Cour d’appel de Agen, le 10 septembre 2025, n°24/00753
Le contentieux relatif à la liquidation des astreintes constitue un domaine dans lequel le juge de l’exécution exerce un pouvoir d’appréciation significatif. La présente décision de la cour d’appel d’Agen du 10 septembre 2025 en offre une illustration éclairante, à travers un litige opposant des voisins depuis près d’une décennie.
Une propriétaire avait été condamnée par un jugement du tribunal de grande instance d’Agen du 8 avril 2016 à faire réaliser un mur de soutènement sur sa parcelle, en raison d’un trouble anormal de voisinage consistant en une menace de glissement de terrain affectant le fonds voisin. Cette condamnation comportait une obligation de faire assortie d’une astreinte de 300 euros par jour de retard. La cour d’appel d’Agen, par arrêt du 6 mars 2019, avait confirmé cette condamnation et prononcé une astreinte provisoire de 300 euros par jour à compter du 90ème jour suivant la signification de la décision. L’arrêt avait été signifié le 19 mai 2019. Le pourvoi formé contre cet arrêt fut rejeté par la Cour de cassation le 16 septembre 2021.
Les créanciers de l’obligation ont saisi le juge de l’exécution d’une demande en liquidation de l’astreinte par assignation du 16 août 2023, réclamant initialement une somme de 396 900 euros. La débitrice de l’astreinte invoquait plusieurs causes étrangères justifiant selon elle l’inexécution. Le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Agen, par jugement du 17 mai 2024, a liquidé l’astreinte à hauteur de 50 000 euros pour la période du 16 août 2019 au 17 mai 2024, supprimant l’astreinte pour le surplus et pour l’avenir. Les créanciers ont interjeté appel incident sollicitant la liquidation à hauteur de 520 800 euros, correspondant au montant théorique de l’astreinte courue.
La question posée à la cour d’appel d’Agen était de déterminer si les circonstances invoquées par la débitrice constituaient une cause étrangère au sens de l’article L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, justifiant la suppression totale ou partielle de l’astreinte, et subsidiairement d’apprécier le quantum de la liquidation au regard du comportement de la débitrice et des difficultés rencontrées.
La cour d’appel confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle écarte l’ensemble des causes étrangères invoquées et valide la liquidation de l’astreinte à 50 000 euros, soit moins d’un dixième du montant théoriquement encouru de 520 800 euros.
Cette décision mérite examen sous deux angles. Elle illustre d’abord le traitement rigoureux réservé aux moyens tirés de la cause étrangère en matière de liquidation d’astreinte (I). Elle révèle ensuite l’étendue du pouvoir modérateur du juge dans la fixation du montant liquidé (II).
I. Le rejet méthodique des causes étrangères invoquées
La cour procède à un examen systématique des obstacles allégués par la débitrice. Cette analyse conduit au rejet tant des difficultés procédurales que des contraintes financières et techniques.
A. L’inefficacité des difficultés procédurales et financières
La débitrice invoquait en premier lieu « une procédure administrative en contestation du permis de construire de 2012 dont le maintien était obligatoire pour réaliser le mur de soutènement ». Cette procédure avait abouti à un arrêt favorable du 28 juin 2019, soit peu après le point de départ de l’astreinte. La cour écarte implicitement ce moyen qui ne saurait justifier une inexécution prolongée sur plusieurs années.
L’argument tiré du « refus de M. [G] de payer les condamnations et l’organisation de son insolvabilité » est également rejeté. La cour relève que la débitrice « n’a pas fait exécuter l’arrêt contre M. [G] condamné en nom personnel, et dont l’état d’insolvabilité n’est pas établi ». Cette observation souligne que le débiteur de l’astreinte ne peut invoquer l’inexécution par un tiers garant sans avoir préalablement tenté de le contraindre.
La cour rappelle également que « le titre est clair, elle est condamnée à titre personnel ». La débitrice « n’établit pas son état d’impécuniosité ou son insolvabilité ». La circonstance que l’assureur refuse le préfinancement des travaux ne constitue pas davantage une cause étrangère exonératoire. Le débiteur d’une obligation de faire assortie d’astreinte demeure tenu personnellement, indépendamment des recours dont il dispose contre des tiers.
B. L’insuffisance des obstacles techniques allégués
La débitrice soutenait avoir découvert tardivement que « la solution préconisée par l’expert était techniquement irréalisable ». Elle avait finalement eu recours à un bureau d’études spécialisé en octobre 2023 seulement, soit plus de quatre ans après le point de départ de l’astreinte.
La cour reprend l’analyse du premier juge selon laquelle « la consultation du bureau d’étude ZANI INGENIERIE était tardive ». Elle ajoute une observation décisive : « l’aggravation de la situation résulte de l’inertie de Mme [D] face à un phénomène géologique évolutif ». La débitrice ne peut ainsi se prévaloir d’une difficulté technique qu’elle a elle-même laissé s’aggraver par sa passivité.
Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle la cause étrangère suppose un événement imprévisible, irrésistible et extérieur au débiteur. L’impossibilité invoquée doit être absolue et non simplement résulter d’un défaut de diligence. Le fait de différer pendant plusieurs années la consultation d’un bureau d’études spécialisé alors que la décision l’imposait expressément révèle une absence de volonté réelle d’exécution.
II. L’exercice du pouvoir modérateur dans la liquidation
Après avoir écarté la cause étrangère, la cour confirme néanmoins une liquidation très inférieure au montant théorique. Cette modération illustre le pouvoir souverain du juge de l’exécution et s’accompagne d’une suppression de l’astreinte pour l’avenir.
A. La réduction substantielle du montant liquidé
Le montant théorique de l’astreinte s’élevait à 520 800 euros, correspondant à 300 euros par jour sur la période considérée. La cour confirme une liquidation à hauteur de 50 000 euros seulement, soit moins de 10 % du quantum encouru.
Cette réduction substantielle trouve son fondement dans l’article L. 131-4 alinéa 1er du code des procédures civiles d’exécution qui dispose que « le montant de l’astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter ». La cour précise le critère retenu en appréciant « le caractère proportionné de l’atteinte que la présente astreinte porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu’elle poursuit ».
Cette référence au principe de proportionnalité mérite attention. La cour intègre une dimension constitutionnelle et conventionnelle dans son appréciation du quantum de l’astreinte. L’astreinte ne doit pas constituer une sanction disproportionnée mais demeurer un moyen de contrainte mesuré. Le juge dispose ainsi d’un pouvoir modérateur lui permettant d’éviter qu’une astreinte théoriquement astronomique ne conduise à une spoliation du débiteur.
B. La suppression de l’astreinte pour l’avenir
La cour confirme également la suppression de l’astreinte pour l’avenir prononcée par le premier juge. Cette solution peut surprendre dans la mesure où l’obligation principale n’est toujours pas exécutée. Les créanciers se trouvent ainsi privés de tout moyen de pression pour l’avenir.
Cette décision s’explique vraisemblablement par le constat implicite de l’inefficacité de l’astreinte comme moyen de contrainte. Après plus de six années d’inexécution, le maintien d’une astreinte apparaît vain. La cour note que « les parties sont de la même génération », ce qui suggère un contexte dans lequel la contrainte financière atteint ses limites pratiques.
La suppression de l’astreinte pour l’avenir n’emporte pas extinction de l’obligation principale. Les créanciers conservent la faculté de solliciter l’exécution forcée par d’autres voies, notamment l’exécution aux frais du débiteur prévue par l’article L. 222-1 du code des procédures civiles d’exécution. La décision illustre cependant les limites de l’astreinte face à un débiteur récalcitrant ou impécunieux sur une longue durée.
Le contentieux relatif à la liquidation des astreintes constitue un domaine dans lequel le juge de l’exécution exerce un pouvoir d’appréciation significatif. La présente décision de la cour d’appel d’Agen du 10 septembre 2025 en offre une illustration éclairante, à travers un litige opposant des voisins depuis près d’une décennie.
Une propriétaire avait été condamnée par un jugement du tribunal de grande instance d’Agen du 8 avril 2016 à faire réaliser un mur de soutènement sur sa parcelle, en raison d’un trouble anormal de voisinage consistant en une menace de glissement de terrain affectant le fonds voisin. Cette condamnation comportait une obligation de faire assortie d’une astreinte de 300 euros par jour de retard. La cour d’appel d’Agen, par arrêt du 6 mars 2019, avait confirmé cette condamnation et prononcé une astreinte provisoire de 300 euros par jour à compter du 90ème jour suivant la signification de la décision. L’arrêt avait été signifié le 19 mai 2019. Le pourvoi formé contre cet arrêt fut rejeté par la Cour de cassation le 16 septembre 2021.
Les créanciers de l’obligation ont saisi le juge de l’exécution d’une demande en liquidation de l’astreinte par assignation du 16 août 2023, réclamant initialement une somme de 396 900 euros. La débitrice de l’astreinte invoquait plusieurs causes étrangères justifiant selon elle l’inexécution. Le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Agen, par jugement du 17 mai 2024, a liquidé l’astreinte à hauteur de 50 000 euros pour la période du 16 août 2019 au 17 mai 2024, supprimant l’astreinte pour le surplus et pour l’avenir. Les créanciers ont interjeté appel incident sollicitant la liquidation à hauteur de 520 800 euros, correspondant au montant théorique de l’astreinte courue.
La question posée à la cour d’appel d’Agen était de déterminer si les circonstances invoquées par la débitrice constituaient une cause étrangère au sens de l’article L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution, justifiant la suppression totale ou partielle de l’astreinte, et subsidiairement d’apprécier le quantum de la liquidation au regard du comportement de la débitrice et des difficultés rencontrées.
La cour d’appel confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle écarte l’ensemble des causes étrangères invoquées et valide la liquidation de l’astreinte à 50 000 euros, soit moins d’un dixième du montant théoriquement encouru de 520 800 euros.
Cette décision mérite examen sous deux angles. Elle illustre d’abord le traitement rigoureux réservé aux moyens tirés de la cause étrangère en matière de liquidation d’astreinte (I). Elle révèle ensuite l’étendue du pouvoir modérateur du juge dans la fixation du montant liquidé (II).
I. Le rejet méthodique des causes étrangères invoquées
La cour procède à un examen systématique des obstacles allégués par la débitrice. Cette analyse conduit au rejet tant des difficultés procédurales que des contraintes financières et techniques.
A. L’inefficacité des difficultés procédurales et financières
La débitrice invoquait en premier lieu « une procédure administrative en contestation du permis de construire de 2012 dont le maintien était obligatoire pour réaliser le mur de soutènement ». Cette procédure avait abouti à un arrêt favorable du 28 juin 2019, soit peu après le point de départ de l’astreinte. La cour écarte implicitement ce moyen qui ne saurait justifier une inexécution prolongée sur plusieurs années.
L’argument tiré du « refus de M. [G] de payer les condamnations et l’organisation de son insolvabilité » est également rejeté. La cour relève que la débitrice « n’a pas fait exécuter l’arrêt contre M. [G] condamné en nom personnel, et dont l’état d’insolvabilité n’est pas établi ». Cette observation souligne que le débiteur de l’astreinte ne peut invoquer l’inexécution par un tiers garant sans avoir préalablement tenté de le contraindre.
La cour rappelle également que « le titre est clair, elle est condamnée à titre personnel ». La débitrice « n’établit pas son état d’impécuniosité ou son insolvabilité ». La circonstance que l’assureur refuse le préfinancement des travaux ne constitue pas davantage une cause étrangère exonératoire. Le débiteur d’une obligation de faire assortie d’astreinte demeure tenu personnellement, indépendamment des recours dont il dispose contre des tiers.
B. L’insuffisance des obstacles techniques allégués
La débitrice soutenait avoir découvert tardivement que « la solution préconisée par l’expert était techniquement irréalisable ». Elle avait finalement eu recours à un bureau d’études spécialisé en octobre 2023 seulement, soit plus de quatre ans après le point de départ de l’astreinte.
La cour reprend l’analyse du premier juge selon laquelle « la consultation du bureau d’étude ZANI INGENIERIE était tardive ». Elle ajoute une observation décisive : « l’aggravation de la situation résulte de l’inertie de Mme [D] face à un phénomène géologique évolutif ». La débitrice ne peut ainsi se prévaloir d’une difficulté technique qu’elle a elle-même laissé s’aggraver par sa passivité.
Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle la cause étrangère suppose un événement imprévisible, irrésistible et extérieur au débiteur. L’impossibilité invoquée doit être absolue et non simplement résulter d’un défaut de diligence. Le fait de différer pendant plusieurs années la consultation d’un bureau d’études spécialisé alors que la décision l’imposait expressément révèle une absence de volonté réelle d’exécution.
II. L’exercice du pouvoir modérateur dans la liquidation
Après avoir écarté la cause étrangère, la cour confirme néanmoins une liquidation très inférieure au montant théorique. Cette modération illustre le pouvoir souverain du juge de l’exécution et s’accompagne d’une suppression de l’astreinte pour l’avenir.
A. La réduction substantielle du montant liquidé
Le montant théorique de l’astreinte s’élevait à 520 800 euros, correspondant à 300 euros par jour sur la période considérée. La cour confirme une liquidation à hauteur de 50 000 euros seulement, soit moins de 10 % du quantum encouru.
Cette réduction substantielle trouve son fondement dans l’article L. 131-4 alinéa 1er du code des procédures civiles d’exécution qui dispose que « le montant de l’astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter ». La cour précise le critère retenu en appréciant « le caractère proportionné de l’atteinte que la présente astreinte porte au droit de propriété du débiteur au regard du but légitime qu’elle poursuit ».
Cette référence au principe de proportionnalité mérite attention. La cour intègre une dimension constitutionnelle et conventionnelle dans son appréciation du quantum de l’astreinte. L’astreinte ne doit pas constituer une sanction disproportionnée mais demeurer un moyen de contrainte mesuré. Le juge dispose ainsi d’un pouvoir modérateur lui permettant d’éviter qu’une astreinte théoriquement astronomique ne conduise à une spoliation du débiteur.
B. La suppression de l’astreinte pour l’avenir
La cour confirme également la suppression de l’astreinte pour l’avenir prononcée par le premier juge. Cette solution peut surprendre dans la mesure où l’obligation principale n’est toujours pas exécutée. Les créanciers se trouvent ainsi privés de tout moyen de pression pour l’avenir.
Cette décision s’explique vraisemblablement par le constat implicite de l’inefficacité de l’astreinte comme moyen de contrainte. Après plus de six années d’inexécution, le maintien d’une astreinte apparaît vain. La cour note que « les parties sont de la même génération », ce qui suggère un contexte dans lequel la contrainte financière atteint ses limites pratiques.
La suppression de l’astreinte pour l’avenir n’emporte pas extinction de l’obligation principale. Les créanciers conservent la faculté de solliciter l’exécution forcée par d’autres voies, notamment l’exécution aux frais du débiteur prévue par l’article L. 222-1 du code des procédures civiles d’exécution. La décision illustre cependant les limites de l’astreinte face à un débiteur récalcitrant ou impécunieux sur une longue durée.