Cour d’appel de Agen, le 13 août 2025, n°24/00990

L’articulation entre la clause résolutoire stipulée au bail commercial et le pouvoir modérateur du juge saisi d’une demande de délais de paiement constitue un point classique du contentieux locatif. La Cour d’appel d’Agen, par un arrêt du 13 août 2025, vient rappeler les conditions dans lesquelles le preneur peut solliciter la suspension des effets d’une telle clause.

En l’espèce, une société civile immobilière a consenti le 13 octobre 2023 un bail commercial portant sur un local situé à Agen, pour une durée de neuf années, moyennant un loyer annuel de 13 200 euros hors taxes. Le preneur n’a pas honoré le paiement des loyers. Le bailleur lui a adressé une mise en demeure par lettre recommandée, distribuée le 23 décembre 2023, puis lui a fait délivrer un commandement de payer le 16 janvier 2024, visant la clause résolutoire contenue dans le contrat. Ce commandement étant demeuré infructueux, le bailleur a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire d’Agen aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire et ordonner l’expulsion du preneur.

Par ordonnance du 16 septembre 2024, le juge des référés a constaté la résiliation du bail à compter du 16 février 2024, ordonné l’expulsion et condamné le preneur au paiement d’une provision au titre des loyers impayés ainsi qu’à une indemnité d’occupation mensuelle. Le preneur a interjeté appel de cette décision le 21 octobre 2024. Devant la cour, il a sollicité l’octroi de délais de paiement sur le fondement de l’article L.145-41 alinéa 2 du code de commerce et la suspension de la clause résolutoire pendant une durée de dix mois. Le bailleur a conclu au rejet de ces demandes et à la confirmation de l’ordonnance.

La question posée à la cour était de savoir si le preneur défaillant pouvait obtenir des délais de paiement suspendant les effets de la clause résolutoire alors qu’il ne produisait aucun élément justifiant de sa capacité à apurer sa dette.

La Cour d’appel d’Agen confirme l’ordonnance en toutes ses dispositions. Elle juge que si la demande de délais est recevable tant que la résiliation n’a pas été constatée par une décision passée en force de chose jugée, elle n’est pas fondée en l’absence de tout élément comptable démontrant la capacité du preneur à s’acquitter de sa dette.

L’intérêt de cette décision réside dans la réaffirmation des exigences probatoires pesant sur le preneur qui sollicite des délais de paiement (I), ainsi que dans la confirmation du caractère automatique de la clause résolutoire en l’absence de justification suffisante (II).

I. L’exigence d’une démonstration effective de la capacité de paiement

La cour rappelle d’abord le principe de recevabilité de la demande de délais (A), avant de sanctionner l’insuffisance des justificatifs produits par le preneur (B).

A. La recevabilité de principe de la demande de délais

L’article L.145-41 alinéa 2 du code de commerce permet au juge d’accorder des délais de paiement et de suspendre la réalisation de la clause résolutoire « lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée ». La cour précise que « cette demande est recevable, le preneur pouvant solliciter des délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire même après l’expiration du délai d’un mois à compter du commandement, tant que la résiliation n’est pas constatée par une décision passée en force de chose jugée ».

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation qui admet que le preneur puisse former une telle demande jusqu’à ce que la décision constatant la résiliation soit définitive. Le recours exercé contre l’ordonnance de référé ouvre ainsi une nouvelle fenêtre procédurale permettant au débiteur de solliciter la clémence du juge. La cour d’appel reconnaît explicitement cette faculté sans la remettre en cause.

B. L’exigence de justificatifs probants

Si la demande est recevable, encore faut-il qu’elle soit fondée. La cour relève que le preneur « qui prétend avoir subi une baisse d’activité dans le courant de l’année 2023 et être désormais en mesure de s’acquitter de la totalité de sa dette, ne verse aux débats aucun élément comptable permettant d’en justifier ». Elle ajoute qu’« aucun commencement de paiement n’est invoqué » et que « seuls ses revenus de l’année 2023 sont produits ».

Cette motivation révèle une application rigoureuse de l’article 1343-5 du code civil, auquel renvoie l’article L.145-41 du code de commerce. Le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation, mais il ne peut accorder de délais qu’en considération de la situation du débiteur et des besoins du créancier. Or, en l’espèce, le preneur n’établit ni l’amélioration de sa situation financière, ni sa capacité à honorer simultanément l’indemnité d’occupation courante et le remboursement de l’arriéré. La cour en déduit logiquement que la demande n’est pas fondée.

II. La confirmation de l’automaticité de la clause résolutoire

Le rejet de la demande de délais emporte confirmation de l’acquisition de la clause résolutoire (A), ce qui illustre la rigueur du mécanisme contractuel en matière de baux commerciaux (B).

A. L’acquisition définitive de la clause résolutoire

La clause 32 du bail stipulait que celui-ci serait « résilié de plein droit si bon semble au bailleur », un mois après un commandement de payer demeuré sans effet. La cour constate que le preneur « ne conteste ni la validité de cette clause, ni la délivrance d’un courrier recommandé de mise en demeure […], ni la délivrance par un commissaire de justice, le 16 février 2024, d’un commandement de payer […], ni enfin le montant de la somme mise à sa charge ».

L’absence de contestation sur les conditions formelles de mise en œuvre de la clause résolutoire prive le preneur de tout moyen de défense autre que la demande de délais. La cour n’a donc pas à se prononcer sur la régularité du commandement ou la validité de la clause : le débat se concentre exclusivement sur l’opportunité d’accorder un sursis. Le rejet de cette demande entraîne mécaniquement la confirmation de la résiliation.

B. La protection des intérêts du bailleur

La cour prend également en compte la situation du créancier. Le bailleur faisait valoir que « l’absence de paiement des loyers […] se répercute gravement sur sa gestion financière », ayant souscrit un emprunt pour l’acquisition du bien donné à bail, dont l’échéance mensuelle s’élève à 1 429 euros. Bien que cet argument ne soit pas expressément repris dans les motifs de l’arrêt, la référence à l’équité dans l’octroi de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile suggère que la cour a tenu compte de l’équilibre des intérêts en présence.

La clause résolutoire constitue une garantie essentielle pour le bailleur commercial, lui permettant de récupérer rapidement la jouissance de son bien en cas de défaillance du preneur. La présente décision confirme que le pouvoir modérateur du juge ne saurait être détourné de sa finalité : il vise à permettre au débiteur de bonne foi de surmonter une difficulté passagère, non à offrir un répit à celui qui ne démontre pas sa capacité à redresser sa situation. L’arrêt de la Cour d’appel d’Agen du 13 août 2025 s’inscrit ainsi dans une ligne jurisprudentielle soucieuse de préserver l’efficacité des clauses résolutoires tout en laissant ouverte la possibilité d’un aménagement au bénéfice du preneur diligent.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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