Cour d’appel de Montpellier, le 1 juillet 2025, n°18/03667

Le contentieux du bail commercial dans le cadre d’une résidence de tourisme soulève des questions délicates lorsque le bailleur délivre un congé sans offre de renouvellement en invoquant un motif grave et légitime. La cour d’appel de Montpellier, dans un arrêt du 1er juillet 2025, a statué sur les conséquences d’un congé affecté d’une irrégularité de mise en demeure et sur l’évaluation de l’indemnité d’éviction dans le contexte particulier d’une résidence hôtelière.

Une société exploitant une résidence de tourisme était titulaire de baux commerciaux portant sur plusieurs lots appartenant à différents propriétaires. L’un des bailleurs a donné congé avec refus de renouvellement et refus d’indemnité d’éviction, au motif d’un défaut de paiement des loyers indexés et d’un arriéré d’indexation. La locataire a contesté ce congé et demandé le paiement d’une indemnité d’éviction. Elle soutenait que la mise en demeure préalable exigée par l’article L. 145-17 du code de commerce n’avait pas été régulièrement effectuée et que la clause d’indexation du bail était contraire aux dispositions du code monétaire et financier.

Le tribunal de grande instance de Montpellier, par jugement du 12 juin 2018, a validé la clause d’indexation, constaté l’irrégularité de la mise en demeure et reconnu le droit de la locataire à une indemnité d’éviction, tout en ordonnant une expertise pour en déterminer le montant. Une expertise ordonnée en cours d’instance n’a pu aboutir en raison de la liquidation judiciaire de la société locataire. Les parties ont interjeté appel et formé des appels incidents sur différents chefs du jugement.

La cour devait principalement répondre aux questions suivantes : l’irrégularité de la mise en demeure contenue dans un congé pour motif grave et légitime prive-t-elle le bailleur du droit de refuser l’indemnité d’éviction sans affecter la validité du congé lui-même ? Comment doit être évaluée l’indemnité d’éviction dans le cadre d’une résidence hôtelière exploitée sous un régime de baux multiples ? La clause d’indexation visant « l’indice du dernier trimestre de chacune des années suivantes » est-elle contraire à l’article L. 112-1 du code monétaire et financier ?

La cour d’appel confirme que « l’absence de mise en demeure valable ouvre droit à une indemnité d’éviction pour la locataire » et que « le congé délivré le 25 février 2011 n’a pu interdire à la locataire évincée de prétendre au paiement d’une indemnité d’éviction ». Elle retient que la clause d’indexation doit être interprétée en faveur de son effectivité et fixe l’indemnité d’éviction à 72 000 euros pour les six lots concernés.

La cour apporte des précisions significatives sur le régime du congé pour motif grave et légitime en matière de bail commercial (I), tout en définissant les modalités d’évaluation de l’indemnité d’éviction dans le contexte spécifique des résidences de tourisme (II).

I. L’autonomie du congé et de la mise en demeure dans le régime de l’article L. 145-17

La cour distingue avec netteté les effets respectifs du congé et de la mise en demeure (A), avant de valider une interprétation téléologique de la clause d’indexation (B).

A. La dissociation entre validité du congé et déchéance du droit à indemnité

L’article L. 145-17 du code de commerce subordonne le refus d’indemnité d’éviction pour inexécution d’une obligation à une mise en demeure préalable régulière. Cette mise en demeure doit, à peine de nullité, « être effectuée par acte extrajudiciaire, préciser le motif invoqué et reproduire les termes » du texte légal. La cour relève que l’acte litigieux « ne fait nullement référence à une éventuelle mise en demeure contenue dans le même acte, ni au délai d’un mois accordé au locataire pour faire cesser le manquement dénoncé ».

Le bailleur soutenait que cette irrégularité ne pouvait être sanctionnée qu’à la condition de démontrer un grief, en application des articles 649 et 114 du code de procédure civile régissant la nullité des actes de procédure. La cour écarte ce raisonnement en affirmant que « la nullité du congé n’est nullement invoquée par la locataire et les articles 649 et 114 du code de procédure civile, de portée générale, n’ont pas vocation à s’appliquer en l’espèce ».

Cette analyse consacre une distinction fondamentale entre deux sanctions distinctes. Le congé irrégulier en la forme peut être annulé si un grief est démontré. Le congé régulier mais dépourvu d’une mise en demeure conforme conserve son plein effet extinctif du bail, mais ne peut priver le preneur de son droit à indemnité. La cour énonce ainsi que « le congé n’est pas nul et conserve au contraire son plein effet, mais la déchéance au droit à une indemnité d’éviction n’est pas encourue ».

Cette solution s’inscrit dans la logique protectrice du statut des baux commerciaux. L’indemnité d’éviction constitue la contrepartie normale de la perte du droit au renouvellement. Seul un motif grave et légitime dûment constaté après mise en demeure régulière peut justifier d’en priver le locataire. L’irrégularité formelle de la mise en demeure neutralise le motif invoqué sans affecter l’efficacité du congé lui-même.

B. L’interprétation de la clause d’indexation au prisme de la commune intention

La locataire contestait la validité de la clause prévoyant une révision annuelle au 1er janvier, avec pour « indice de base celui du dernier trimestre publié au 31 décembre 2002 et l’indice de référence celui du dernier trimestre de chacune des années suivantes ». Elle soutenait que cette rédaction créait une distorsion prohibée par l’article L. 112-1 du code monétaire et financier entre la période de variation de l’indice et la durée entre deux révisions.

La cour rejette cette argumentation en recourant aux règles d’interprétation des contrats. Elle rappelle qu’« en application des dispositions de l’article 1156 du code civil dans sa rédaction applicable à l’espèce, le juge doit rechercher dans les conventions quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes ».

L’argument décisif tient à l’impossibilité pratique de l’interprétation défendue par la locataire. La cour observe que « les parties ayant fixé la date de la révision au 1er janvier de chaque année, elles ne pouvaient concevoir, sauf à priver de tout effet la clause d’indexation, que l’indice de référence serait celui du 4ième trimestre de l’année qui à la date de la révision est encore inconnu ». L’indice du quatrième trimestre n’étant publié que plusieurs mois après, retenir cette interprétation rendrait impossible tout calcul d’indexation à la date prévue.

La cour mobilise également le comportement ultérieur des parties comme révélateur de leur commune intention. Elle relève que « l’exécution volontaire par la locataire sans protestation ni réserve de l’indexation du loyer démontre son adhésion à la clause dans son interprétation telle que retenue par la juridiction de première instance ». Ce recours à l’exécution du contrat comme élément d’interprétation illustre l’approche pragmatique adoptée.

II. L’évaluation de l’indemnité d’éviction dans les résidences hôtelières

La cour définit les critères d’évaluation applicables aux structures multi-bailleurs (A) et procède à une liquidation concrète intégrant les mécanismes de compensation (B).

A. La méthode de calcul adaptée aux exploitations fractionnées

L’article L. 145-14 du code de commerce prévoit une indemnité égale au « préjudice causé par le défaut de renouvellement », comprenant « notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession ». La cour précise la méthode applicable aux résidences hôtelières exploitées sous un régime de baux commerciaux multiples.

Elle retient que « concernant une location dans une résidence hôtelière offrant des services para-hôtelier et impliquant de nombreux bailleurs qui ont conclu des baux avec une unique société exploitante, l’éviction entraîne une perte partielle du fonds ». La solution consiste à « évaluer le fonds et ensuite diviser la valeur globale obtenue par le nombre de lots ». Chaque bailleur supporte ainsi une quote-part de l’indemnité correspondant à sa participation dans l’ensemble.

La cour écarte l’argumentation du bailleur selon laquelle la perte de 34 lots sur 118 serait sans conséquence pour une exploitation présentant un taux d’occupation de 66 %. Elle observe que « seule une conclusion hâtive permet de retenir que la perte de 34 chambres sur 118 sera sans impact sur l’activité de la locataire ». Le taux d’occupation moyen masque les variations saisonnières, la demande étant plus forte durant la période estivale.

La cour souligne également les conséquences structurelles de l’éviction partielle : « les congés délivrés par les bailleurs, 34 sur 118, mettent en péril l’exploitation avec un niveau de charges fixes incompressible qui rendront l’exploitation de la résidence structurellement déficitaire ». Cette analyse systémique dépasse l’approche purement arithmétique pour intégrer les effets de seuil propres aux activités hôtelières.

B. La liquidation de l’indemnité et le jeu de la compensation

La cour procède à l’évaluation en retenant un coefficient multiplicateur du chiffre d’affaires. Elle relève que « pour déterminer la valeur d’un fonds de commerce à laquelle fait référence l’article sus visé, il convient de retenir un pourcentage du chiffre d’affaire hors taxe annuel moyen sur 2 à 5 ans ». Ce pourcentage varie selon « la notoriété du fonds, sa situation géographique, de sa rentabilité et de ses équipements ».

En l’espèce, la cour retient un coefficient de 1, justifié par plusieurs facteurs : un emplacement « correct mais ne pouvant être qualifié d’exceptionnel », des logements en « état d’usage après 9 années d’occupation, nécessitant une rénovation globale », et des « aléas juridiques et économiques d’un mode d’exploitation tributaire d’un portefeuille de baux commerciaux ». L’indemnité est fixée à 12 000 euros par lot, soit 72 000 euros pour les six lots concernés.

La cour admet le jeu de la compensation avec la créance locative déclarée au passif de la procédure collective. Elle rappelle que l’article L. 622-7 du code de commerce autorise « le paiement par compensation de créances connexes » malgré l’interdiction des paiements postérieurs au jugement d’ouverture. La connexité résulte de ce que les créances réciproques proviennent « du même contrat de bail ».

La cour précise que « le principe de la compensation peut être ordonné à concurrence du montant de la créance, sans que La SARL Julia n’ait à prouver que sa créance a été admise à ce stade ». Cette solution pragmatique permet d’éviter que le bailleur soit contraint de payer l’intégralité de l’indemnité d’éviction tout en déclarant sa créance locative au passif d’une procédure collective où les chances de recouvrement sont aléatoires.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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