Cour d’appel de Pau, le 8 septembre 2025, n°24/01033

La question de l’exécution des obligations locatives suscite un contentieux abondant. La cour d’appel de Pau, dans un arrêt du 8 septembre 2025, apporte un éclairage utile sur les limites de l’injonction de communiquer des pièces sous astreinte lorsque le locataire a quitté les lieux.

En l’espèce, par acte sous seing privé du 28 septembre 2021, deux bailleurs ont donné à bail un local à usage d’habitation principale à deux preneurs moyennant un loyer mensuel de 750 euros. Un avenant du 20 août 2022 a porté le loyer à 950 euros. Des impayés étant survenus, les bailleurs ont fait délivrer aux locataires, le 10 février 2023, un commandement de payer visant la clause résolutoire pour une somme principale de 2 373,88 euros. Les causes de ce commandement n’ayant pas été réglées, les bailleurs ont fait assigner les preneurs devant le juge des contentieux de la protection.

Par jugement du 5 mars 2024, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan a notamment constaté la résiliation du bail, ordonné l’expulsion des locataires, les a condamnés au paiement des arriérés de loyers et leur a enjoint de justifier de l’entretien de la chaudière en 2023 ainsi que du ramonage de l’insert en 2022 et 2023 sous astreinte de 15 euros par jour de retard. Les locataires ont interjeté appel de ce jugement, limitant leur recours aux dispositions relatives à l’injonction sous astreinte et à la condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les appelants soutenaient qu’ils étaient dans l’impossibilité matérielle de produire les justificatifs requis en raison de dysfonctionnements des équipements imputables aux bailleurs. Ils affirmaient que la chaudière avait été en panne à plusieurs reprises et que l’insert ne répondait pas aux normes, de sorte qu’aucune société ne pouvait intervenir. Les intimés répondaient qu’ils n’avaient jamais été informés de ces pannes et que les locataires ne démontraient pas avoir procédé aux entretiens requis.

La question posée à la cour était de déterminer si une injonction de communiquer des pièces sous astreinte conserve son utilité lorsque le débiteur de l’obligation a quitté les lieux et reconnaît ne pas avoir exécuté les prestations dont la preuve est demandée.

La cour d’appel de Pau réforme partiellement le jugement. Elle constate que les locataires ne démontrent pas que les équipements ne fonctionnaient pas pour des raisons imputables aux bailleurs, leurs allégations n’étant étayées par aucun document. Elle retient cependant que « les appelants affirment ne pas avoir fait procéder aux contrôles et il n’est pas contesté qu’ils ont quitté les lieux depuis » et en déduit qu’il est « vain de leur enjoindre de justifier » de l’accomplissement d’obligations qu’ils reconnaissent ne pas avoir exécutées.

Cette décision invite à examiner l’appréciation souveraine du juge quant à l’absence de preuve des manquements des bailleurs (I) avant d’analyser le caractère pragmatique de la solution retenue concernant l’inutilité de l’injonction (II).

I. L’établissement des manquements locatifs en l’absence de preuve contraire

La cour procède à une analyse rigoureuse de la charge probatoire pesant sur les locataires (A) avant de rejeter leurs moyens de défense fondés sur une prétendue impossibilité d’exécution (B).

A. La répartition classique de la charge de la preuve

L’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 impose au locataire de répondre des dégradations et pertes survenues pendant la durée du bail. Le décret du 26 août 1987 précise que l’entretien courant des équipements de chauffage et le ramonage des conduits constituent des réparations locatives. En l’espèce, le contrat de bail prévoyait expressément cette obligation à son article VI.

La cour relève que « les appelants locataires ne démontrent pas que la chaudière et la pompe à chaleur ne fonctionnaient pas pour des raisons imputables aux bailleurs, leurs allégations sur ce point n’étant étayées par aucun document ni aucun échange ». Cette formulation rappelle le principe selon lequel il appartient à celui qui se prétend libéré de son obligation d’en rapporter la preuve. Les locataires, tenus d’une obligation d’entretien, devaient établir soit l’exécution de cette obligation, soit l’existence d’une cause étrangère les ayant empêchés de l’accomplir.

Le premier juge avait constaté que la fiche d’intervention produite attestait d’un contrôle de la chaudière les 21 novembre 2021 et 12 décembre 2022, mais qu’aucun justificatif n’était fourni pour l’année 2023. La cour d’appel confirme cette analyse en retenant qu’« en l’absence de production des justificatifs de l’entretien auquel ils étaient obligés aux termes de la loi et du contrat de bail, la réalité de leurs manquements est établie ».

B. Le rejet des moyens tirés de l’impossibilité d’exécution

Les locataires invoquaient deux obstacles à l’exécution de leurs obligations. S’agissant de la chaudière, ils soutenaient que des pannes répétées avaient nécessité des réparations que les bailleurs avaient refusé d’effectuer. S’agissant de l’insert, ils affirmaient que l’équipement ne répondait pas aux normes et qu’aucune société de ramonage n’acceptait d’intervenir.

Ces moyens sont écartés faute de preuve. La cour relève l’absence de tout document ou échange attestant des dysfonctionnements allégués. L’argument selon lequel les bailleurs n’auraient pas fait effectuer l’entretien de l’insert à la prise de bail est également rejeté, le contrat mettant cette obligation à la charge des preneurs pendant la durée de la location.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui refuse d’admettre l’impossibilité d’exécution lorsque le débiteur ne rapporte pas la preuve de circonstances extérieures ayant rendu l’obligation inexécutable. La simple affirmation d’un obstacle ne suffit pas à libérer le locataire de ses engagements contractuels et légaux.

II. L’inutilité de l’injonction de communiquer après le départ des lieux

La cour adopte une approche pragmatique en constatant la vanité de l’injonction (A) tout en préservant les droits des bailleurs par d’autres voies procédurales (B).

A. Le caractère vain d’une injonction portant sur des obligations reconnues inexécutées

Le raisonnement de la cour repose sur un constat factuel dépourvu d’ambiguïté. Les locataires admettent ne pas avoir fait procéder aux contrôles requis et ont quitté les lieux depuis le jugement de première instance. Dès lors, leur enjoindre de justifier de l’accomplissement de prestations qu’ils reconnaissent ne pas avoir effectuées relève d’une démarche « vaine ».

Cette qualification traduit une conception réaliste de l’office du juge. L’injonction de faire, assortie d’une astreinte, vise à contraindre le débiteur à exécuter une obligation. Elle suppose que cette exécution demeure possible et présente un intérêt pour le créancier. En l’espèce, aucune de ces conditions n’est remplie. Les locataires ne peuvent produire des justificatifs d’entretien qu’ils n’ont jamais fait réaliser. L’astreinte, mesure de contrainte destinée à vaincre la résistance du débiteur, perd sa raison d’être face à une impossibilité matérielle.

La cour évite ainsi de maintenir une condamnation dépourvue d’effectivité. Une telle injonction aurait conduit à l’accumulation d’une astreinte dont le montant n’aurait pu être liquidé qu’au terme d’une procédure supplémentaire, sans qu’aucun document ne puisse jamais être communiqué.

B. La préservation des droits des bailleurs par la voie indemnitaire

La réformation du jugement sur ce point ne laisse pas les bailleurs sans recours. La cour prend soin de préciser qu’ils « n’ont pas formulé de demande alternative en dommages et intérêts ». Cette mention n’est pas anodine. Elle suggère que l’inexécution avérée des obligations d’entretien aurait pu fonder une action en responsabilité contractuelle.

Le préjudice subi par les bailleurs du fait de l’absence d’entretien de la chaudière et de ramonage de l’insert pourrait se traduire par des dégradations des équipements ou un vieillissement prématuré. Une demande de dommages et intérêts aurait permis d’obtenir une réparation pécuniaire de ce chef de préjudice. L’arrêt laisse ouverte cette possibilité pour une instance ultérieure.

S’agissant des frais irrépétibles de première instance, la cour refuse de remettre en cause la condamnation des locataires à verser 1 300 euros. Elle retient que « M. et Mme ayant dû agir en justice afin de faire valoir leurs droits, l’équité ne justifie pas la remise en cause du principe de leur condamnation ». Cette solution confirme que la réformation partielle du jugement ne remet pas en cause la légitimité de l’action des bailleurs, qui ont obtenu satisfaction sur l’essentiel de leurs demandes.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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