Tribunal judiciaire de Paris, le 19 juin 2025, n°25/00561
Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Paris le 19 juin 2025 illustre les tensions récurrentes au sein des copropriétés lorsque des copropriétaires majoritaires s’opposent à l’exécution de travaux pourtant imposés par une décision de justice. En l’espèce, un syndicat des copropriétaires avait été condamné, par jugement du 26 juillet 2019 assorti de l’exécution provisoire, à réaliser des travaux d’étanchéité sur la dalle d’un bâtiment, avec dépose et repose des jardins privatifs et renforcement de la structure, conformément aux préconisations d’un expert judiciaire. Les copropriétaires majoritaires, détenteurs de 670 millièmes, avaient systématiquement fait obstacle à ces travaux en votant contre les résolutions afférentes puis en refusant de régler les appels de fonds. Le syndicat des copropriétaires les a assignés en paiement des charges travaux ainsi qu’en réparation du préjudice subi. Les défendeurs soutenaient que les appels de fonds étaient dépourvus de cause en l’absence de vote de l’assemblée générale sur le montant des travaux et le choix des entreprises. Ils invoquaient une violation des règles de mise en concurrence et du fonctionnement démocratique de la copropriété. Le tribunal devait déterminer si le jugement de 2019 dispensait le syndicat d’un nouveau vote en assemblée générale sur le coût des travaux et la désignation des entreprises, et si les appels de fonds étaient fondés nonobstant l’absence d’une telle résolution. Le tribunal a condamné les copropriétaires au paiement des sommes réclamées, retenant que « le jugement du tribunal du 26 juillet 2019 n’a pas statué, de manière générale, sur la consistance des travaux à réaliser » mais « a décidé que ces travaux devaient être exécutés conformément au rapport d’expertise », lequel avait retenu des devis d’entreprises chiffrés issus d’un appel d’offres concurrentiel. Le tribunal a également alloué des dommages-intérêts au syndicat en raison de la mauvaise foi manifeste des défendeurs.
Cette décision soulève deux questions distinctes. La première concerne l’étendue de l’autorité du jugement ordonnant des travaux sous astreinte et ses conséquences sur les prérogatives de l’assemblée générale (I). La seconde porte sur la caractérisation de la mauvaise foi du copropriétaire défaillant et l’indemnisation du préjudice subi par le syndicat (II).
I. L’autorité du jugement ordonnant des travaux sur les prérogatives de l’assemblée générale
Le tribunal consacre une lecture extensive de la portée du jugement initial (A), ce qui conduit à une neutralisation des contestations fondées sur les règles de fonctionnement de la copropriété (B).
A. La consécration d’une lecture extensive du jugement initial
Le tribunal adopte une interprétation large du jugement du 26 juillet 2019. Il relève que cette décision ne s’est pas bornée à prescrire des travaux dans leur principe mais a renvoyé expressément au rapport d’expertise pour en déterminer les modalités d’exécution. Le tribunal souligne que « le renvoi au rapport d’expertise de M. [F] et aux recommandations du sapiteur prend en considération la nature et le coût des travaux, rappelés dans les conclusions du rapport ». Cette motivation repose sur l’idée que l’expertise judiciaire, réalisée contradictoirement, avait déjà tranché les questions relatives au choix des entreprises et au montant des prestations. L’expert avait en effet retenu des devis spécifiques, issus d’un appel d’offres conduit par l’architecte de la copropriété mandaté par l’assemblée générale.
Cette analyse se justifie au regard de l’économie générale du contentieux. Une expertise judiciaire ordonnée en référé puis entérinée par le juge du fond acquiert une valeur probatoire renforcée. Les parties ont pu discuter contradictoirement les solutions techniques proposées et les coûts correspondants. Le tribunal en déduit logiquement que « ce débat avait été l’objet même de l’expertise et ses conclusions ont été entérinées par le jugement ». La référence au rapport d’expertise dans le dispositif du jugement initial ne constitue donc pas une simple indication mais une incorporation des préconisations expertales dans la condamnation elle-même.
B. La neutralisation des contestations fondées sur le fonctionnement de la copropriété
Les défendeurs invoquaient les articles 44 et 45 du décret du 17 mars 1967 pour soutenir qu’un nouveau vote était nécessaire sur le montant des travaux et le choix des entreprises. Le tribunal écarte ces arguments de manière catégorique. Il considère que ces dispositions « sont sans portée dans la mesure où, en l’espèce, les travaux sont imposés par une décision judiciaire exécutoire et dans des conditions et délais précis ».
Cette solution mérite approbation sur le plan de la cohérence juridique. L’article 44 du décret impose certes une mise en concurrence pour les marchés de travaux. Toutefois, cette exigence procédurale ne saurait faire échec à l’exécution d’une décision de justice revêtue de l’autorité de la chose jugée. Admettre le contraire reviendrait à permettre aux copropriétaires majoritaires de paralyser indéfiniment l’exécution d’un jugement en multipliant les exigences procédurales. Le tribunal relève d’ailleurs que les défendeurs « n’ont pas soumis à l’expert de devis » durant les opérations d’expertise, alors qu’ils en avaient la possibilité. Leur contestation tardive apparaît dès lors purement dilatoire.
Le tribunal valide également l’actualisation des devis réalisée par l’architecte de la copropriété auprès des mêmes entreprises. Cette solution préserve la cohérence avec les préconisations expertales tout en tenant compte de l’évolution des prix résultant du retard imputable aux défendeurs eux-mêmes.
II. La caractérisation de la mauvaise foi et l’indemnisation du préjudice
Le tribunal retient une conception extensive de la mauvaise foi du copropriétaire défaillant (A) et en tire les conséquences sur le terrain de la responsabilité (B).
A. Une conception extensive de la mauvaise foi du copropriétaire défaillant
L’article 1231-6 du code civil subordonne l’allocation de dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires à la démonstration de la mauvaise foi du débiteur. Le tribunal caractérise cette mauvaise foi en se fondant sur un faisceau d’indices convergents. Il relève « la multiplication des manœuvres délibérées des consorts [O] et la persistance de leur refus de contribuer au financement des travaux ordonnés, sous astreinte, par le tribunal, il y a près de 6 ans ».
Le tribunal s’appuie sur l’historique contentieux pour établir cette mauvaise foi. Les défendeurs ont successivement voté contre les résolutions de travaux en 2016 et 2017, fait obstacle à l’exécution du jugement de 2019, fait adopter une résolution désignant un autre architecte jugée contraire à l’intérêt collectif, et saisi le juge des référés d’une demande d’expertise déclarée irrecevable. Cette accumulation de comportements procéduraux traduit, selon le tribunal, une volonté délibérée de ne pas « se plier à l’ordre judiciaire ».
Cette appréciation s’inscrit dans une jurisprudence plus large sanctionnant les comportements abusifs en copropriété. La Cour de cassation admet régulièrement que l’abus de majorité puisse caractériser la mauvaise foi lorsque les copropriétaires majoritaires font primer leur intérêt particulier sur l’intérêt collectif. Le tribunal applique ce raisonnement à la phase d’exécution du jugement.
B. L’indemnisation du préjudice subi par le syndicat
Le tribunal alloue la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts, soit moins de la moitié des 50 000 euros réclamés. Il identifie plusieurs chefs de préjudice distincts du simple retard de paiement. La réévaluation du coût des travaux constitue un premier préjudice. Le tribunal note que « leur résistance, depuis de nombreuses années, a entraîné une réévaluation inéluctable du coût des travaux au détriment de la copropriété ». Le syndicat a également été condamné à verser 11 600 euros au titre de la liquidation de l’astreinte et 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile par le juge de l’exécution. Une nouvelle astreinte de 250 euros par jour a été prononcée. Le jugement du 29 novembre 2024 a en outre mis à la charge du syndicat la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Le tribunal impute l’ensemble de ces condamnations au comportement des défendeurs. Cette solution apparaît juridiquement fondée dès lors que ces condamnations résultent directement de l’inexécution du jugement de 2019, elle-même causée par le refus des copropriétaires majoritaires de financer les travaux. Le préjudice est donc bien « indépendant du retard » au sens de l’article 1231-6 du code civil, puisqu’il correspond à des sommes que le syndicat n’aurait pas eu à exposer si les défendeurs avaient exécuté spontanément leurs obligations.
Cette décision illustre la volonté des juridictions de sanctionner efficacement les comportements dilatoires en copropriété. Elle rappelle que l’autorité de la chose jugée s’impose aux copropriétaires et que le refus d’exécuter une décision de justice expose son auteur à des condamnations substantielles dépassant le simple paiement des charges dues.
Le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Paris le 19 juin 2025 illustre les tensions récurrentes au sein des copropriétés lorsque des copropriétaires majoritaires s’opposent à l’exécution de travaux pourtant imposés par une décision de justice. En l’espèce, un syndicat des copropriétaires avait été condamné, par jugement du 26 juillet 2019 assorti de l’exécution provisoire, à réaliser des travaux d’étanchéité sur la dalle d’un bâtiment, avec dépose et repose des jardins privatifs et renforcement de la structure, conformément aux préconisations d’un expert judiciaire. Les copropriétaires majoritaires, détenteurs de 670 millièmes, avaient systématiquement fait obstacle à ces travaux en votant contre les résolutions afférentes puis en refusant de régler les appels de fonds. Le syndicat des copropriétaires les a assignés en paiement des charges travaux ainsi qu’en réparation du préjudice subi. Les défendeurs soutenaient que les appels de fonds étaient dépourvus de cause en l’absence de vote de l’assemblée générale sur le montant des travaux et le choix des entreprises. Ils invoquaient une violation des règles de mise en concurrence et du fonctionnement démocratique de la copropriété. Le tribunal devait déterminer si le jugement de 2019 dispensait le syndicat d’un nouveau vote en assemblée générale sur le coût des travaux et la désignation des entreprises, et si les appels de fonds étaient fondés nonobstant l’absence d’une telle résolution. Le tribunal a condamné les copropriétaires au paiement des sommes réclamées, retenant que « le jugement du tribunal du 26 juillet 2019 n’a pas statué, de manière générale, sur la consistance des travaux à réaliser » mais « a décidé que ces travaux devaient être exécutés conformément au rapport d’expertise », lequel avait retenu des devis d’entreprises chiffrés issus d’un appel d’offres concurrentiel. Le tribunal a également alloué des dommages-intérêts au syndicat en raison de la mauvaise foi manifeste des défendeurs.
Cette décision soulève deux questions distinctes. La première concerne l’étendue de l’autorité du jugement ordonnant des travaux sous astreinte et ses conséquences sur les prérogatives de l’assemblée générale (I). La seconde porte sur la caractérisation de la mauvaise foi du copropriétaire défaillant et l’indemnisation du préjudice subi par le syndicat (II).
I. L’autorité du jugement ordonnant des travaux sur les prérogatives de l’assemblée générale
Le tribunal consacre une lecture extensive de la portée du jugement initial (A), ce qui conduit à une neutralisation des contestations fondées sur les règles de fonctionnement de la copropriété (B).
A. La consécration d’une lecture extensive du jugement initial
Le tribunal adopte une interprétation large du jugement du 26 juillet 2019. Il relève que cette décision ne s’est pas bornée à prescrire des travaux dans leur principe mais a renvoyé expressément au rapport d’expertise pour en déterminer les modalités d’exécution. Le tribunal souligne que « le renvoi au rapport d’expertise de M. [F] et aux recommandations du sapiteur prend en considération la nature et le coût des travaux, rappelés dans les conclusions du rapport ». Cette motivation repose sur l’idée que l’expertise judiciaire, réalisée contradictoirement, avait déjà tranché les questions relatives au choix des entreprises et au montant des prestations. L’expert avait en effet retenu des devis spécifiques, issus d’un appel d’offres conduit par l’architecte de la copropriété mandaté par l’assemblée générale.
Cette analyse se justifie au regard de l’économie générale du contentieux. Une expertise judiciaire ordonnée en référé puis entérinée par le juge du fond acquiert une valeur probatoire renforcée. Les parties ont pu discuter contradictoirement les solutions techniques proposées et les coûts correspondants. Le tribunal en déduit logiquement que « ce débat avait été l’objet même de l’expertise et ses conclusions ont été entérinées par le jugement ». La référence au rapport d’expertise dans le dispositif du jugement initial ne constitue donc pas une simple indication mais une incorporation des préconisations expertales dans la condamnation elle-même.
B. La neutralisation des contestations fondées sur le fonctionnement de la copropriété
Les défendeurs invoquaient les articles 44 et 45 du décret du 17 mars 1967 pour soutenir qu’un nouveau vote était nécessaire sur le montant des travaux et le choix des entreprises. Le tribunal écarte ces arguments de manière catégorique. Il considère que ces dispositions « sont sans portée dans la mesure où, en l’espèce, les travaux sont imposés par une décision judiciaire exécutoire et dans des conditions et délais précis ».
Cette solution mérite approbation sur le plan de la cohérence juridique. L’article 44 du décret impose certes une mise en concurrence pour les marchés de travaux. Toutefois, cette exigence procédurale ne saurait faire échec à l’exécution d’une décision de justice revêtue de l’autorité de la chose jugée. Admettre le contraire reviendrait à permettre aux copropriétaires majoritaires de paralyser indéfiniment l’exécution d’un jugement en multipliant les exigences procédurales. Le tribunal relève d’ailleurs que les défendeurs « n’ont pas soumis à l’expert de devis » durant les opérations d’expertise, alors qu’ils en avaient la possibilité. Leur contestation tardive apparaît dès lors purement dilatoire.
Le tribunal valide également l’actualisation des devis réalisée par l’architecte de la copropriété auprès des mêmes entreprises. Cette solution préserve la cohérence avec les préconisations expertales tout en tenant compte de l’évolution des prix résultant du retard imputable aux défendeurs eux-mêmes.
II. La caractérisation de la mauvaise foi et l’indemnisation du préjudice
Le tribunal retient une conception extensive de la mauvaise foi du copropriétaire défaillant (A) et en tire les conséquences sur le terrain de la responsabilité (B).
A. Une conception extensive de la mauvaise foi du copropriétaire défaillant
L’article 1231-6 du code civil subordonne l’allocation de dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires à la démonstration de la mauvaise foi du débiteur. Le tribunal caractérise cette mauvaise foi en se fondant sur un faisceau d’indices convergents. Il relève « la multiplication des manœuvres délibérées des consorts [O] et la persistance de leur refus de contribuer au financement des travaux ordonnés, sous astreinte, par le tribunal, il y a près de 6 ans ».
Le tribunal s’appuie sur l’historique contentieux pour établir cette mauvaise foi. Les défendeurs ont successivement voté contre les résolutions de travaux en 2016 et 2017, fait obstacle à l’exécution du jugement de 2019, fait adopter une résolution désignant un autre architecte jugée contraire à l’intérêt collectif, et saisi le juge des référés d’une demande d’expertise déclarée irrecevable. Cette accumulation de comportements procéduraux traduit, selon le tribunal, une volonté délibérée de ne pas « se plier à l’ordre judiciaire ».
Cette appréciation s’inscrit dans une jurisprudence plus large sanctionnant les comportements abusifs en copropriété. La Cour de cassation admet régulièrement que l’abus de majorité puisse caractériser la mauvaise foi lorsque les copropriétaires majoritaires font primer leur intérêt particulier sur l’intérêt collectif. Le tribunal applique ce raisonnement à la phase d’exécution du jugement.
B. L’indemnisation du préjudice subi par le syndicat
Le tribunal alloue la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts, soit moins de la moitié des 50 000 euros réclamés. Il identifie plusieurs chefs de préjudice distincts du simple retard de paiement. La réévaluation du coût des travaux constitue un premier préjudice. Le tribunal note que « leur résistance, depuis de nombreuses années, a entraîné une réévaluation inéluctable du coût des travaux au détriment de la copropriété ». Le syndicat a également été condamné à verser 11 600 euros au titre de la liquidation de l’astreinte et 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile par le juge de l’exécution. Une nouvelle astreinte de 250 euros par jour a été prononcée. Le jugement du 29 novembre 2024 a en outre mis à la charge du syndicat la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Le tribunal impute l’ensemble de ces condamnations au comportement des défendeurs. Cette solution apparaît juridiquement fondée dès lors que ces condamnations résultent directement de l’inexécution du jugement de 2019, elle-même causée par le refus des copropriétaires majoritaires de financer les travaux. Le préjudice est donc bien « indépendant du retard » au sens de l’article 1231-6 du code civil, puisqu’il correspond à des sommes que le syndicat n’aurait pas eu à exposer si les défendeurs avaient exécuté spontanément leurs obligations.
Cette décision illustre la volonté des juridictions de sanctionner efficacement les comportements dilatoires en copropriété. Elle rappelle que l’autorité de la chose jugée s’impose aux copropriétaires et que le refus d’exécuter une décision de justice expose son auteur à des condamnations substantielles dépassant le simple paiement des charges dues.