Cour d’appel de Toulouse, le 8 juillet 2025, n°23/00334
Le contentieux de la garantie des vices cachés en matière de vente automobile donne régulièrement lieu à des difficultés probatoires, notamment lorsque les désordres électroniques demeurent partiellement inexpliqués. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse le 8 juillet 2025 en constitue une illustration significative.
Une acquéreuse avait fait l’acquisition, le 29 mai 2015, d’un véhicule utilitaire neuf auprès d’un concessionnaire, pour un prix de 19 300 euros. Ce véhicule avait été importé par le fabricant, qui l’avait vendu au concessionnaire le 21 avril 2015. Dès les premiers mois d’utilisation, le véhicule a présenté de multiples dysfonctionnements électroniques : impossibilité de démarrer, défaillance du régulateur de vitesse, allumage intempestif de voyants, dysfonctionnement des feux stop. Malgré plusieurs interventions du concessionnaire, les désordres ont persisté. Une expertise judiciaire a été ordonnée. L’expert a conclu à l’existence de désordres électroniques rendant le véhicule « potentiellement dangereux » et a relevé la persistance d’un code défaut dans le calculateur, sans pouvoir en déterminer la cause précise.
L’acquéreuse a assigné le concessionnaire et l’importateur en résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés. Le tribunal judiciaire de Toulouse, par jugement du 16 décembre 2022, a prononcé la résolution de la vente et condamné solidairement les deux sociétés à indemniser l’acquéreuse de divers préjudices. L’importateur a interjeté appel, contestant principalement l’existence d’un vice caché en l’absence de détermination précise de la cause des désordres.
La question posée à la Cour d’appel de Toulouse était de savoir si la persistance de dysfonctionnements électroniques, dont la cause exacte n’a pu être identifiée par l’expert, pouvait caractériser un vice caché au sens de l’article 1641 du Code civil et justifier la résolution de la vente.
La Cour d’appel de Toulouse confirme partiellement le jugement. Elle retient que les dysfonctionnements électriques, attribués notamment à « la faiblesse structurelle, et donc préalable à la vente, de différents contacteurs », caractérisent un vice caché rendant le véhicule impropre à son usage. Elle précise que « le fait de connaître l’origine exacte des désordres n’étant pas une condition de recevabilité ni de succès de l’action en garantie des vices cachés ». La Cour confirme la résolution de la vente et la restitution intégrale du prix, mais réforme significativement les indemnisations accordées en première instance.
La décision présente un double intérêt. Elle précise les conditions de caractérisation du vice caché lorsque la cause exacte des désordres demeure indéterminée (I). Elle opère également une révision substantielle de l’évaluation des préjudices consécutifs à la résolution de la vente (II).
I. La caractérisation du vice caché en présence de désordres à l’origine indéterminée
La Cour adopte une conception fonctionnelle du vice caché qui dispense d’identifier précisément sa cause (A), tout en maintenant une exigence stricte quant à la preuve de son antériorité à la vente (B).
A. L’admission d’un vice caché sans identification précise de sa cause
L’appelante soutenait que l’action en garantie des vices cachés supposait que le défaut soit « déterminé avec précision » et que son existence soit « incontestable ». Elle arguait que l’expert judiciaire n’ayant pu identifier la cause exacte des dysfonctionnements, les conditions de l’article 1641 du Code civil n’étaient pas réunies.
La Cour rejette cette argumentation. Elle retient que la ré-apparition du code défaut, « effacé à plusieurs reprises », démontre que « les désordres affectant le véhicule n’ont pas été résolus ». Elle en déduit que les dysfonctionnements électriques caractérisent un vice caché, précisant expressément que « le fait de connaître l’origine exacte des désordres n’étant pas une condition de recevabilité ni de succès de l’action en garantie des vices cachés ».
Cette position s’inscrit dans une jurisprudence établie. L’article 1641 du Code civil exige que le défaut rende la chose « impropre à l’usage auquel on la destine » ou diminue « tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise ». Le texte ne subordonne pas la garantie à l’identification de la cause technique du défaut. La Cour de cassation admet de longue date qu’il suffit de démontrer l’existence d’un défaut affectant l’usage de la chose, sans qu’il soit nécessaire d’en connaître l’origine précise.
En l’espèce, l’expert avait constaté que les désordres rendaient le véhicule « non adéquat à son usage » et présentant « des risques pour la sécurité des personnes ». Ces constatations suffisaient à caractériser le vice, indépendamment de l’impossibilité de déterminer si le défaut provenait « d’un module et/ou du calculateur » ou « d’un connecteur sur le circuit électrique ».
B. L’exigence maintenue de l’antériorité du vice à la vente
Si la Cour dispense de l’identification précise de la cause du vice, elle maintient l’exigence de son antériorité à la vente. Elle relève que les dysfonctionnements étaient « attribués notamment à la faiblesse structurelle, et donc préalable à la vente, de différents contacteurs ».
L’expert avait conclu à « une probable faiblesse et/ou défaillance structurelle » de l’ancien modèle de contacteur. La Cour retient cette analyse pour caractériser l’antériorité du vice. Elle note également que le code défaut litigieux « était apparu dès le 26 février 2016 », soit moins d’un an après l’acquisition du véhicule, ce qui corrobore l’existence d’un défaut originel.
Cette approche est conforme aux principes gouvernant la garantie des vices cachés. L’acquéreur doit démontrer que le vice existait, au moins en germe, au moment de la vente. La notion de « faiblesse structurelle » permet de remonter à l’origine de fabrication, sans exiger la preuve d’un défaut immédiatement apparent lors de la livraison.
La Cour tire également les conséquences de cette antériorité quant à l’appel en garantie. Elle condamne l’importateur à garantir le concessionnaire des condamnations prononcées, relevant que « les désordres étaient liés à l’existence d’une pièce défectueuse à l’origine » et que l’expert avait noté qu’ils « n’étaient pas la conséquence d’une mauvaise exécution de sa prestation » par le concessionnaire.
II. La révision substantielle de l’évaluation des préjudices
La Cour procède à une réduction significative des préjudices indemnisables (A), tout en maintenant certaines indemnisations légitimement liées à la résolution de la vente (B).
A. Le rejet des préjudices insuffisamment caractérisés
La Cour infirme le jugement sur plusieurs chefs de préjudice. Elle rejette intégralement la demande au titre du préjudice de jouissance partielle, pour laquelle le tribunal avait alloué 7 891,20 euros. Elle relève que « le véhicule est demeuré roulant sauf aux dates d’intervention chez le garagiste » et que lors de ces immobilisations, il avait été procédé à « un prêt gracieux de véhicule ». L’acquéreuse n’établissait pas que « le véhicule prêté gracieusement ne correspondait pas à l’usage qu’elle faisait habituellement du véhicule ».
S’agissant du préjudice moral de 4 000 euros, la Cour le rejette également. Elle reconnaît certes que « l’anxiété résultant de l’exposition à un risque de dommage constitue un préjudice indemnisable ». Toutefois, elle observe que l’acquéreuse « ne pouvait avoir conscience du court-circuit à l’origine des désordres électriques » et que « l’historique de l’utilisation du véhicule n’établit pas qu’elle en a restreint l’utilisation en raison d’une anxiété particulière ».
La Cour écarte également la demande au titre de la perte du droit à la libre disposition du véhicule, pour laquelle 1 000 euros avaient été alloués. Elle constate que l’acquéreuse « n’établit pas qu’elle a refusé une offre d’achat en raison des désordres » et qu’elle « a conservé, nonobstant les interventions survenues du chef des désordres, la libre disposition du véhicule et son utilisation ».
Cette rigueur probatoire s’inscrit dans la jurisprudence constante exigeant que chaque chef de préjudice soit démontré dans son principe et son quantum. La Cour refuse toute indemnisation forfaitaire qui ne reposerait pas sur des éléments concrets.
B. Le maintien des indemnisations directement liées à la résolution
La Cour maintient certaines condamnations du jugement. Elle confirme le remboursement des frais d’expertise amiable de 800 euros et des frais d’huissier de 324,09 euros, exposés « aux fins de constatation » des désordres.
Elle ajoute une condamnation au remboursement du coût du certificat d’immatriculation de 317,66 euros, infirmant le jugement qui avait écarté cette demande. La Cour relève qu’il s’agissait « d’une dépense directement liée à la vente du véhicule ». Cette solution est conforme à la logique restitutoire de la résolution, qui doit replacer l’acquéreur dans l’état antérieur à la vente.
S’agissant du préjudice de jouissance totale, la Cour substitue au montant de 511 euros alloué par le tribunal une indemnité de 193 euros. Elle écarte le calcul fondé sur un tarif de location, l’acquéreuse n’ayant « exposé aucune dépense de location de véhicules ». Elle retient une méthode d’évaluation fondée sur « 1/1000ème de la valeur du véhicule », soit 19,30 euros par jour pour dix jours d’immobilisation.
La Cour confirme par ailleurs la restitution intégrale du prix de vente sans déduction, rappelant qu’« après résolution d’une vente, le vendeur est tenu de restituer le prix qu’il a reçu, sans diminution liée à l’utilisation de la chose vendue ». Cette règle, fondée sur l’article 1352-1 du Code civil, ne permet de retenir que les « dégradations et détériorations », à l’exclusion de « la simple vétusté ».
Le contentieux de la garantie des vices cachés en matière de vente automobile donne régulièrement lieu à des difficultés probatoires, notamment lorsque les désordres électroniques demeurent partiellement inexpliqués. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse le 8 juillet 2025 en constitue une illustration significative.
Une acquéreuse avait fait l’acquisition, le 29 mai 2015, d’un véhicule utilitaire neuf auprès d’un concessionnaire, pour un prix de 19 300 euros. Ce véhicule avait été importé par le fabricant, qui l’avait vendu au concessionnaire le 21 avril 2015. Dès les premiers mois d’utilisation, le véhicule a présenté de multiples dysfonctionnements électroniques : impossibilité de démarrer, défaillance du régulateur de vitesse, allumage intempestif de voyants, dysfonctionnement des feux stop. Malgré plusieurs interventions du concessionnaire, les désordres ont persisté. Une expertise judiciaire a été ordonnée. L’expert a conclu à l’existence de désordres électroniques rendant le véhicule « potentiellement dangereux » et a relevé la persistance d’un code défaut dans le calculateur, sans pouvoir en déterminer la cause précise.
L’acquéreuse a assigné le concessionnaire et l’importateur en résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés. Le tribunal judiciaire de Toulouse, par jugement du 16 décembre 2022, a prononcé la résolution de la vente et condamné solidairement les deux sociétés à indemniser l’acquéreuse de divers préjudices. L’importateur a interjeté appel, contestant principalement l’existence d’un vice caché en l’absence de détermination précise de la cause des désordres.
La question posée à la Cour d’appel de Toulouse était de savoir si la persistance de dysfonctionnements électroniques, dont la cause exacte n’a pu être identifiée par l’expert, pouvait caractériser un vice caché au sens de l’article 1641 du Code civil et justifier la résolution de la vente.
La Cour d’appel de Toulouse confirme partiellement le jugement. Elle retient que les dysfonctionnements électriques, attribués notamment à « la faiblesse structurelle, et donc préalable à la vente, de différents contacteurs », caractérisent un vice caché rendant le véhicule impropre à son usage. Elle précise que « le fait de connaître l’origine exacte des désordres n’étant pas une condition de recevabilité ni de succès de l’action en garantie des vices cachés ». La Cour confirme la résolution de la vente et la restitution intégrale du prix, mais réforme significativement les indemnisations accordées en première instance.
La décision présente un double intérêt. Elle précise les conditions de caractérisation du vice caché lorsque la cause exacte des désordres demeure indéterminée (I). Elle opère également une révision substantielle de l’évaluation des préjudices consécutifs à la résolution de la vente (II).
I. La caractérisation du vice caché en présence de désordres à l’origine indéterminée
La Cour adopte une conception fonctionnelle du vice caché qui dispense d’identifier précisément sa cause (A), tout en maintenant une exigence stricte quant à la preuve de son antériorité à la vente (B).
A. L’admission d’un vice caché sans identification précise de sa cause
L’appelante soutenait que l’action en garantie des vices cachés supposait que le défaut soit « déterminé avec précision » et que son existence soit « incontestable ». Elle arguait que l’expert judiciaire n’ayant pu identifier la cause exacte des dysfonctionnements, les conditions de l’article 1641 du Code civil n’étaient pas réunies.
La Cour rejette cette argumentation. Elle retient que la ré-apparition du code défaut, « effacé à plusieurs reprises », démontre que « les désordres affectant le véhicule n’ont pas été résolus ». Elle en déduit que les dysfonctionnements électriques caractérisent un vice caché, précisant expressément que « le fait de connaître l’origine exacte des désordres n’étant pas une condition de recevabilité ni de succès de l’action en garantie des vices cachés ».
Cette position s’inscrit dans une jurisprudence établie. L’article 1641 du Code civil exige que le défaut rende la chose « impropre à l’usage auquel on la destine » ou diminue « tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise ». Le texte ne subordonne pas la garantie à l’identification de la cause technique du défaut. La Cour de cassation admet de longue date qu’il suffit de démontrer l’existence d’un défaut affectant l’usage de la chose, sans qu’il soit nécessaire d’en connaître l’origine précise.
En l’espèce, l’expert avait constaté que les désordres rendaient le véhicule « non adéquat à son usage » et présentant « des risques pour la sécurité des personnes ». Ces constatations suffisaient à caractériser le vice, indépendamment de l’impossibilité de déterminer si le défaut provenait « d’un module et/ou du calculateur » ou « d’un connecteur sur le circuit électrique ».
B. L’exigence maintenue de l’antériorité du vice à la vente
Si la Cour dispense de l’identification précise de la cause du vice, elle maintient l’exigence de son antériorité à la vente. Elle relève que les dysfonctionnements étaient « attribués notamment à la faiblesse structurelle, et donc préalable à la vente, de différents contacteurs ».
L’expert avait conclu à « une probable faiblesse et/ou défaillance structurelle » de l’ancien modèle de contacteur. La Cour retient cette analyse pour caractériser l’antériorité du vice. Elle note également que le code défaut litigieux « était apparu dès le 26 février 2016 », soit moins d’un an après l’acquisition du véhicule, ce qui corrobore l’existence d’un défaut originel.
Cette approche est conforme aux principes gouvernant la garantie des vices cachés. L’acquéreur doit démontrer que le vice existait, au moins en germe, au moment de la vente. La notion de « faiblesse structurelle » permet de remonter à l’origine de fabrication, sans exiger la preuve d’un défaut immédiatement apparent lors de la livraison.
La Cour tire également les conséquences de cette antériorité quant à l’appel en garantie. Elle condamne l’importateur à garantir le concessionnaire des condamnations prononcées, relevant que « les désordres étaient liés à l’existence d’une pièce défectueuse à l’origine » et que l’expert avait noté qu’ils « n’étaient pas la conséquence d’une mauvaise exécution de sa prestation » par le concessionnaire.
II. La révision substantielle de l’évaluation des préjudices
La Cour procède à une réduction significative des préjudices indemnisables (A), tout en maintenant certaines indemnisations légitimement liées à la résolution de la vente (B).
A. Le rejet des préjudices insuffisamment caractérisés
La Cour infirme le jugement sur plusieurs chefs de préjudice. Elle rejette intégralement la demande au titre du préjudice de jouissance partielle, pour laquelle le tribunal avait alloué 7 891,20 euros. Elle relève que « le véhicule est demeuré roulant sauf aux dates d’intervention chez le garagiste » et que lors de ces immobilisations, il avait été procédé à « un prêt gracieux de véhicule ». L’acquéreuse n’établissait pas que « le véhicule prêté gracieusement ne correspondait pas à l’usage qu’elle faisait habituellement du véhicule ».
S’agissant du préjudice moral de 4 000 euros, la Cour le rejette également. Elle reconnaît certes que « l’anxiété résultant de l’exposition à un risque de dommage constitue un préjudice indemnisable ». Toutefois, elle observe que l’acquéreuse « ne pouvait avoir conscience du court-circuit à l’origine des désordres électriques » et que « l’historique de l’utilisation du véhicule n’établit pas qu’elle en a restreint l’utilisation en raison d’une anxiété particulière ».
La Cour écarte également la demande au titre de la perte du droit à la libre disposition du véhicule, pour laquelle 1 000 euros avaient été alloués. Elle constate que l’acquéreuse « n’établit pas qu’elle a refusé une offre d’achat en raison des désordres » et qu’elle « a conservé, nonobstant les interventions survenues du chef des désordres, la libre disposition du véhicule et son utilisation ».
Cette rigueur probatoire s’inscrit dans la jurisprudence constante exigeant que chaque chef de préjudice soit démontré dans son principe et son quantum. La Cour refuse toute indemnisation forfaitaire qui ne reposerait pas sur des éléments concrets.
B. Le maintien des indemnisations directement liées à la résolution
La Cour maintient certaines condamnations du jugement. Elle confirme le remboursement des frais d’expertise amiable de 800 euros et des frais d’huissier de 324,09 euros, exposés « aux fins de constatation » des désordres.
Elle ajoute une condamnation au remboursement du coût du certificat d’immatriculation de 317,66 euros, infirmant le jugement qui avait écarté cette demande. La Cour relève qu’il s’agissait « d’une dépense directement liée à la vente du véhicule ». Cette solution est conforme à la logique restitutoire de la résolution, qui doit replacer l’acquéreur dans l’état antérieur à la vente.
S’agissant du préjudice de jouissance totale, la Cour substitue au montant de 511 euros alloué par le tribunal une indemnité de 193 euros. Elle écarte le calcul fondé sur un tarif de location, l’acquéreuse n’ayant « exposé aucune dépense de location de véhicules ». Elle retient une méthode d’évaluation fondée sur « 1/1000ème de la valeur du véhicule », soit 19,30 euros par jour pour dix jours d’immobilisation.
La Cour confirme par ailleurs la restitution intégrale du prix de vente sans déduction, rappelant qu’« après résolution d’une vente, le vendeur est tenu de restituer le prix qu’il a reçu, sans diminution liée à l’utilisation de la chose vendue ». Cette règle, fondée sur l’article 1352-1 du Code civil, ne permet de retenir que les « dégradations et détériorations », à l’exclusion de « la simple vétusté ».