Cour d’appel de Pau, le 9 septembre 2025, n°24/00174
Par arrêt du 9 septembre 2025, la Cour d’appel de Pau, statuant en matière de bail commercial, a confirmé la décision rendue par le tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan le 29 novembre 2023 et débouté une société exploitant une résidence de tourisme de sa demande tendant à être dispensée du paiement des loyers durant les périodes de fermeture administrative liées à la crise sanitaire de la Covid-19.
Les faits de l’espèce s’inscrivent dans le cadre d’un investissement locatif meublé non professionnel réalisé en 2012. Des particuliers avaient acquis un appartement au sein d’une résidence de tourisme puis l’avaient donné à bail commercial à une société exploitante par acte du 18 mars 2013. Le bail, conclu pour une durée de neuf ans moyennant un loyer annuel forfaitaire, contenait une clause stipulant que « le preneur pourra remettre en question le loyer en cas de force majeure interrompant l’activité touristique (…) ou d’événements amenant un dysfonctionnement de l’activité du preneur ». À compter de mars 2020, la société locataire, confrontée aux mesures de confinement et de fermeture des résidences de tourisme, a suspendu partiellement le paiement des loyers. Les bailleurs ont fait délivrer un commandement de payer le 4 août 2021 puis ont assigné la société aux fins de résiliation judiciaire du bail commercial sans indemnité.
Le tribunal judiciaire avait rejeté la demande de résiliation tout en condamnant la société au paiement du solde des loyers impayés pour l’année 2020, soit la somme de 2 474,65 euros. La société exploitante a interjeté appel, soutenant principalement que les mesures administratives de fermeture constituaient un cas de force majeure au sens de l’article 1218 du code civil et que la clause contractuelle l’autorisait à « remettre en question » le loyer durant ces périodes. Les bailleurs, formant appel incident, ont maintenu leur demande de résiliation judiciaire sans indemnité.
La question posée à la cour était double. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si le preneur d’un bail commercial pouvait invoquer la force majeure résultant des mesures sanitaires pour s’exonérer du paiement des loyers et, d’autre part, si les manquements constatés justifiaient la résiliation judiciaire du bail.
La Cour d’appel de Pau a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Elle a jugé que « la force majeure ne peut être invoquée par les locataires contraints de fermer par les mesures de restrictions sanitaires » dès lors que « la force majeure ne s’applique pas à l’obligation de payer une somme d’argent ». Elle a également relevé que la clause contractuelle invoquée ne pouvait être qualifiée d’abusive. Concernant la résiliation, la cour a estimé que les manquements, bien que caractérisés, ne présentaient pas une gravité suffisante eu égard au contexte et au montant relativement réduit des impayés.
Cette décision présente un double intérêt. Elle illustre l’application par les juridictions du fond de la jurisprudence de la Cour de cassation du 30 juin 2022 relative aux loyers commerciaux dits « Covid » (I). Elle permet également d’apprécier le pouvoir souverain du juge dans l’examen des demandes de résiliation judiciaire fondées sur des manquements liés à la crise sanitaire (II).
I. L’inapplicabilité de la force majeure à l’obligation de paiement des loyers commerciaux
La cour consacre le principe selon lequel la force majeure ne peut dispenser le preneur du paiement de ses loyers (A), tout en écartant les arguments tirés de la clause contractuelle et du droit de la consommation (B).
A. L’affirmation du principe d’exclusion de la force majeure pour les obligations monétaires
La Cour d’appel de Pau reprend explicitement la solution dégagée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans trois arrêts du 30 juin 2022. Elle affirme que « la mesure générale et temporaire d’interdiction de recevoir du public n’entraîne pas la perte de la chose louée et n’est pas constitutive d’une inexécution, par le bailleur, de son obligation de délivrance ». Cette formulation exclut la possibilité pour le preneur d’invoquer l’exception d’inexécution ou la perte de la chose au sens de l’article 1722 du code civil.
La cour précise que la force majeure suppose, pour être utilement invoquée, que la partie qui s’en prévaut soit créancière de l’obligation affectée par l’événement irrésistible. Or, le locataire est débiteur de l’obligation de paiement du loyer et créancier de l’obligation de délivrance. La juridiction rappelle que « le locataire créancier de l’obligation de délivrance de la chose louée n’était pas fondé à invoquer à son profit la force majeure ».
Cette solution repose sur le principe traditionnel selon lequel les obligations de somme d’argent ne peuvent être affectées par un cas de force majeure. L’argent étant une chose de genre, il ne saurait périr. L’arrêt confirme ainsi que les circonstances extérieures, fussent-elles aussi exceptionnelles que la pandémie de Covid-19, ne sauraient libérer le débiteur d’une obligation purement monétaire.
B. Le rejet des arguments tirés de la clause contractuelle et du droit de la consommation
La société locataire invoquait l’article 5.4 du bail stipulant la possibilité de « remettre en question le loyer » en cas de force majeure ou d’événements amenant un dysfonctionnement de l’activité. La cour, sans analyser en détail la portée de cette stipulation, s’appuie sur la jurisprudence de la Cour de cassation pour considérer que la force majeure ne pouvait en tout état de cause être caractérisée.
Les bailleurs soutenaient que cette clause présentait un caractère abusif au sens du droit de la consommation. La cour écarte cet argument en relevant que le bail s’intitule « bail commercial » et « correspond à une opération commerciale puisque le bailleur a acquis un logement dans une résidence de tourisme aux fins d’une activité d’exploitation par la sous location meublée ». Les intimés ne démontraient pas en quoi les dispositions du code de la consommation leur seraient applicables.
L’argumentation de la cour apparaît ici économe. La qualification de consommateur aurait mérité un examen plus approfondi, les investisseurs agissant à des fins purement patrimoniales et personnelles. La jurisprudence européenne a parfois admis la qualité de consommateur pour des particuliers réalisant des opérations d’investissement locatif hors de toute activité professionnelle. La cour retient cependant une approche objective fondée sur la nature commerciale du bail.
II. L’appréciation souveraine de la gravité des manquements dans le cadre de la demande de résiliation judiciaire
La cour procède à une analyse circonstanciée des manquements contractuels (A), dont elle tire des conséquences mesurées quant à la résiliation (B).
A. La caractérisation de manquements atténués par un contexte exceptionnel
La Cour d’appel de Pau reconnaît sans ambiguïté l’existence de manquements contractuels. Elle relève qu’« en ne procédant pas au paiement des loyers dans leur intégralité pour l’année 2020 et en ne respectant pas les échéances prévues au contrat pour l’année 2021, la société SMAS TOURISME a manqué à ses obligations contractuelles ».
La cour prend cependant soin de contextualiser ces manquements. Elle souligne que « la société SMAS TOURISME a depuis le début du contrat réglé l’intégralité des loyers dans les délais convenus à l’exception des années 2020-2021 ». Elle rappelle également que « ces manquements s’inscrivent dans un contexte inédit de crise sanitaire durant laquelle des restrictions de déplacement ont été appliquées ».
La juridiction détaille les périodes de fermeture administrative ayant affecté l’exploitation de la résidence. Elle note que « les retards de paiement constatés pour l’année 2020 sont caractérisés mais en décembre 2021 la société SMAS TOURISME avait réglé plus de 75 % du montant annuel ». Cette analyse factuelle révèle une bonne foi du preneur qui, malgré ses difficultés, a poursuivi partiellement l’exécution de ses obligations.
B. Le refus de la résiliation en raison du caractère insuffisamment grave des manquements
La cour rappelle le principe gouvernant la résiliation judiciaire selon lequel celle-ci « est soumise à l’appréciation du juge et s’apprécie en fonction de la gravité des manquements et des circonstances ». Cette formule consacre le pouvoir souverain des juges du fond dans l’appréciation de l’opportunité de prononcer la résiliation.
L’arrêt relève que « le montant des impayés relativement réduit, s’élevant à la somme de 2474,65 € doit donc être pris en considération pour rejeter la demande de résiliation judiciaire du contrat sans indemnité d’éviction ». La cour met ainsi en balance la gravité objective du manquement avec les conséquences disproportionnées que représenterait une résiliation assortie d’une dispense d’indemnité d’éviction.
Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence traditionnelle en matière de bail commercial. Les juridictions refusent de prononcer la résiliation pour des manquements isolés ou de faible importance, particulièrement lorsque le preneur a régularisé sa situation. La cour fait ici prévaloir une conception proportionnée de la sanction contractuelle, tenant compte tant de l’historique d’exécution satisfaisante que des circonstances exceptionnelles ayant entouré les manquements reprochés.
Par arrêt du 9 septembre 2025, la Cour d’appel de Pau, statuant en matière de bail commercial, a confirmé la décision rendue par le tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan le 29 novembre 2023 et débouté une société exploitant une résidence de tourisme de sa demande tendant à être dispensée du paiement des loyers durant les périodes de fermeture administrative liées à la crise sanitaire de la Covid-19.
Les faits de l’espèce s’inscrivent dans le cadre d’un investissement locatif meublé non professionnel réalisé en 2012. Des particuliers avaient acquis un appartement au sein d’une résidence de tourisme puis l’avaient donné à bail commercial à une société exploitante par acte du 18 mars 2013. Le bail, conclu pour une durée de neuf ans moyennant un loyer annuel forfaitaire, contenait une clause stipulant que « le preneur pourra remettre en question le loyer en cas de force majeure interrompant l’activité touristique (…) ou d’événements amenant un dysfonctionnement de l’activité du preneur ». À compter de mars 2020, la société locataire, confrontée aux mesures de confinement et de fermeture des résidences de tourisme, a suspendu partiellement le paiement des loyers. Les bailleurs ont fait délivrer un commandement de payer le 4 août 2021 puis ont assigné la société aux fins de résiliation judiciaire du bail commercial sans indemnité.
Le tribunal judiciaire avait rejeté la demande de résiliation tout en condamnant la société au paiement du solde des loyers impayés pour l’année 2020, soit la somme de 2 474,65 euros. La société exploitante a interjeté appel, soutenant principalement que les mesures administratives de fermeture constituaient un cas de force majeure au sens de l’article 1218 du code civil et que la clause contractuelle l’autorisait à « remettre en question » le loyer durant ces périodes. Les bailleurs, formant appel incident, ont maintenu leur demande de résiliation judiciaire sans indemnité.
La question posée à la cour était double. Il s’agissait de déterminer, d’une part, si le preneur d’un bail commercial pouvait invoquer la force majeure résultant des mesures sanitaires pour s’exonérer du paiement des loyers et, d’autre part, si les manquements constatés justifiaient la résiliation judiciaire du bail.
La Cour d’appel de Pau a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Elle a jugé que « la force majeure ne peut être invoquée par les locataires contraints de fermer par les mesures de restrictions sanitaires » dès lors que « la force majeure ne s’applique pas à l’obligation de payer une somme d’argent ». Elle a également relevé que la clause contractuelle invoquée ne pouvait être qualifiée d’abusive. Concernant la résiliation, la cour a estimé que les manquements, bien que caractérisés, ne présentaient pas une gravité suffisante eu égard au contexte et au montant relativement réduit des impayés.
Cette décision présente un double intérêt. Elle illustre l’application par les juridictions du fond de la jurisprudence de la Cour de cassation du 30 juin 2022 relative aux loyers commerciaux dits « Covid » (I). Elle permet également d’apprécier le pouvoir souverain du juge dans l’examen des demandes de résiliation judiciaire fondées sur des manquements liés à la crise sanitaire (II).
I. L’inapplicabilité de la force majeure à l’obligation de paiement des loyers commerciaux
La cour consacre le principe selon lequel la force majeure ne peut dispenser le preneur du paiement de ses loyers (A), tout en écartant les arguments tirés de la clause contractuelle et du droit de la consommation (B).
A. L’affirmation du principe d’exclusion de la force majeure pour les obligations monétaires
La Cour d’appel de Pau reprend explicitement la solution dégagée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans trois arrêts du 30 juin 2022. Elle affirme que « la mesure générale et temporaire d’interdiction de recevoir du public n’entraîne pas la perte de la chose louée et n’est pas constitutive d’une inexécution, par le bailleur, de son obligation de délivrance ». Cette formulation exclut la possibilité pour le preneur d’invoquer l’exception d’inexécution ou la perte de la chose au sens de l’article 1722 du code civil.
La cour précise que la force majeure suppose, pour être utilement invoquée, que la partie qui s’en prévaut soit créancière de l’obligation affectée par l’événement irrésistible. Or, le locataire est débiteur de l’obligation de paiement du loyer et créancier de l’obligation de délivrance. La juridiction rappelle que « le locataire créancier de l’obligation de délivrance de la chose louée n’était pas fondé à invoquer à son profit la force majeure ».
Cette solution repose sur le principe traditionnel selon lequel les obligations de somme d’argent ne peuvent être affectées par un cas de force majeure. L’argent étant une chose de genre, il ne saurait périr. L’arrêt confirme ainsi que les circonstances extérieures, fussent-elles aussi exceptionnelles que la pandémie de Covid-19, ne sauraient libérer le débiteur d’une obligation purement monétaire.
B. Le rejet des arguments tirés de la clause contractuelle et du droit de la consommation
La société locataire invoquait l’article 5.4 du bail stipulant la possibilité de « remettre en question le loyer » en cas de force majeure ou d’événements amenant un dysfonctionnement de l’activité. La cour, sans analyser en détail la portée de cette stipulation, s’appuie sur la jurisprudence de la Cour de cassation pour considérer que la force majeure ne pouvait en tout état de cause être caractérisée.
Les bailleurs soutenaient que cette clause présentait un caractère abusif au sens du droit de la consommation. La cour écarte cet argument en relevant que le bail s’intitule « bail commercial » et « correspond à une opération commerciale puisque le bailleur a acquis un logement dans une résidence de tourisme aux fins d’une activité d’exploitation par la sous location meublée ». Les intimés ne démontraient pas en quoi les dispositions du code de la consommation leur seraient applicables.
L’argumentation de la cour apparaît ici économe. La qualification de consommateur aurait mérité un examen plus approfondi, les investisseurs agissant à des fins purement patrimoniales et personnelles. La jurisprudence européenne a parfois admis la qualité de consommateur pour des particuliers réalisant des opérations d’investissement locatif hors de toute activité professionnelle. La cour retient cependant une approche objective fondée sur la nature commerciale du bail.
II. L’appréciation souveraine de la gravité des manquements dans le cadre de la demande de résiliation judiciaire
La cour procède à une analyse circonstanciée des manquements contractuels (A), dont elle tire des conséquences mesurées quant à la résiliation (B).
A. La caractérisation de manquements atténués par un contexte exceptionnel
La Cour d’appel de Pau reconnaît sans ambiguïté l’existence de manquements contractuels. Elle relève qu’« en ne procédant pas au paiement des loyers dans leur intégralité pour l’année 2020 et en ne respectant pas les échéances prévues au contrat pour l’année 2021, la société SMAS TOURISME a manqué à ses obligations contractuelles ».
La cour prend cependant soin de contextualiser ces manquements. Elle souligne que « la société SMAS TOURISME a depuis le début du contrat réglé l’intégralité des loyers dans les délais convenus à l’exception des années 2020-2021 ». Elle rappelle également que « ces manquements s’inscrivent dans un contexte inédit de crise sanitaire durant laquelle des restrictions de déplacement ont été appliquées ».
La juridiction détaille les périodes de fermeture administrative ayant affecté l’exploitation de la résidence. Elle note que « les retards de paiement constatés pour l’année 2020 sont caractérisés mais en décembre 2021 la société SMAS TOURISME avait réglé plus de 75 % du montant annuel ». Cette analyse factuelle révèle une bonne foi du preneur qui, malgré ses difficultés, a poursuivi partiellement l’exécution de ses obligations.
B. Le refus de la résiliation en raison du caractère insuffisamment grave des manquements
La cour rappelle le principe gouvernant la résiliation judiciaire selon lequel celle-ci « est soumise à l’appréciation du juge et s’apprécie en fonction de la gravité des manquements et des circonstances ». Cette formule consacre le pouvoir souverain des juges du fond dans l’appréciation de l’opportunité de prononcer la résiliation.
L’arrêt relève que « le montant des impayés relativement réduit, s’élevant à la somme de 2474,65 € doit donc être pris en considération pour rejeter la demande de résiliation judiciaire du contrat sans indemnité d’éviction ». La cour met ainsi en balance la gravité objective du manquement avec les conséquences disproportionnées que représenterait une résiliation assortie d’une dispense d’indemnité d’éviction.
Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence traditionnelle en matière de bail commercial. Les juridictions refusent de prononcer la résiliation pour des manquements isolés ou de faible importance, particulièrement lorsque le preneur a régularisé sa situation. La cour fait ici prévaloir une conception proportionnée de la sanction contractuelle, tenant compte tant de l’historique d’exécution satisfaisante que des circonstances exceptionnelles ayant entouré les manquements reprochés.