Par une décision rendue le 5 mars 2025, le Conseil d’État apporte des précisions essentielles sur la qualification juridique des pensions de famille au regard des règles d’urbanisme. L’autorité municipale d’une commune avait délivré un permis de construire pour la réalisation d’une structure de vingt-cinq chambres comportant des espaces de vie collectifs. Plusieurs riverains ont formé un recours pour excès de pouvoir contre cet arrêté devant la juridiction administrative afin d’en obtenir l’annulation. Le tribunal administratif de Marseille a d’abord prononcé un sursis à statuer le 2 mai 2023 avant de rejeter la requête par un second jugement le 9 octobre 2023. Les requérants soutenaient que le projet méconnaissait le règlement du plan local d’urbanisme qui limitait les constructions autorisées dans le secteur concerné par le litige. La question posée aux juges consistait à déterminer si une pension de famille relève de la destination habitation ou de celle des équipements d’intérêt collectif. La haute juridiction administrative juge que cette construction constitue un hébergement résidentiel nonobstant la mission sociale accomplie par l’organisme gestionnaire au bénéfice des occupants. L’analyse du raisonnement suivi conduit à examiner la qualification de la structure comme hébergement avant d’étudier l’exclusion de la catégorie des équipements d’intérêt public.
I. La qualification de la pension de famille comme hébergement résidentiel
A. L’articulation nécessaire entre les codes de l’urbanisme et de la construction
Le Conseil d’État fonde sa position sur la définition législative de la « pension de famille » issue du code de la construction et de l’habitation. Il rappelle que cet établissement est « destiné à l’accueil sans condition de durée des personnes dont la situation sociale et psychologique rend difficile leur accès à un logement ordinaire ». Cette approche fonctionnelle permet de situer la nature de l’activité exercée au sein de l’immeuble pour en déduire les règles d’urbanisme applicables. Les juges soulignent la spécificité de cet accueil qui se distingue du logement classique par la présence de services et d’espaces collectifs intégrés au projet.
La décision impose une lecture combinée des textes pour garantir la cohérence des catégories juridiques applicables aux structures sociales au sein du territoire communal. Les dispositions du règlement national d’urbanisme servent de cadre supplétif en l’absence de définitions précises contenues dans le plan local d’urbanisme de la commune. L’usage de critères objectifs permet d’identifier la catégorie de destination sans laisser de marge d’appréciation excessive aux autorités chargées de délivrer les autorisations d’occuper le sol. Cette méthode assure une prévisibilité indispensable pour les pétitionnaires et les tiers lors de l’instruction des demandes de permis de construire.
B. L’interprétation rigoureuse de la sous-destination hébergement
La juridiction administrative précise que la destination « habitation » comporte deux sous-destinations distinctes identifiées sous les termes respectifs de « logement » et de « hébergement ». Elle relève que la seconde catégorie inclut « les constructions destinées à l’hébergement dans des résidences ou foyers avec service » comme les maisons de retraite ou les foyers de travailleurs. Le Conseil d’État en déduit qu’une pension de famille relève de cette catégorie en raison de sa structure hybride associant des chambres privatives à des services collectifs. Cette classification s’impose car le projet vise principalement à offrir un lieu de vie pérenne à des personnes en situation de fragilité sociale.
La solution retenue s’inscrit dans une volonté de clarification des destinations de constructions dont la liste est fixée par les dispositions réglementaires du code de l’urbanisme. Le juge refuse de s’écarter de cette nomenclature stricte pour éviter une confusion entre l’usage effectif du bâtiment et les objectifs sociaux poursuivis par le pétitionnaire. Cette rigueur sémantique permet de stabiliser le droit positif tout en facilitant l’application du zonage défini par les auteurs des plans locaux d’urbanisme. La reconnaissance du caractère résidentiel de la pension de famille entraîne nécessairement des conséquences sur la compatibilité du projet avec le règlement de la zone.
II. Le rejet d’une assimilation aux équipements d’intérêt collectif
A. L’inopérance du critère de la mission d’intérêt public
Le Conseil d’État écarte l’argument consistant à classer la construction parmi les équipements d’intérêt collectif au seul motif qu’elle remplit une mission d’utilité sociale. La décision précise qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de la circonstance que la structure est « gérée par une entreprise sociale pour l’habitat ». La qualité du gestionnaire et la finalité sociale de l’activité ne sauraient modifier la destination intrinsèque du bâtiment au regard des règles d’urbanisme. Cette distinction entre l’intérêt général de la mission et la nature matérielle de la construction constitue un pilier du droit de l’urbanisme contemporain.
L’arrêt souligne que la catégorie des « établissements d’enseignement, de santé et d’action sociale » ne saurait absorber des projets dont la fonction principale demeure le logement. Les équipements collectifs visés par le règlement concernent davantage des structures d’accueil temporaire ou des centres de services sans dimension résidentielle prédominante ou exclusive. Le juge administratif limite ainsi les risques de détournement de procédure qui consisteraient à qualifier un immeuble de service public pour échapper aux contraintes du zonage. Cette approche protège l’équilibre des zones urbaines en garantissant que les constructions d’habitation respectent les règles de densité et d’implantation prévues.
B. La sanction de l’erreur de qualification juridique des faits
La haute juridiction censure les jugements du tribunal administratif de Marseille pour avoir inexactement qualifié les faits de l’espèce lors de l’examen de la légalité du permis. Le tribunal avait estimé à tort que le projet pouvait entrer dans la catégorie des « équipements d’intérêt public et/ou collectif » autorisés par le règlement local. Cette erreur de droit a conduit les premiers juges à valider un permis de construire qui méconnaissait pourtant les interdictions d’implantation en zone urbaine. L’annulation des décisions de première instance rétablit la hiérarchie des normes en imposant le respect des sous-destinations définies par le pouvoir réglementaire national.
La portée de cette décision est significative pour les collectivités territoriales qui souhaitent favoriser l’implantation de structures sociales sur leur territoire sans modifier leurs documents d’urbanisme. Le Conseil d’État rappelle que la volonté politique ne peut s’affranchir des contraintes juridiques liées à la classification technique des constructions autorisées dans chaque secteur. Les auteurs des plans locaux d’urbanisme devront désormais veiller à autoriser expressément la sous-destination hébergement s’ils entendent permettre l’édification de telles pensions de famille. Cette solution garantit la protection des tiers contre une interprétation extensive des règlements qui pourrait nuire à la cohérence de leur cadre de vie quotidien.