Cour d’appel de Orléans, le 27 août 2025, n°24/03032

La question de l’articulation entre le titre exécutoire autorisant l’expulsion et le pouvoir du juge de l’exécution d’accorder des délais de grâce constitue un enjeu récurrent du droit des procédures civiles d’exécution. L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Orléans le 27 août 2025 en offre une illustration significative.

Une société civile de construction vente avait obtenu, par jugement du tribunal judiciaire d’Orléans du 23 février 2024, la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire insérée dans un bail commercial du 1er février 2004, ainsi que l’autorisation de procéder à l’expulsion de la société locataire. Cette dernière fut également condamnée au paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle à compter du 12 mai 2021. La société locataire, spécialisée dans les nanotechnologies, saisit le juge de l’exécution aux fins d’obtenir un délai de deux ans pour quitter les locaux. Par jugement du 26 août 2024, le juge de l’exécution lui accorda un délai de dix mois, subordonné au paiement régulier de l’indemnité d’occupation.

La société bailleresse interjeta appel de cette décision. Elle soutenait que le juge de l’exécution, en accordant un délai de grâce, avait excédé ses pouvoirs en modifiant le dispositif du jugement ayant autorisé l’expulsion. Elle invoquait l’irrecevabilité des demandes adverses et sollicitait des dommages-intérêts pour procédure abusive. La société locataire concluait à la confirmation du jugement, faisant valoir la régularité de ses paiements et la difficulté de trouver des locaux adaptés à son activité particulière.

La cour d’appel devait déterminer si le juge de l’exécution, en octroyant un délai de grâce postérieurement à un jugement exécutoire autorisant l’expulsion, porte atteinte à l’autorité de cette décision ou exerce une compétence qui lui est propre.

La Cour d’appel d’Orléans confirme le jugement entrepris. Elle retient que l’article R. 121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d’exécution confère expressément au juge de l’exécution compétence pour accorder un délai de grâce après signification du commandement. Elle considère qu’il ne peut être reproché au juge de l’exécution d’avoir modifié le dispositif de la décision puisqu’il s’agissait de l’exécuter. Elle relève la difficulté rencontrée par la locataire dans ses recherches de nouveaux locaux adaptés à une activité présentant des caractères très spécifiques, celle-ci étant spécialisée dans les nanotechnologies.

L’intérêt de cette décision réside dans la réaffirmation de l’autonomie du pouvoir du juge de l’exécution face à l’autorité du titre exécutoire (I), ainsi que dans l’appréciation des conditions d’octroi du délai de grâce en matière d’expulsion commerciale (II).

I. La compétence autonome du juge de l’exécution en matière de délai de grâce

La cour d’appel écarte fermement la fin de non-recevoir soulevée par l’appelante (A), en fondant sa solution sur une interprétation cohérente des textes gouvernant les pouvoirs du juge de l’exécution (B).

A. Le rejet de l’argument tiré de la modification du titre exécutoire

La société bailleresse soutenait que le juge de l’exécution ne pouvait accorder un délai de grâce sans porter atteinte au dispositif du jugement ayant autorisé l’expulsion. Cette argumentation reposait sur une lecture partielle de l’article R. 121-1 du code des procédures civiles d’exécution. La cour répond que ce texte dispose également que le juge de l’exécution a compétence pour accorder un délai de grâce après signification du commandement ou de l’acte de saisie.

La distinction opérée par la cour entre modification et exécution du titre apparaît fondamentale. L’octroi d’un délai de grâce ne remet pas en cause l’existence ni le bien-fondé du droit constaté par le jugement d’expulsion. Il en aménage seulement les modalités d’exécution dans le temps. La cour affirme qu’il ne peut être reproché au juge de l’exécution d’avoir modifié le dispositif de la décision puisqu’il s’agissait de l’exécuter.

B. La conciliation entre autorité de la chose jugée et fonction du juge de l’exécution

Cette solution s’inscrit dans une conception fonctionnelle des pouvoirs du juge de l’exécution. Celui-ci n’est pas un simple auxiliaire mécanique de l’exécution des décisions de justice. Il dispose d’un pouvoir propre de régulation, destiné à concilier l’efficacité du recouvrement forcé avec les exigences d’humanité et d’équité.

L’article L. 412-3 du code des procédures civiles d’exécution, applicable en matière d’expulsion, prévoit expressément la faculté d’accorder des délais renouvelables aux occupants dont l’expulsion a été ordonnée. Ce pouvoir ne constitue pas une remise en cause de l’autorité de chose jugée attachée au titre exécutoire. Il représente une compétence distincte, exercée au stade de l’exécution. La cour consacre ainsi la pleine autonomie du juge de l’exécution dans l’exercice de cette prérogative.

II. L’appréciation des conditions d’octroi du délai en matière commerciale

La cour examine ensuite le bien-fondé du délai accordé au regard de la situation particulière de la locataire (A), tout en écartant les griefs tirés de sa prétendue mauvaise foi (B).

A. La prise en compte des spécificités de l’activité exercée

Le juge de l’exécution puis la cour d’appel ont accordé une importance déterminante à la nature de l’activité exercée par la locataire. La cour relève que celle-ci est spécialisée dans les nanotechnologies et qu’elle a développé dans les locaux actuellement occupés des technologies innovantes dans la dépollution et notamment pour le traitement de l’eau.

Cette motivation révèle une appréciation concrète des difficultés de relogement. Toute activité commerciale ne se prête pas à un déménagement rapide. Les installations techniques, les équipements spécifiques et les conditions environnementales requises pour certaines activités industrielles ou scientifiques imposent des contraintes particulières dans la recherche de nouveaux locaux. La cour prend en compte la difficulté dans laquelle se trouve la locataire dans le cadre de ses recherches de nouveaux locaux adaptés à son activité laquelle présente des caractères très spécifiques.

B. L’appréciation nuancée du comportement de la locataire

L’appelante invoquait la mauvaise foi de son adversaire, arguant d’un maintien prolongé dans les lieux malgré une procédure de trois années et un jugement exécutoire par provision. La cour ne retient pas ce grief de manière déterminante. Elle observe que la dette locative était restée relativement stable depuis le titre exécutoire et que des versements conséquents étaient intervenus.

La locataire soutenait par ailleurs que la bailleresse s’était sciemment abstenue d’encaisser des chèques pour accroître artificiellement sa créance. Si cette allégation n’est pas expressément retenue par la cour, elle témoigne de la complexité des relations entre les parties. La cour confirme la solution du premier juge sans accueillir la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, refusant également toute application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Cette position équilibrée traduit le souci de ne pas sanctionner l’exercice d’une voie de recours légitime tout en préservant les intérêts de la locataire confrontée à des difficultés objectives de relogement.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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