Cour d’appel de Rouen, le 13 août 2025, n°24/01619

L’accession immobilière constitue l’un des modes originaux d’acquisition de la propriété, permettant au propriétaire du sol de devenir propriétaire des constructions qui y sont édifiées. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Rouen le 13 août 2025 illustre les difficultés pratiques que soulève l’indemnisation du tiers constructeur lorsqu’un sinistre survient entre la conclusion de l’accord sur le montant de l’indemnité et son règlement effectif.

En l’espèce, une association avait fait construire en 1976 une salle des fêtes sur un terrain appartenant à une indivision qui lui avait été gracieusement mis à disposition. En 2019, l’indivision souhaita récupérer le terrain pour vendre le domaine. Des pourparlers s’engagèrent entre l’association et le futur acquéreur du domaine pour la cession de la salle des fêtes. Une tempête survenue le 9 décembre 2019 endommagea le bâtiment. La vente du domaine intervint le 16 décembre 2019. Par courrier du 3 février 2020, l’acquéreur s’engagea à verser à l’association une indemnité de 29 000 euros pour l’acquisition de la salle, à condition que celle-ci procède à sa remise en état. Il effectua deux virements de 5 000 euros chacun en avril 2020 et juillet 2021. L’association l’assigna en paiement du solde de l’indemnité d’accession.

Le tribunal judiciaire du Havre, par jugement du 28 mars 2024, condamna l’acquéreur à payer la somme de 9 131,52 euros avec intérêts. Celui-ci interjeta appel, soutenant principalement que le prix convenu était devenu caduc à la suite du sinistre et que l’association devait lui restituer une partie des indemnités d’assurance perçues. L’association sollicita la confirmation du jugement et des dommages et intérêts pour appel abusif.

La cour d’appel devait déterminer si l’accord sur l’indemnité d’accession était devenu caduc en raison du sinistre et dans quelle mesure les indemnités d’assurance perçues par l’association devaient être reversées à l’acquéreur.

La cour d’appel de Rouen confirme partiellement le jugement entrepris. Elle juge que l’indemnité d’accession de 29 000 euros n’est pas devenue caduque, aucun nouvel accord n’étant intervenu postérieurement au sinistre. Elle retient que l’association devait reverser à l’acquéreur 27 158,35 euros au titre des indemnités d’assurance, après déduction des seuls frais d’urgence justifiés. Après compensation entre le solde de 19 000 euros dû par l’acquéreur et la somme de 10 028,48 euros que l’association aurait dû lui reverser, elle condamne l’acquéreur à payer 8 971,52 euros avec intérêts.

Cette décision mérite examen tant au regard de la persistance de l’obligation d’indemnisation du tiers constructeur malgré le sinistre (I) qu’au regard de l’articulation entre indemnité d’accession et indemnités d’assurance par le mécanisme de la compensation (II).

I. La persistance de l’obligation d’indemnisation malgré le sinistre

L’arrêt rappelle le cadre juridique de l’indemnité d’accession (A) avant d’écarter la caducité invoquée par l’acquéreur (B).

A. Le fondement de l’indemnité d’accession

La cour d’appel fonde sa décision sur l’article 555 du code civil, dont elle reproduit les termes essentiels. Ce texte organise le régime de l’accession artificielle lorsqu’un tiers a édifié des constructions sur le terrain d’autrui avec ses propres matériaux. Le propriétaire du fonds dispose d’une option : soit exiger la suppression des ouvrages aux frais du tiers, soit en conserver la propriété moyennant indemnisation.

En l’espèce, « il est constant que M. [B] s’est engagé à conserver la propriété de la salle des fêtes moyennant une indemnité de 29 000 euros net vendeur incluant le local et ses équipements à verser à son propriétaire l’association Comité des fêtes ». L’acquéreur avait ainsi exercé l’option prévue par l’article 555 alinéa 3 du code civil en choisissant de conserver le bâtiment édifié par l’association. L’indemnité convenue correspondait manifestement à « une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur » ou au « coût des matériaux et le prix de la main-d’oeuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l’état dans lequel se trouvent lesdites constructions ».

La cour ne s’interroge pas sur la nature exacte de cette indemnité, qualifiée tantôt d’indemnité d’accession tantôt de prix de cession. Cette ambiguïté terminologique reflète la particularité de l’espèce : l’accord était intervenu avant même l’acquisition du terrain par l’acquéreur, dans le cadre de négociations tripartites incluant l’indivision propriétaire. La solution retenue confirme néanmoins que l’article 555 du code civil s’applique y compris lorsque l’acquéreur du terrain a négocié par avance avec le constructeur les conditions de l’indemnisation.

B. Le rejet de la caducité de l’accord

L’acquéreur soutenait que l’indemnité convenue de 29 000 euros était devenue caduque à la suite du sinistre ayant endommagé la salle des fêtes. Il invoquait le quatrième alinéa de l’article 555 du code civil prévoyant que l’indemnité doit tenir compte « de l’état dans lequel se trouve la construction ». La cour écarte cette argumentation par une motivation particulièrement ferme.

Elle relève qu’« à l’issue du sinistre du 9 décembre 2019 et postérieurement à l’acquisition notamment du terrain sur lequel la salle était édifiée le 16 décembre 2019 par M. [B], aucun nouvel accord entre les parties n’est intervenu, eu égard à l’évolution de l’état de l’immeuble désormais endommagé, pour remettre en cause le principe et le montant de l’indemnité d’accession convenue de 29 000 euros ».

La cour s’appuie sur le comportement postérieur de l’acquéreur pour conforter cette analyse. Elle cite son courrier du 4 avril 2020 dans lequel il proposait un étalement « du paiement de l’indemnité convenue entre nous » selon certaines modalités. Elle souligne que « ces modalités, qui n’ont pas été acceptées par l’association Comité des fêtes de [Localité 6], ne modifient pas l’accord précité ». Elle observe également que l’acquéreur avait « débuté son règlement au moyen de deux virements de 5 000 euros chacun ».

Cette solution apparaît juridiquement fondée. La caducité suppose la disparition d’un élément essentiel du contrat. Or l’indemnité d’accession avait pour objet de compenser la perte par l’association de la propriété du bâtiment qu’elle avait édifié. Cette perte demeurait certaine indépendamment de l’état du bâtiment au jour du transfert. En outre, l’acquéreur avait lui-même pris la décision unilatérale de conduire les travaux selon ses propres exigences, déclarant vouloir « modifier le périmètre [des travaux de remise en état] afin de les adapter à [s]es projets futurs pour l’utilisation et l’embellissement de la salle ».

II. L’articulation entre indemnité d’accession et indemnités d’assurance

La cour procède à un examen minutieux des sommes versées par les assureurs (A) avant d’opérer la compensation avec le solde de l’indemnité d’accession (B).

A. Le reversement des indemnités d’assurance à l’acquéreur

L’acquéreur invoquait l’article L. 121-10 alinéa 1er du code des assurances, aux termes duquel « en cas de décès de l’assuré ou d’aliénation de la chose assurée, l’assurance continue de plein droit au profit de l’héritier ou de l’acquéreur ». Il soutenait que l’association devait lui reverser une partie des indemnités perçues des assureurs.

La cour détaille les provisions reçues par l’association : 5 000 euros le 29 janvier 2020, 7 344,58 euros le 16 juin 2020, 8 622,86 euros le 24 octobre 2021 et 9 638,48 euros le 13 juillet 2022, soit un total de 30 605,92 euros. Elle admet que l’association pouvait déduire de cette somme les frais d’urgence engagés avant l’accession : 2 460 euros pour l’évacuation de l’arbre et 987,57 euros pour le bâchage de la couverture, soit 3 447,57 euros.

En revanche, la cour refuse de valider les autres déductions opérées par l’association. Elle juge que « le surplus de 390 euros réclamé par l’association Comité des fêtes de [Localité 6] au titre de frais de nettoyage (200 euros) et de pertes immatérielles d’exploitation (190 euros) n’est pas justifié ». Elle précise que « le contrat de location conclu par M. [I] pour les 14 et 15 décembre 2019 avec versement d’arrhes de 120 euros, versé aux débats, n’est pas suffisant pour prouver que cette somme, ou celle de 190 euros, a été remboursée à ce dernier par l’association ».

La cour conclut que l’association « devait donc reverser à M. [B] pour la réfection de la salle une somme totale de 27 158,35 euros, et non pas celle de 17 129,87 euros ». La différence de 10 028,48 euros devait revenir à l’acquéreur. Cette solution découle logiquement du principe selon lequel les indemnités d’assurance sont destinées à réparer le dommage subi par le propriétaire du bien au jour du sinistre, qui était l’association, mais doivent bénéficier à l’acquéreur devenu propriétaire lors de leur versement.

B. L’opération de compensation judiciaire

Sur le fondement de l’article 1347 du code civil, la cour opère la compensation entre les créances réciproques des parties. L’acquéreur restait devoir 19 000 euros au titre du solde de l’indemnité d’accession. L’association lui devait 10 028,48 euros correspondant aux indemnités d’assurance indûment conservées.

La cour prononce « en définitive, après compensation, M. [B] sera condamné à payer à l’association Comité des fêtes de [Localité 6] la somme totale de 8 971,52 euros (19 000 euros – 10 028,48 euros), avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure recommandée du 22 octobre 2020 ». Elle infirme ainsi le jugement qui avait condamné l’acquéreur à 9 131,52 euros.

Cette solution paraît équilibrée. Elle préserve le droit de l’association à percevoir l’intégralité de l’indemnité d’accession convenue, tout en garantissant que l’acquéreur bénéficie effectivement des indemnités d’assurance auxquelles il avait droit en sa qualité de propriétaire du bâtiment sinistré. La compensation permet d’éviter des paiements croisés et de solder définitivement les comptes entre les parties.

La cour rejette par ailleurs les demandes indemnitaires de l’acquéreur au titre des frais d’annulation de locations et du temps passé à gérer le litige. Elle retient que le sinistre avait été causé par un arbre appartenant à l’indivision venderesse et qu’aucune faute de l’association n’était caractérisée. Elle écarte également les demandes respectives de dommages et intérêts pour procédure abusive, jugeant qu’aucune des parties n’avait exercé ses droits de manière fautive.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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