Tribunal judiciaire de Paris, le 19 juin 2025, n°24/00023
La présente décision, rendue par le juge de l’expropriation du tribunal judiciaire de Paris le 19 juin 2025, illustre les difficultés inhérentes à l’évaluation de biens immobiliers atypiques dans le cadre d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique. L’affaire oppose une collectivité territoriale à un propriétaire de quatorze lots de copropriété constitués de boxes situés dans le vingtième arrondissement de Paris, expropriés en vue de la réalisation d’un équipement culturel polyvalent.
Les faits sont les suivants. Un particulier était propriétaire de quatorze boxes au sein d’un ensemble immobilier situé rue des Pyrénées à Paris. Par arrêté préfectoral du 26 août 2019, l’opération de réalisation d’un équipement culturel polyvalent a été déclarée d’utilité publique. La collectivité expropriante a saisi le juge de l’expropriation aux fins de fixation de l’indemnité. Un transport sur les lieux a été effectué le 12 février 2025, révélant l’état variable des boxes et l’impossibilité de visiter la majorité d’entre eux faute de clés. L’autorité expropriante proposait une indemnité totale d’environ 102.350 euros, le commissaire du gouvernement évaluait celle-ci à 151.200 euros, tandis que l’exproprié réclamait 283.934,80 euros.
La question juridique posée au juge de l’expropriation était celle de la détermination du montant de l’indemnité due au propriétaire, ce qui supposait de trancher la méthode d’évaluation applicable et d’apprécier les termes de comparaison pertinents pour des biens de nature hétérogène.
Le juge de l’expropriation retient la méthode par comparaison, sur laquelle les parties s’étaient accordées. Il fixe l’indemnité totale à la somme de 150.641,60 euros, comprenant une indemnité principale de 122.000 euros, une indemnité de remploi de 21.020 euros et une indemnité pour perte locative de 7.621,60 euros. La collectivité est condamnée aux dépens et à verser 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Cette décision mérite analyse tant au regard de la méthode d’évaluation retenue pour des biens atypiques (I) que des modalités de réparation intégrale du préjudice d’expropriation (II).
I. L’évaluation comparative de biens immobiliers hétérogènes
L’application de la méthode par comparaison à des biens de nature diverse suppose une sélection rigoureuse des termes de référence (A), tempérée par la prise en compte des caractéristiques propres à chaque lot (B).
A. La pertinence discutée des termes de comparaison
Le juge rappelle le cadre normatif applicable en visant l’article L. 322-8 du code de l’expropriation, aux termes duquel « le juge tient compte des accords intervenus entre l’expropriant et les divers titulaires de droits à l’intérieur du périmètre des opérations ». La méthode par comparaison s’impose lorsque les parties s’y accordent.
L’examen des termes de référence proposés révèle leur caractère partiellement inadapté. Le juge relève que l’autorité expropriante produit un tableau mentionnant « quatre ventes, dépourvues des numéros de publication », puis retient qu’une acquisition portant sur un lot du même immeuble « apparaît particulièrement pertinente en ce qu’il s’agit de la vente la plus récente ». Le critère temporel prime ainsi sur l’homogénéité des biens comparés.
Cette approche se heurte toutefois à une difficulté majeure. Le juge constate que « les termes cités ne permettent pas une comparaison précise » dès lors qu’une grande partie des boxes « sont de plus petites tailles et ne permettent pas d’accueillir une voiture ». L’hétérogénéité des biens expropriés fragilise la fiabilité de la méthode comparative, contraignant le juge à procéder par approximations successives.
Le commissaire du gouvernement avait proposé une fourchette de valeurs unitaires comprise entre 18.000 et 30.000 euros. Cette amplitude considérable traduit l’incertitude qui entoure l’évaluation de tels biens. Le juge s’inscrit dans cette fourchette sans expliciter précisément les coefficients de pondération appliqués à chaque lot.
B. L’individualisation de la valeur selon les caractéristiques de chaque lot
La décision illustre la nécessité d’adapter l’évaluation aux spécificités de chaque bien. Le juge distingue nettement les lots selon leur taille, mesurée par leur quote-part de parties communes, et leur capacité d’accueil.
Les lots les plus importants, représentant respectivement 184 et 127 dix-millièmes des parties communes, sont évalués à 18.000 euros chacun. Le juge justifie cette valorisation par « l’emplacement très favorable de l’ensemble immobilier, situé face à la station de métro, en rez-de-chaussée, directement accessible par la rue ». Ces considérations de situation géographique conduisent à « revaloriser les boxes susceptibles d’accueillir une voiture à la hausse ».
En revanche, pour les huit lots ne représentant que 14 dix-millièmes chacun, le juge retient une valeur unitaire de 6.000 euros. Il précise que « ces considérations sont moins déterminantes » pour les boxes de petite taille, tout en reconnaissant que « ceux-ci peuvent tout de même accueillir une moto ». Cette graduation des valeurs selon la capacité d’usage répond à une logique économique cohérente.
Le juge se trouve néanmoins limité par le principe dispositif. Il relève que l’exproprié « sollicite une indemnité principale de 18.000 euros pour chaque box » et rappelle qu’il « ne peut statuer ultra petita ». Cette observation procédurale apparaît surprenante dans la mesure où l’exproprié réclamait une indemnité globale bien supérieure à celle finalement allouée.
II. Les composantes de la réparation intégrale du préjudice
Le principe de réparation intégrale se traduit par l’allocation d’indemnités complémentaires à l’indemnité principale (A), tandis que le régime des frais de procédure confirme le caractère protecteur du droit de l’expropriation (B).
A. L’indemnisation des préjudices accessoires
L’article L. 321-1 du code de l’expropriation dispose que « les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation ». Cette exigence de réparation intégrale se décline en plusieurs postes d’indemnisation.
L’indemnité de remploi vise à compenser les frais qu’expose l’exproprié pour acquérir un bien de remplacement. Le juge applique le barème régressif sur lequel les parties s’accordent, distinguant trois tranches : 20 % jusqu’à 5.000 euros, 15 % entre 5.000 et 15.000 euros, 10 % au-delà. Ce barème dégressif traduit l’idée que les frais proportionnels d’acquisition décroissent avec la valeur du bien.
Le calcul aboutit à une indemnité de remploi globale de 21.020 euros. Le détail fourni pour chaque lot permet de vérifier l’exactitude des opérations arithmétiques et assure la transparence de la décision.
S’agissant de la perte locative, le juge retient qu’elle « constitue un préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation ». L’exproprié produisait plusieurs contrats de bail établissant la réalité des revenus locatifs. Le juge indemnise cette perte « sur la base d’une année, telle que proposée et non contestée par l’autorité expropriante ».
La somme de 7.621,60 euros allouée à ce titre résulte de l’addition des loyers annualisés pour les boxes effectivement loués. Cette méthode d’évaluation, fondée sur la capitalisation d’une année de revenus, apparaît favorable à l’exproprié. Elle traduit le temps nécessaire au réinvestissement des fonds d’expropriation dans un bien de rapport équivalent.
B. Le régime protecteur des frais de procédure
L’article L. 312-1 du code de l’expropriation prévoit que « l’expropriant supporte seul les dépens de première instance ». Cette règle dérogatoire au droit commun procédural se justifie par la situation particulière de l’exproprié, contraint de subir une procédure qu’il n’a pas initiée.
Le juge condamne également la collectivité à verser 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’exproprié sollicitait 4.000 euros. Le montant retenu apparaît raisonnable au regard de la complexité relative de l’affaire et des diligences accomplies.
L’exécution provisoire de droit, prévue par l’article 514 du code de procédure civile, n’est pas écartée. Le juge précise qu’« aucun élément ne justifie de l’écarter ». Cette solution permet à l’exproprié de percevoir rapidement les fonds, conformément à l’exigence constitutionnelle d’une indemnité préalable.
La portée de cette décision demeure limitée en raison de son caractère essentiellement factuel. Elle confirme néanmoins l’attachement du juge de l’expropriation à une évaluation individualisée des biens et à une réparation exhaustive des préjudices subis. L’équilibre trouvé entre les prétentions respectives des parties témoigne de la recherche d’une juste indemnité, conforme aux exigences de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
La présente décision, rendue par le juge de l’expropriation du tribunal judiciaire de Paris le 19 juin 2025, illustre les difficultés inhérentes à l’évaluation de biens immobiliers atypiques dans le cadre d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique. L’affaire oppose une collectivité territoriale à un propriétaire de quatorze lots de copropriété constitués de boxes situés dans le vingtième arrondissement de Paris, expropriés en vue de la réalisation d’un équipement culturel polyvalent.
Les faits sont les suivants. Un particulier était propriétaire de quatorze boxes au sein d’un ensemble immobilier situé rue des Pyrénées à Paris. Par arrêté préfectoral du 26 août 2019, l’opération de réalisation d’un équipement culturel polyvalent a été déclarée d’utilité publique. La collectivité expropriante a saisi le juge de l’expropriation aux fins de fixation de l’indemnité. Un transport sur les lieux a été effectué le 12 février 2025, révélant l’état variable des boxes et l’impossibilité de visiter la majorité d’entre eux faute de clés. L’autorité expropriante proposait une indemnité totale d’environ 102.350 euros, le commissaire du gouvernement évaluait celle-ci à 151.200 euros, tandis que l’exproprié réclamait 283.934,80 euros.
La question juridique posée au juge de l’expropriation était celle de la détermination du montant de l’indemnité due au propriétaire, ce qui supposait de trancher la méthode d’évaluation applicable et d’apprécier les termes de comparaison pertinents pour des biens de nature hétérogène.
Le juge de l’expropriation retient la méthode par comparaison, sur laquelle les parties s’étaient accordées. Il fixe l’indemnité totale à la somme de 150.641,60 euros, comprenant une indemnité principale de 122.000 euros, une indemnité de remploi de 21.020 euros et une indemnité pour perte locative de 7.621,60 euros. La collectivité est condamnée aux dépens et à verser 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Cette décision mérite analyse tant au regard de la méthode d’évaluation retenue pour des biens atypiques (I) que des modalités de réparation intégrale du préjudice d’expropriation (II).
I. L’évaluation comparative de biens immobiliers hétérogènes
L’application de la méthode par comparaison à des biens de nature diverse suppose une sélection rigoureuse des termes de référence (A), tempérée par la prise en compte des caractéristiques propres à chaque lot (B).
A. La pertinence discutée des termes de comparaison
Le juge rappelle le cadre normatif applicable en visant l’article L. 322-8 du code de l’expropriation, aux termes duquel « le juge tient compte des accords intervenus entre l’expropriant et les divers titulaires de droits à l’intérieur du périmètre des opérations ». La méthode par comparaison s’impose lorsque les parties s’y accordent.
L’examen des termes de référence proposés révèle leur caractère partiellement inadapté. Le juge relève que l’autorité expropriante produit un tableau mentionnant « quatre ventes, dépourvues des numéros de publication », puis retient qu’une acquisition portant sur un lot du même immeuble « apparaît particulièrement pertinente en ce qu’il s’agit de la vente la plus récente ». Le critère temporel prime ainsi sur l’homogénéité des biens comparés.
Cette approche se heurte toutefois à une difficulté majeure. Le juge constate que « les termes cités ne permettent pas une comparaison précise » dès lors qu’une grande partie des boxes « sont de plus petites tailles et ne permettent pas d’accueillir une voiture ». L’hétérogénéité des biens expropriés fragilise la fiabilité de la méthode comparative, contraignant le juge à procéder par approximations successives.
Le commissaire du gouvernement avait proposé une fourchette de valeurs unitaires comprise entre 18.000 et 30.000 euros. Cette amplitude considérable traduit l’incertitude qui entoure l’évaluation de tels biens. Le juge s’inscrit dans cette fourchette sans expliciter précisément les coefficients de pondération appliqués à chaque lot.
B. L’individualisation de la valeur selon les caractéristiques de chaque lot
La décision illustre la nécessité d’adapter l’évaluation aux spécificités de chaque bien. Le juge distingue nettement les lots selon leur taille, mesurée par leur quote-part de parties communes, et leur capacité d’accueil.
Les lots les plus importants, représentant respectivement 184 et 127 dix-millièmes des parties communes, sont évalués à 18.000 euros chacun. Le juge justifie cette valorisation par « l’emplacement très favorable de l’ensemble immobilier, situé face à la station de métro, en rez-de-chaussée, directement accessible par la rue ». Ces considérations de situation géographique conduisent à « revaloriser les boxes susceptibles d’accueillir une voiture à la hausse ».
En revanche, pour les huit lots ne représentant que 14 dix-millièmes chacun, le juge retient une valeur unitaire de 6.000 euros. Il précise que « ces considérations sont moins déterminantes » pour les boxes de petite taille, tout en reconnaissant que « ceux-ci peuvent tout de même accueillir une moto ». Cette graduation des valeurs selon la capacité d’usage répond à une logique économique cohérente.
Le juge se trouve néanmoins limité par le principe dispositif. Il relève que l’exproprié « sollicite une indemnité principale de 18.000 euros pour chaque box » et rappelle qu’il « ne peut statuer ultra petita ». Cette observation procédurale apparaît surprenante dans la mesure où l’exproprié réclamait une indemnité globale bien supérieure à celle finalement allouée.
II. Les composantes de la réparation intégrale du préjudice
Le principe de réparation intégrale se traduit par l’allocation d’indemnités complémentaires à l’indemnité principale (A), tandis que le régime des frais de procédure confirme le caractère protecteur du droit de l’expropriation (B).
A. L’indemnisation des préjudices accessoires
L’article L. 321-1 du code de l’expropriation dispose que « les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation ». Cette exigence de réparation intégrale se décline en plusieurs postes d’indemnisation.
L’indemnité de remploi vise à compenser les frais qu’expose l’exproprié pour acquérir un bien de remplacement. Le juge applique le barème régressif sur lequel les parties s’accordent, distinguant trois tranches : 20 % jusqu’à 5.000 euros, 15 % entre 5.000 et 15.000 euros, 10 % au-delà. Ce barème dégressif traduit l’idée que les frais proportionnels d’acquisition décroissent avec la valeur du bien.
Le calcul aboutit à une indemnité de remploi globale de 21.020 euros. Le détail fourni pour chaque lot permet de vérifier l’exactitude des opérations arithmétiques et assure la transparence de la décision.
S’agissant de la perte locative, le juge retient qu’elle « constitue un préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation ». L’exproprié produisait plusieurs contrats de bail établissant la réalité des revenus locatifs. Le juge indemnise cette perte « sur la base d’une année, telle que proposée et non contestée par l’autorité expropriante ».
La somme de 7.621,60 euros allouée à ce titre résulte de l’addition des loyers annualisés pour les boxes effectivement loués. Cette méthode d’évaluation, fondée sur la capitalisation d’une année de revenus, apparaît favorable à l’exproprié. Elle traduit le temps nécessaire au réinvestissement des fonds d’expropriation dans un bien de rapport équivalent.
B. Le régime protecteur des frais de procédure
L’article L. 312-1 du code de l’expropriation prévoit que « l’expropriant supporte seul les dépens de première instance ». Cette règle dérogatoire au droit commun procédural se justifie par la situation particulière de l’exproprié, contraint de subir une procédure qu’il n’a pas initiée.
Le juge condamne également la collectivité à verser 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’exproprié sollicitait 4.000 euros. Le montant retenu apparaît raisonnable au regard de la complexité relative de l’affaire et des diligences accomplies.
L’exécution provisoire de droit, prévue par l’article 514 du code de procédure civile, n’est pas écartée. Le juge précise qu’« aucun élément ne justifie de l’écarter ». Cette solution permet à l’exproprié de percevoir rapidement les fonds, conformément à l’exigence constitutionnelle d’une indemnité préalable.
La portée de cette décision demeure limitée en raison de son caractère essentiellement factuel. Elle confirme néanmoins l’attachement du juge de l’expropriation à une évaluation individualisée des biens et à une réparation exhaustive des préjudices subis. L’équilibre trouvé entre les prétentions respectives des parties témoigne de la recherche d’une juste indemnité, conforme aux exigences de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.