Cour d’appel de Besançon, le 5 août 2025, n°24/00931

La responsabilité civile du diagnostiqueur immobilier constitue un contentieux récurrent devant les juridictions du fond. La cour d’appel de Besançon, par un arrêt du 5 août 2025, apporte un éclairage utile sur les conditions dans lesquelles cette responsabilité peut être engagée et sur les modalités d’indemnisation du préjudice qui en résulte.

Des acquéreurs avaient fait l’acquisition le 10 novembre 2018 d’une maison comprenant deux appartements. Un diagnostic amiante établi le 24 mai 2016 par une société de diagnostic avait conclu à l’absence de matériaux contenant de l’amiante. Cette société a été placée en liquidation judiciaire le 24 septembre 2019. Le 11 janvier 2021, un second diagnostic réalisé par un autre opérateur a révélé la présence d’amiante dans plusieurs éléments du bâtiment acquis.

Les acquéreurs ont assigné le liquidateur judiciaire de la société de diagnostic ainsi que ses assureurs devant le tribunal judiciaire de Vesoul. Par jugement du 28 mai 2024, le tribunal a condamné les assureurs à verser aux demandeurs la somme de 79 016 euros au titre du préjudice matériel et celle de 40 660 euros au titre du préjudice de jouissance. Les assureurs ont interjeté appel, contestant tant l’existence d’une faute que l’évaluation du préjudice.

Les appelantes soutenaient que leur assurée s’était conformée aux règles applicables au diagnostic amiante avant vente, lesquelles interdisent toute investigation destructive. Elles ajoutaient que la faute ne pouvait être établie au seul vu d’un rapport non corroboré et que l’acquéreur, artisan couvreur, aurait dû lui-même déceler la présence d’amiante. Les intimés répliquaient que le second diagnostic avait été réalisé dans les mêmes conditions que le premier et qu’ils étaient en droit de se fier aux conclusions d’un professionnel.

La question posée à la cour était double. Il s’agissait de déterminer si le diagnostiqueur avait commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle et, dans l’affirmative, de qualifier le préjudice subi par les acquéreurs.

La cour d’appel de Besançon confirme partiellement le jugement entrepris. Elle retient la faute du diagnostiqueur et confirme les condamnations au titre du préjudice matériel. Elle infirme en revanche la décision sur le préjudice de jouissance, qu’elle requalifie en perte de chance et ramène à 24 075 euros.

La décision présente un double intérêt. La cour précise les obligations du diagnostiqueur amiante dans le cadre d’un examen non destructif (I). Elle opère également une distinction entre préjudice certain et perte de chance selon la nature des chefs de dommage invoqués (II).

I. La caractérisation de la faute du diagnostiqueur amiante

La cour d’appel de Besançon rappelle le cadre normatif applicable au diagnostic amiante avant vente (A) avant de caractériser le manquement du diagnostiqueur à son obligation de moyens renforcée (B).

A. Le cadre normatif du diagnostic amiante non destructif

La cour rappelle le régime juridique applicable en visant les articles L. 1334-13, R. 1334-20, I, 1°, et R. 1334-21, I, 1° du code de la santé publique. Ces dispositions imposent au diagnostiqueur de rechercher les produits contenant de l’amiante des listes A et B « sans travaux destructifs ». La liste A concerne les matériaux susceptibles de libérer des fibres d’amiante du seul fait de leur vieillissement. La liste B vise ceux qui ne libèrent de telles fibres qu’en cas de frottement ou de percement.

Ce cadre normatif interdit donc au diagnostiqueur de procéder à des sondages destructifs lors d’un diagnostic avant vente. Les appelantes s’appuyaient sur cette interdiction pour soutenir que leur assurée avait respecté ses obligations. Elles affirmaient que « seul le recours à des opérations de cette nature avait permis au second diagnostiqueur d’objectiver la présence d’amiante ».

L’argument méritait examen. Le diagnostiqueur ne peut être tenu responsable de n’avoir pas détecté des matériaux amiantés dont la découverte aurait nécessité la destruction de leurs supports. Cette limite résulte directement des textes applicables et de la nature même de la mission confiée.

B. L’obligation de moyens renforcée du diagnostiqueur

La cour précise cependant que l’interdiction des investigations destructives ne dispense pas le diagnostiqueur de toute diligence. Elle énonce « qu’il incombe au diagnostiqueur de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires à la bonne exécution de sa mission, sans pouvoir se limiter à un simple contrôle visuel ».

Cette formulation révèle l’étendue de l’obligation pesant sur le professionnel. Le diagnostic visuel non destructif ne signifie pas un examen superficiel. Le diagnostiqueur doit mobiliser ses connaissances et son expérience pour identifier les matériaux susceptibles de contenir de l’amiante.

La cour relève que le second rapport établi par un autre diagnostiqueur « mentionne que les matériaux ont été localisés sur décision de l’opérateur, ce dont il résulte que c’est la connaissance et l’expérience des matériaux par l’expert qui l’ont amené à suspecter la présence d’amiante ». Ce second professionnel avait donc détecté l’amiante dans les mêmes conditions d’examen que son prédécesseur.

La cour écarte méthodiquement les arguments des appelantes. Elle constate que les photographies du second diagnostic établissent que « les locaux n’avaient encore fait l’objet d’aucuns travaux de nature à avoir pu révéler, par destruction de leurs matériaux constitutifs, la présence d’amiante ». L’hypothèse de travaux modificatifs postérieurs au premier diagnostic est également rejetée. Les lieux ne présentaient « en rien l’aspect de locaux ayant récemment fait l’objet de travaux de rénovation ». La mise en oeuvre de matériaux amiantés lors de travaux récents était d’ailleurs invraisemblable, cette utilisation étant interdite depuis de nombreuses années.

La cour retient donc « la caractérisation d’une faute de la société ayant consisté à ne pas déceler la présence de matériaux contenant de l’amiante dans l’immeuble qu’elle était chargée de diagnostiquer ». Cette faute engage la responsabilité délictuelle du diagnostiqueur sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

II. La qualification différenciée des préjudices subis par les acquéreurs

L’arrêt se distingue par l’analyse qu’il opère de la nature des préjudices invoqués. La cour confirme la réparation intégrale du préjudice matériel en le qualifiant de préjudice certain (A). Elle infirme en revanche la décision sur le préjudice de jouissance en le requalifiant en perte de chance (B).

A. Le préjudice matériel qualifié de préjudice certain

Les assureurs soutenaient que le préjudice des acquéreurs devait s’analyser en une simple perte de chance d’obtenir une réduction du prix de vente. Ils contestaient également l’existence même d’un préjudice résultant de la présence de matériaux amiantés de la liste B, lesquels n’exposent à la libération de fibres qu’en cas d’agression.

La cour écarte ces arguments. Elle relève que « les supports contenant des matériaux amiantés, en particulier les murs et cloisons, devaient faire l’objet de travaux de réfection impliquant notamment leur ponçage ». Cette circonstance est établie par l’attestation d’un artisan qui a refusé d’intervenir tant que le désamiantage n’aurait pas été réalisé.

La cour en déduit que « ces circonstances rendant les opérations de désamiantage indispensables, le préjudice qui résulte de la nécessité d’y procéder est certain, et ne procède pas d’une perte de chance ». Le raisonnement repose sur le caractère inéluctable des travaux de désamiantage. Dès lors que les acquéreurs devaient réaliser des travaux de rénovation et que ces travaux ne pouvaient intervenir sans désamiantage préalable, le coût de ce désamiantage constitue un préjudice direct et certain.

La cour confirme donc la condamnation au paiement du coût des travaux de désamiantage, des travaux de remise en état et du second diagnostic. La faute du diagnostiqueur est la cause directe de ces préjudices, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la notion de perte de chance.

B. Le préjudice de jouissance requalifié en perte de chance

L’analyse diffère s’agissant du préjudice de jouissance. Le tribunal avait alloué aux acquéreurs une somme correspondant à la valeur locative cumulée des deux appartements sur la période écoulée depuis la découverte de l’amiante. Il avait considéré que les intimés avaient perdu le bénéfice des loyers qu’ils auraient pu percevoir si la rénovation n’avait pas été entravée.

La cour censure ce raisonnement. Elle énonce que « ce préjudice ne peut quant à lui s’analyser qu’en une perte de chance, dès lors que la mise en location de tout logement est tributaire d’aléas divers tenant au montant du loyer sollicité, à la consistance et à l’équipement des locaux loués, ou encore aux particularités et au dynamisme ou à l’atonie du marché locatif local ».

Cette analyse est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la perte de chance. Lorsque la réalisation d’un avantage espéré dépend d’événements incertains, le préjudice ne peut être réparé qu’à hauteur de la probabilité de cet avantage. Les revenus locatifs futurs présentent par nature un caractère aléatoire.

La cour reconnaît que « la perte de chance de pouvoir louer les appartements du fait de l’impossibilité de réaliser les travaux de rénovation est incontestablement sérieuse ». Elle fixe cependant cette perte de chance à 50 % en raison de « l’absence de toute précision permettant d’apprécier les aléas de mise en location ». Le préjudice de jouissance est ainsi ramené de 40 660 euros à 24 075 euros.

Cette décision illustre la rigueur avec laquelle les juridictions appliquent la distinction entre préjudice certain et perte de chance. Un même fait générateur peut donner lieu à des qualifications différentes selon les chefs de préjudice invoqués. Le diagnostiqueur et son assureur conservent ainsi un intérêt à discuter la nature de chaque poste de dommage.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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