8ème – 3ème chambres réunies du Conseil d’État, le 19 décembre 2024, n°491592

Le Conseil d’État s’est prononcé, le 19 décembre 2024, sur les modalités de liquidation d’une astreinte administrative en cas de découverte d’espèces protégées. Une occupante sans titre du domaine public maritime avait été condamnée à démolir diverses installations maçonnées sous peine d’une astreinte journalière. L’administration a ultérieurement sollicité la liquidation de cette somme devant le tribunal administratif de Bastia, lequel a rejeté la demande en première instance. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé ce jugement le 8 décembre 2023 et condamné l’intéressée à un versement significatif. La requérante contestait cette décision en invoquant la présence de dattes de mer sur le site, rendant la démolition impossible sans méconnaître le code de l’environnement. La haute juridiction administrative devait déterminer si la préservation d’espèces protégées constituait une difficulté d’exécution opposable à la liquidation d’une astreinte déjà prononcée. Le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel au motif que le juge doit apprécier concrètement les obstacles environnementaux rencontrés par le débiteur de l’obligation.

I. L’obligation d’examen des obstacles matériels à l’exécution de l’injonction

A. Le pouvoir souverain de modulation de l’astreinte provisoire

Le juge administratif dispose d’un pouvoir de modulation étendu lorsqu’il procède à la liquidation d’une astreinte provisoire initialement fixée par une décision juridictionnelle. Il peut ainsi « modérer ou supprimer l’astreinte provisoire, même en cas d’inexécution de la décision juridictionnelle » en tenant compte des diligences accomplies. Cette faculté repose sur l’analyse des difficultés réelles rencontrées par les parties tenues d’exécuter la chose jugée dans le délai imparti par l’injonction. La liquidation n’est donc pas une conséquence automatique de l’inexécution mais le résultat d’une évaluation globale du comportement et des contraintes du débiteur.

B. La qualification erronée d’un moyen inopérant

La cour administrative d’appel de Marseille a cependant considéré comme inopérant le moyen tiré de la menace pesant sur une espèce marine protégée. Le Conseil d’État censure ce raisonnement car il appartenait aux juges du fond d’apprécier la réalité de la difficulté d’exécution ainsi invoquée par la requérante. L’omission de cet examen constitue une erreur de droit puisque la protection de la biodiversité peut légalement faire obstacle à une opération immédiate de démolition. En refusant d’étudier le rapport de constat amiable produit, les juges d’appel ont méconnu l’étendue de leur mission de contrôle lors de la liquidation.

II. L’articulation entre autorité de la chose jugée et protection de la biodiversité

A. La reconnaissance de la contrainte environnementale comme difficulté d’exécution

La solution retenue souligne l’importance des dispositions issues de la directive Habitats et du code de l’environnement dans la mise en œuvre des décisions souveraines. La présence d’une colonie de dattes de mer impose le respect d’interdictions strictes concernant la « destruction, l’altération ou la dégradation de son milieu particulier ». L’exécution de la démolition ne saurait s’affranchir de ces contraintes législatives supérieures, même pour satisfaire à l’obligation impérieuse de libération du domaine public. Cette reconnaissance permet d’éviter que le débiteur ne soit sanctionné financièrement pour avoir respecté une interdiction environnementale impérative d’ordre public.

B. La détermination des conditions d’exécution par le juge de la liquidation

Le juge de la liquidation doit désormais évaluer la possibilité pour l’administration d’accorder une dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées sur un fondement légal. Il lui revient de « préciser les conditions d’exécution de la démolition ordonnée » en tenant compte des avis techniques sur la viabilité du déplacement des individus. Cette mission implique une vérification de la possibilité éventuelle pour l’autorité compétente de permettre les travaux malgré la présence des spécimens recensés tardivement. Cette approche pragmatique assure une conciliation nécessaire entre le respect de la chose jugée et les impératifs contemporains de préservation durable des écosystèmes.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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