9ème – 10ème chambres réunies du Conseil d’État, le 15 avril 2025, n°487683

Le Conseil d’État a rendu, le 15 avril 2025, une décision relative aux modalités de détermination de la plus-value immobilière réalisée par une société non résidente. Cette affaire porte sur l’incidence d’une réévaluation libre d’un actif immobilier, situé en France, sur le calcul du prélèvement fiscal lors de sa cession ultérieure. Une société de droit danois a acquis un immeuble parisien en 2008 pour un montant de 16,5 millions d’euros avant de procéder à sa réévaluation libre. La valeur comptable de ce bien a été portée à 31,3 millions d’euros lors de son affectation à une succursale française créée peu après.

La cession de cet ensemble immobilier est intervenue en 2016 pour un prix de 35 millions d’euros, déclenchant ainsi un contrôle de l’administration fiscale française. L’administration a rectifié le montant de la plus-value en retenant le prix d’acquisition initial au lieu de la valeur réévaluée figurant au bilan de clôture. Le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de décharge de la société par un jugement n° 2009043 du 22 juin 2021, ensuite confirmé en appel. La cour administrative d’appel de Paris, par un arrêt n° 21PA04323 du 28 juin 2023, a validé ce redressement faute de preuve d’une imposition du profit. La société requérante soutient devant le Conseil d’État que la valeur comptable réévaluée doit primer, sans condition tenant à l’imposition effective du gain latent constaté.

Le juge devait déterminer si le prix d’acquisition d’un immeuble réévalué s’entend de sa valeur nouvelle au bilan, même sans taxation préalable de ce profit initial. La décision commentée annule l’arrêt d’appel en affirmant que la valeur comptable réévaluée est opposable à l’administration sans condition d’imposition effective du profit de réévaluation. L’opposabilité de la valeur réévaluée au bilan (I) précède l’étude de la cohérence comptable et fiscale de cette solution protectrice (II).

I. L’opposabilité de la valeur réévaluée au bilan

L’examen du principe de la valeur d’origine (A) permet de comprendre l’indifférence de l’imposition effective du profit de réévaluation (B).

A. Le principe de la valeur d’origine issue de la réévaluation libre

Le Conseil d’État rappelle que pour l’application du prélèvement sur les plus-values, le prix d’acquisition s’entend de la valeur d’origine inscrite au bilan fiscal. Cette règle s’applique aux sociétés non résidentes possédant des immeubles en France, selon les dispositions combinées des articles 38 et 244 bis A du code fiscal. La Haute Juridiction précise qu’une entreprise procédant à une réévaluation libre de ses immobilisations définit une nouvelle valeur d’inscription constituant désormais son propre référentiel. « Lorsqu’une entreprise procède à une réévaluation libre d’éléments d’actif de son bilan, (…) ce prix d’acquisition s’entend de la valeur nouvelle pour laquelle ces biens sont inscrits ». Cette interprétation littérale de la loi fiscale assure une correspondance nécessaire entre les écritures comptables de la succursale et l’assiette de l’impôt de cession.

B. L’indifférence de l’imposition effective du profit de réévaluation

La décision censure le raisonnement de la cour administrative d’appel de Paris qui subordonnait l’usage de la valeur réévaluée à l’imposition effective du profit comptable correspondant. Le juge de cassation estime que la société peut opposer la valeur comptable réévaluée même si ce gain n’a pas été imposé en France auparavant. Cette absence d’imposition peut résulter de l’application de conventions internationales ou de la législation de l’État de résidence de la société étrangère concernée par l’opération. Le Conseil d’État juge que les magistrats d’appel ont commis une erreur de droit en exigeant que le profit soit obligatoirement compris dans les bénéfices imposables. La solution retenue privilégie la réalité de l’inscription au bilan sur les modalités de taxation du gain constaté. L’admission de cette opposabilité conduit à s’interroger sur la cohérence d’une telle solution au regard des principes généraux régissant le droit fiscal.

II. Une clarification protectrice de la cohérence comptable et fiscale

La critique d’une condition non prévue par la loi (A) éclaire la garantie de neutralité des restructurations internationales (B).

A. La remise en cause d’une condition non prévue par la loi

En annulant l’arrêt du 28 juin 2023, le Conseil d’État refuse d’ajouter aux textes fiscaux une condition d’imposition effective qui ne s’y trouve pas expressément. La cour administrative d’appel avait indûment lié le calcul de la plus-value de cession à la vérification d’une taxation antérieure du profit de réévaluation comptable initial. Cette exigence créait une insécurité juridique pour les sociétés étrangères dont les opérations de restructuration sont parfois exonérées par l’effet de traités fiscaux internationaux protecteurs. « La société requérante était fondée à opposer à l’administration fiscale la valeur comptable réévaluée du bien en cause », malgré les stipulations de la convention franco-danoise applicable. Le juge administratif rappelle ici que l’administration doit se conformer aux règles de détermination de l’actif net sans écarter une valeur comptable pourtant régulière.

B. Une solution garantissant la neutralité des restructurations internationales

La portée de cet arrêt s’étend à la protection de la neutralité fiscale des transferts d’actifs immobiliers vers des succursales françaises de sociétés non résidentes. Le Conseil d’État valide la possibilité pour une entité étrangère de fixer une valeur de référence lors de l’affectation d’un bien à son établissement stable français. Cette décision évite une double imposition économique résultant de la taxation d’une plus-value calculée sur une valeur historique déjà réévaluée avant l’entrée en France. L’arrêt confirme que les règles d’assiette du prélèvement immobilier doivent rester identiques à celles applicables aux sociétés résidentes, conformément au principe de non-discrimination fiscale européenne. La Haute Juridiction assure une symétrie indispensable entre les règles de comptabilisation des actifs immobiliers et leur traitement fiscal lors d’une cession ultérieure à un tiers.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture