Cour d’appel de Montpellier, le 26 juin 2025, n°21/03063

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Montpellier le 26 juin 2025 offre une illustration topique des sanctions procédurales attachées au non-respect des formalités de l’appel. En l’espèce, un acte authentique du 25 mars 2019 avait permis la vente d’une maison d’habitation avec terrain attenant. Les acquéreurs, se plaignant de ce que le bien n’était pas libre de toute occupation, avaient assigné la venderesse devant le tribunal judiciaire de Montpellier. Par jugement du 15 avril 2021, cette juridiction avait condamné la venderesse à payer aux acquéreurs la somme de 2 400 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation contractuelle de débarrasser l’immeuble vendu, ainsi que 300 euros au titre du préjudice de jouissance. La venderesse a relevé appel de cette décision le 11 mai 2021. Les intimés ont quant à eux formé appel incident par conclusions déposées le 21 octobre 2021.

La cour d’appel relève que l’appelante ne s’est pas acquittée du droit prévu par l’article 1635 bis P du code général des impôts, dont le paiement est exigé à peine d’irrecevabilité par l’article 963 du code de procédure civile. Elle constate également que les intimés étaient forclos pour agir à titre principal à la date de leur appel incident.

La question posée à la cour était donc double. D’une part, l’appel principal était-il recevable malgré le défaut d’acquittement du droit de timbre. D’autre part, l’appel incident pouvait-il prospérer alors même que l’appel principal était déclaré irrecevable.

La Cour d’appel de Montpellier déclare l’appel principal irrecevable faute de justification du paiement du droit de timbre. Elle déclare également l’appel incident irrecevable, les intimés étant forclos pour agir à titre principal et l’appel principal n’étant pas lui-même recevable. Elle condamne néanmoins l’appelante aux dépens et au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Cet arrêt invite à examiner successivement la sanction du défaut de timbre fiscal frappant l’appel principal (I), puis le sort de l’appel incident consécutif à cette irrecevabilité (II).

I. L’irrecevabilité de l’appel principal pour défaut d’acquittement du droit de timbre

A. Le fondement textuel de la sanction

L’article 963 du code de procédure civile impose à l’appelant de justifier « de l’acquittement du droit prévu par l’article 1635 bis P du code général des impôts ». Ce texte précise que cette justification est exigée « à peine d’irrecevabilité » de l’appel. La cour rappelle cette exigence de manière lapidaire mais suffisante.

Le droit de timbre de 225 euros constitue une condition de recevabilité de l’appel lorsque la constitution d’avocat est obligatoire. Il ne s’agit pas d’une simple formalité administrative mais d’une véritable condition de validité de la voie de recours. La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que cette irrecevabilité peut être prononcée d’office par le juge. Elle ne nécessite aucune mise en demeure préalable.

En l’espèce, la cour constate sèchement que l’appelante « ne s’est pas acquittée de ce droit ». Cette formulation suggère une absence totale de paiement plutôt qu’un paiement tardif. La sanction s’impose alors de manière automatique, sans que le juge dispose d’un quelconque pouvoir modérateur.

B. La rigueur de la sanction et ses justifications

La sévérité de cette sanction peut surprendre au regard de la modicité de la somme en cause. L’appelante perd définitivement son droit de contester le jugement de première instance pour n’avoir pas versé 225 euros au Trésor public. Cette rigueur s’explique toutefois par plusieurs considérations.

Le droit de timbre participe du financement de l’aide juridictionnelle. Le législateur a entendu faire contribuer les justiciables qui ont les moyens de payer un avocat au financement de l’accès à la justice des plus démunis. Tolérer le non-paiement reviendrait à priver ce mécanisme de son effectivité.

La jurisprudence admet cependant certains tempéraments. Le paiement peut intervenir jusqu’à la clôture de l’instruction en appel. L’appelante disposait donc d’un délai substantiel pour régulariser sa situation. La clôture n’est intervenue que le 16 avril 2025, soit près de quatre ans après la déclaration d’appel. Cette inertie prolongée témoigne d’une négligence difficilement excusable.

Cette solution s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel favorable au renforcement des exigences formelles de l’appel. La réforme issue du décret du 6 mai 2017 avait déjà multiplié les causes d’irrecevabilité. L’arrêt commenté confirme que ces sanctions sont appliquées sans complaisance.

II. Le sort de l’appel incident attaché à la recevabilité de l’appel principal

A. Le principe de dépendance de l’appel incident

L’article 550 du code de procédure civile dispose que « l’appel incident […] formé par des parties ayant été intimées forclos pour agir à titre principal n’est reçu que si l’appel principal est lui-même recevable ». La cour fait une application rigoureuse de ce texte.

L’appel incident constitue une faculté offerte à l’intimé de remettre en cause le jugement alors même qu’il n’a pas lui-même relevé appel dans le délai. Cette faculté trouve sa justification dans le lien d’instance créé par l’appel principal. L’intimé qui voit le procès porté devant la cour doit pouvoir contester à son tour les dispositions du jugement qui lui font grief.

Cette dépendance connaît toutefois une limite logique. L’appel incident n’existe que par et pour l’appel principal. Si ce dernier disparaît, l’appel incident perd sa raison d’être. La cour relève que les intimés étaient « forclos le 21 octobre 2021 pour former appel à titre principal ». Le délai d’appel d’un mois prévu par l’article 538 du code de procédure civile était expiré depuis longtemps lorsqu’ils ont formé leur appel incident.

B. Les conséquences pratiques de l’irrecevabilité en chaîne

La solution retenue par la cour produit des effets paradoxaux. Les intimés, qui n’ont commis aucune faute procédurale, se trouvent privés de la possibilité de faire réformer le jugement. Ils avaient pourtant été partiellement déboutés de leurs demandes en première instance.

L’équité de cette solution peut être discutée. Les intimés ont attendu l’appel principal pour former appel incident, conformément à une stratégie procédurale rationnelle. Ils n’avaient aucune raison de soupçonner que l’appelante n’acquitterait pas le droit de timbre. La négligence d’autrui leur porte préjudice.

La cour corrige partiellement cette iniquité en condamnant l’appelante à leur verser 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Cette somme couvre les frais d’avocat exposés en pure perte. Elle sanctionne également le comportement fautif de l’appelante qui a engagé une procédure d’appel sans la mener à son terme.

Cette décision illustre l’importance des vérifications préalables en matière d’appel. L’intimé prudent devrait s’assurer que l’appelant a bien acquitté le droit de timbre avant de se contenter d’un appel incident. À défaut, il prend le risque de perdre toute possibilité de recours si l’appel principal venait à être déclaré irrecevable.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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