. La réaffirmation du principe de libre reproduction des prestations non protégées
La cour d’appel de Versailles pose en préambule le cadre juridique applicable. Elle rappelle que « la liberté du commerce et la libre concurrence restant le principe, le simple fait de copier la prestation d’autrui ne constitue pas comme tel un acte de concurrence déloyale ». Cette formulation reprend une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui refuse de sanctionner l’imitation en elle-même lorsque la prestation copiée ne bénéficie d’aucune protection par un droit de propriété intellectuelle.
L’arrêt précise que « le principe étant qu’une prestation qui ne fait pas ou ne fait plus l’objet de droit de propriété intellectuelle peut être librement reproduite ». Cette affirmation délimite clairement le champ de la concurrence déloyale par rapport à celui de la propriété intellectuelle. Le droit commun de la responsabilité civile ne peut servir à reconstituer un monopole que le législateur n’a pas voulu accorder ou qui a expiré.
La cour subordonne ensuite la qualification de comportement déloyal à une condition précise. La reproduction ou l’imitation devient fautive « lorsque la reproduction ou l’imitation est de nature à engendrer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ». Le risque de confusion constitue ainsi l’élément qui transforme un comportement licite en faute au sens de l’article 1240 du code civil.
Cette exigence se justifie par la nécessité de concilier deux impératifs. D’une part, la protection de l’investissement et de l’effort créatif des opérateurs économiques. D’autre part, le maintien d’une concurrence effective qui profite aux consommateurs par la diversité de l’offre et la modération des prix.
B. L’appréciation in concreto du risque de confusion
La cour procède à un examen méthodique des éléments de ressemblance invoqués par l’appelant. Elle reconnaît l’existence de « caractéristiques communes » entre les deux gammes, tenant au format des flacons, aux étiquettes colorées, aux noms évocateurs et aux modes de présentation. L’examen visuel fait ressortir des similarités objectives.
La cour neutralise ces ressemblances par deux considérations successives. Elle observe d’abord que ces caractéristiques sont « guidées pour certaines par la nécessité de répondre aux besoins d’une même clientèle » et qu’elles sont « relativement courantes dans le secteur de la parfumerie ». Des éléments communs imposés par la fonctionnalité du produit ou banalisés par les usages du secteur ne peuvent fonder une action en concurrence déloyale.
La cour constate ensuite que les produits concurrents « se distinguent nettement du fait de l’identité visuelle prononcée » caractérisée par une charte graphique particulière. Elle souligne que la dénomination apparaît « en gros caractères très apparents » et sera perçue « comme une marque par le consommateur et non comme un simple élément décoratif ». L’existence d’éléments distinctifs suffisamment marqués neutralise les ressemblances.
La méthode d’appréciation retenue se fonde sur « l’impression d’ensemble produite par ces derniers auprès du public ». Cette approche globale, inspirée du droit des marques, évite une comparaison analytique élément par élément qui pourrait artificiellement grossir les similitudes. La cour en déduit que le public ne sera pas conduit « à se méprendre sur leur origine ou à croire qu’ils sont commercialisés par une entreprise économiquement liée » à l’appelant.
II. Les contours restrictifs de la protection contre le parasitisme économique
La cour définit les conditions du parasitisme (A) avant de refuser d’y voir un instrument de monopolisation des concepts commerciaux (B).
A. L’exigence d’une valeur économique individualisée
La cour rappelle la définition du parasitisme économique, forme de déloyauté « qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ». Cette définition classique fait du parasitisme un comportement d’appropriation indue de la valeur créée par autrui.
L’appelant invoquait une « valeur économique individualisée, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements ». Elle se prévalait de ses efforts de recherche et développement, du dépôt de marques et modèles, de la conception de présentoirs spécifiques. Le succès commercial de la gamme, attesté par des distinctions professionnelles, démontrait selon elle la valeur créée.
La cour refuse de reconnaître l’existence d’une telle valeur individualisée. Elle observe que les caractéristiques invoquées « visent à répondre aux besoins d’une même clientèle et/ou étaient déjà répandues parmi les acteurs du secteur ». La banalité des éléments repris fait obstacle à leur appropriation par un seul opérateur. Le format de voyage et le prix modique correspondent à un segment de marché préexistant.
La cour ajoute que la gamme concurrente « dispose d’une identité propre et distincte ». Cette circonstance exclut l’idée d’un placement dans le sillage d’un autre. L’opérateur qui développe ses propres signes distinctifs ne cherche pas à profiter de la notoriété d’autrui mais à construire la sienne.
B. Le refus de sanctionner la reprise des concepts commerciaux
La cour énonce un principe général selon lequel « les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme ». Cette formulation reprend la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la libre circulation des idées et concepts.
L’enjeu pratique de cette solution est considérable. L’appelant sollicitait la condamnation in solidum des intimées à des dommages et intérêts substantiels ainsi que des mesures d’interdiction et de destruction sous astreinte. L’accueil de telles demandes aurait conféré un monopole de fait sur un segment de marché.
La cour écarte également l’argument tiré de la présence d’une ancienne salariée. Elle note que cette personne « avait quitté ses fonctions à la date du lancement de la gamme » concurrente. Elle ajoute que ce fait est « insuffisant à démontrer un comportement déloyal » qui « ne peut découler de simples présomptions ». La coïncidence de parcours professionnels ne suffit pas à établir une captation déloyale de savoir-faire.
La portée de l’arrêt dépasse le cas d’espèce. La cour refuse de faire du parasitisme un instrument de protection des positions acquises contre l’entrée de nouveaux concurrents. Les opérateurs économiques demeurent libres de s’inspirer des concepts commerciaux de leurs rivaux dès lors qu’ils développent leur propre identité et n’entretiennent pas de confusion sur l’origine des produits. Cette solution préserve le dynamisme concurrentiel du marché.