7ème chambre du Conseil d’État, le 31 juillet 2025, n°502246

Le Conseil d’Etat, dans sa décision du 31 juillet 2025, se prononce sur la recevabilité de l’action en garantie décennale d’une collectivité territoriale. Une commune avait confié l’aménagement d’une promenade à des constructeurs avant de transférer sa compétence en matière de voirie à une métropole. Des désordres étant apparus, la commune et la métropole ont sollicité la condamnation solidaire des entreprises devant le juge des référés. Par une ordonnance du 7 août 2024, le tribunal administratif de Toulon a fait droit aux demandes de provision formulées par les deux collectivités. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Marseille a, le 17 février 2025, confirmé la condamnation des constructeurs au profit de la seule commune. La haute juridiction administrative doit alors déterminer si la qualité pour agir se cristallise à la date de l’apparition des désordres. Elle annule l’arrêt attaqué en considérant que l’intérêt pour agir s’apprécie au moment de l’introduction du recours contentieux. L’étude de la transmission des actions accessoires à l’ouvrage précédera l’examen des conditions de maintien d’un intérêt direct pour le maître d’ouvrage initial.

I. L’exigence d’une qualité pour agir appréciée au jour de l’instance

A. Le rappel des principes de transmission de l’action en garantie décennale

« Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que l’action (…) accompagne l’immeuble et se transmet aux acquéreurs ». Cette règle fondamentale souligne le caractère accessoire de l’action en responsabilité décennale attachée à la propriété de l’ouvrage construit. Le transfert de propriété, ou ici le transfert de compétence légale, emporte normalement la cession des droits et actions qui y sont attachés. La métropole, désormais titulaire de la compétence voirie, devient en principe la seule autorité habilitée à exercer les droits du maître de l’ouvrage. La transmission automatique de l’action vise à protéger celui qui supporte effectivement la charge des désordres affectant l’immeuble. Cette dévolution automatique des droits se heurte toutefois aux erreurs d’appréciation temporelle commises par certaines juridictions de seconde instance.

B. La sanction de l’erreur de droit commise par les juges du fond

La cour administrative d’appel de Marseille avait estimé que la commune conservait sa qualité pour agir en se fondant sur l’antériorité des désordres. Le Conseil d’Etat juge qu’ « en se plaçant, pour apprécier l’intérêt pour agir de la commune, à la date de l’apparition du désordre », les juges ont fauté. Cette position méconnaît la règle processuelle classique selon laquelle la recevabilité d’une requête s’apprécie au jour de son introduction devant la juridiction. L’antériorité des malfaçons ne suffit pas à figer la qualité de demandeur si le droit substantiel a été transféré entre-temps. Cette exigence de rigueur juridique assure la cohérence entre la titularité du droit de propriété et l’exercice de l’action en justice afférente. La transmission du droit d’agir vers l’acquéreur n’exclut toutefois pas totalement l’ancien propriétaire lorsque celui-ci justifie encore d’un préjudice personnel.

II. Les tempéraments liés à l’intérêt direct et certain du cédant

A. La reconnaissance d’une faculté d’agir résiduelle du maître de l’ouvrage initial

« Le maître de l’ouvrage ne perd cependant pas la faculté d’exercer cette action dans la mesure où elle présente pour lui un intérêt direct et certain ». Cette réserve permet au cédant de demeurer en la cause s’il démontre un préjudice personnel subsistant malgré le transfert de l’immeuble. Tel pourrait être le cas si la commune avait déjà engagé des frais de réparation avant la cession de sa compétence. L’intérêt direct et certain doit toutefois être prouvé concrètement par le requérant initial pour justifier sa présence dans l’instance juridictionnelle. La décision commentée rappelle ainsi que la transmission n’est pas absolue mais dépend de la réalité du préjudice subi par l’ancien propriétaire. La persistance d’un intérêt à agir doit nécessairement se traduire par une analyse rigoureuse des conséquences financières réelles du sinistre.

B. Les conséquences pratiques du transfert de compétence sur l’indemnisation

L’annulation de l’arrêt d’appel entraîne le renvoi de l’affaire afin de vérifier l’intérêt actuel de la commune à solliciter une provision financière. Si la métropole assume désormais la charge des travaux de réfection, l’indemnisation versée à la commune pourrait constituer un enrichissement sans cause manifeste. Les constructeurs obtiennent par ce pourvoi une protection contre le risque d’une double condamnation ou d’un versement à une partie non lésée. Cette solution favorise une identification précise du créancier de l’obligation de réparation dans les relations complexes entre collectivités publiques et métropoles. La rigueur de la procédure administrative garantit que seul le porteur effectif de la charge financière des désordres puisse obtenir réparation intégrale.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture