Cour d’appel de Metz, le 31 juillet 2025, n°23/02022

La présente décision de la Cour d’appel de Metz, rendue le 31 juillet 2025, porte sur un litige opposant une scierie à un opérateur de télécommunications à la suite de la résiliation anticipée de contrats de téléphonie fixe et mobile conclus pour une durée de soixante-trois mois. Elle offre un éclairage significatif sur la prescription applicable aux créances de communications électroniques et sur le régime du déséquilibre significatif en matière de clauses d’indemnisation.

Les faits sont les suivants. Le 11 avril 2014, une société exploitant une scierie a souscrit auprès d’un opérateur de télécommunications un contrat de services de téléphonie fixe et mobile pour une durée de soixante-trois mois. En juillet 2015, l’opérateur a enregistré la résiliation du service de téléphonie mobile, puis en septembre 2015 celle du service de téléphonie fixe. Il a réclamé le paiement de factures impayées ainsi que des indemnités de résiliation anticipée représentant la totalité des mensualités restant à courir jusqu’au terme contractuel.

Par acte du 21 septembre 2019, l’opérateur a assigné la scierie devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Metz, sollicitant le paiement des factures impayées et des indemnités de résiliation. La scierie a contesté ces demandes, invoquant l’absence de fourniture effective des prestations et sollicitant reconventionnellement des dommages-intérêts. Par jugement du 6 juin 2023, le tribunal a condamné la scierie au paiement de l’ensemble des sommes réclamées. Celle-ci a interjeté appel, soulevant notamment la prescription des demandes en paiement des prestations et le caractère abusif des clauses d’indemnisation.

La question posée à la Cour était double. Il s’agissait de déterminer si les demandes en paiement des prestations de communications électroniques étaient prescrites au regard de l’article L. 34-2 du code des postes et des communications électroniques, et si la clause d’indemnité de résiliation anticipée créait un déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-6 du code de commerce.

La Cour d’appel de Metz infirme partiellement le jugement. Elle déclare irrecevables comme prescrites les demandes en paiement des prestations de communications électroniques facturées en 2015, tout en admettant la recevabilité de la demande relative au matériel téléphonique. Sur le fond, elle juge que « cette clause qui permet à la SCT de percevoir une indemnité correspondant aux prix des prestations qu’elle devait fournir jusqu’au terme du contrat, sans avoir à fournir elle-même ces prestations, et ce sans aucun rapport concret ni proportionné avec un préjudice réellement subi ou des charges ou frais effectivement supportés, crée un déséquilibre dans les droits et obligations des parties ». Elle rejette en conséquence l’intégralité des demandes d’indemnités de résiliation.

Cette décision mérite examen tant au regard de l’application de la prescription annale aux professionnels usagers de services de télécommunications (I) que de la sanction du déséquilibre significatif affectant les clauses d’indemnisation contractuelle (II).

I. L’application de la prescription annale aux professionnels usagers de services de télécommunications

La Cour reconnaît le bénéfice de la prescription abrégée au professionnel contractant (A), tout en délimitant strictement son champ d’application aux seules prestations de communications électroniques (B).

A. La reconnaissance du bénéfice de la prescription abrégée au professionnel contractant

L’opérateur soutenait que la prescription annale de l’article L. 34-2 du code des postes et des communications électroniques ne pouvait bénéficier qu’aux consommateurs. La Cour écarte cette argumentation en relevant que « l’usager de prestations de communications électroniques au sens de ce texte peut être une personne morale agissant pour les besoins de son activité professionnelle ». Elle s’appuie expressément sur un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 4 décembre 2024.

Cette solution confirme une interprétation littérale du texte. L’article L. 34-2 vise « l’usager » sans distinction selon sa qualité de consommateur ou de professionnel. La prescription annale constitue ainsi une protection objective attachée à la nature des prestations concernées, indépendamment du statut du débiteur. Cette approche se justifie par la spécificité du secteur des télécommunications, où la multiplication des facturations périodiques impose une sécurité juridique renforcée pour l’ensemble des usagers.

La Cour relève par ailleurs que l’intimée exerce une activité de « commercialisation de services de communications fixes et mobiles assurant le transfert de la voix, d’images numérisées et de données », ce qui en fait un opérateur mentionné à l’article L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques. Cette qualification conditionne l’application du régime de prescription spécial.

B. La délimitation stricte du champ de la prescription aux prestations de communications

La Cour procède à une analyse minutieuse des factures litigieuses pour déterminer lesquelles relèvent de la prescription annale. Elle constate que les factures concernant des « abonnements, frais et options » ainsi que des « consommations hors forfaits » et « consommations de téléphonie » sont « concernées par la prescription annale ». Ces factures datant de 2015 avec une échéance au plus tard au 15 octobre 2015, la demande formée par assignation du 21 septembre 2019 intervient après l’expiration du délai.

En revanche, la Cour distingue le cas du matériel Samsung Galaxy facturé 699 euros HT, qui « ne représente pas en lui-même une prestation de communication électronique ». Cette créance relève du délai de prescription de droit commun de cinq ans prévu par l’article L. 110-4 du code de commerce. La demande formée moins de cinq ans après l’édition de la facture est donc recevable.

Cette distinction illustre la rigueur de la qualification juridique requise. La prescription annale ne s’applique qu’aux prestations correspondant strictement à la définition des communications électroniques figurant à l’article L. 32 du code, c’est-à-dire « les émissions, transmissions ou réceptions de signes, de signaux, d’écrits, d’images ou de sons ». Les fournitures de matériel, même accessoires au contrat de télécommunications, demeurent soumises au droit commun.

II. La sanction du déséquilibre significatif affectant les clauses d’indemnisation contractuelle

La Cour caractérise le déséquilibre significatif résultant de la clause litigieuse (A), ce qui conduit au rejet intégral des demandes d’indemnités de résiliation (B).

A. La caractérisation du déséquilibre significatif dans la clause d’indemnisation

L’opérateur contestait l’application de l’article L. 442-6 du code de commerce, arguant que les parties n’étaient pas en situation de concurrence. La Cour écarte cette objection en affirmant que « cette disposition n’est pas limitée par la loi aux contrats de grande distribution » et qu’« au sens de ce texte est un partenaire commercial la partie avec laquelle l’autre partie s’engage ou s’apprête à s’engager dans une relation commerciale ».

La Cour analyse ensuite la clause d’indemnité prévue à l’article 14.3.2 des conditions particulières. Cette clause permettait à l’opérateur de percevoir, en cas de résiliation anticipée, « une somme correspondant au montant moyen des facturations émises antérieurement à la notification de la résiliation multiplié par le nombre de mois restant à échoir jusqu’au terme du contrat ». La Cour juge qu’une telle clause « permet à la SCT de percevoir une indemnité correspondant aux prix des prestations qu’elle devait fournir jusqu’au terme du contrat, sans avoir à fournir elle-même ces prestations ».

Le déséquilibre est aggravé par deux éléments que la Cour souligne expressément. D’une part, « la durée du contrat imposée par la SCT, de 63 mois, est très longue, de sorte que le nombre de mois restant à courir pour déterminer l’indemnité est élevé ». D’autre part, l’indemnité est calculée « sans aucun rapport concret ni proportionné avec un préjudice réellement subi ou des charges ou frais effectivement supportés ».

B. Le rejet intégral des demandes d’indemnités comme sanction du déséquilibre

La conséquence tirée par la Cour du constat de déséquilibre significatif est radicale. Elle juge que l’opérateur « a engagé sa responsabilité de telle sorte qu’elle n’est pas fondée à réclamer une indemnité de résiliation ». Les demandes d’indemnités de résiliation sont donc rejetées dans leur intégralité, tant pour la téléphonie fixe que pour la téléphonie mobile.

Cette solution appelle plusieurs observations. La Cour ne se contente pas de réduire l’indemnité comme l’aurait permis la qualification de clause pénale manifestement excessive au sens de l’article 1231-5 du code civil. Elle prive l’opérateur de toute indemnisation au titre de la résiliation anticipée. Cette sanction s’explique par le fondement retenu : l’article L. 442-6 du code de commerce engage la responsabilité de l’auteur du déséquilibre et l’oblige à réparer le préjudice causé. La sanction n’est pas la modération de la clause mais l’impossibilité pour son auteur de s’en prévaloir.

La portée de cette décision est significative pour le secteur des télécommunications. Les opérateurs qui imposent des contrats de longue durée assortis de clauses d’indemnisation calculées sur l’ensemble des mensualités restant à courir s’exposent à voir ces clauses privées d’effet. La Cour invite ainsi à une révision des pratiques contractuelles pour établir un lien proportionné entre l’indemnité stipulée et le préjudice effectivement subi du fait de la résiliation anticipée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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