Tribunal judiciaire de Nîmes, le 18 juin 2025, n°25/00318

Par une ordonnance de référé rendue le 18 juin 2025, le Tribunal judiciaire de Nîmes s’est prononcé sur une demande d’accès au fonds voisin fondée sur l’existence d’un trouble manifestement illicite au sens de l’article 835 du Code de procédure civile.

Quatre indivisaires sont propriétaires d’un immeuble situé à Nîmes. Courant 2024, ils ont constaté des infiltrations d’eau dans un local d’habitation situé au rez-de-chaussée du bâtiment de la cour, mitoyen avec la propriété voisine. Une déclaration de sinistre a été effectuée le 2 avril 2024 auprès de l’assureur. Un rapport d’expertise du 26 juillet 2024 a identifié une infiltration provenant du mur mitoyen avec la propriété adjacente. Par lettre recommandée du 29 janvier 2025, les propriétaires ont mis en demeure leur voisin de permettre l’accès à son fonds pour vérifier l’origine du sinistre. Cette mise en demeure est restée sans effet.

Par acte du 18 avril 2025, les indivisaires ont assigné le propriétaire voisin devant le juge des référés. Ils sollicitaient qu’il lui soit enjoint de leur laisser accès à son fonds, sous astreinte de 1 500 euros par refus constaté, outre une indemnité au titre des frais irrépétibles. Le défendeur, régulièrement cité, n’a pas comparu. Les demandeurs invoquaient les articles 834 et 835 du Code de procédure civile pour fonder leur action.

Le juge des référés devait déterminer si le refus d’un propriétaire de permettre l’accès à son fonds pour rechercher l’origine d’infiltrations provenant du mur mitoyen constitue un trouble manifestement illicite justifiant une mesure de remise en état.

Le Tribunal judiciaire de Nîmes a fait droit à la demande. Il a condamné le défendeur à laisser libre accès à sa propriété, sous réserve d’une information par lettre recommandée au minimum quinze jours avant la visite, sous astreinte de 500 euros par refus constaté.

Cette décision invite à examiner les conditions de caractérisation du trouble manifestement illicite en matière de relations de voisinage (I), avant d’analyser les modalités d’exécution de l’injonction d’accès au fonds voisin (II).

I. La caractérisation du trouble manifestement illicite fondant l’intervention du juge des référés

Le juge des référés retient sa compétence en qualifiant le refus d’accès de trouble manifestement illicite (A), qualification qui repose sur l’articulation entre les obligations de voisinage et l’urgence à prévenir l’aggravation des désordres (B).

A. L’identification du trouble dans le refus d’accès au fonds voisin

Le Tribunal judiciaire de Nîmes fonde sa décision sur l’article 835 alinéa 1 du Code de procédure civile, qui permet au juge des référés de prescrire des mesures conservatoires ou de remise en état pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Le juge relève que le défendeur « n’a pas permis l’accès à sa propriété pour vérifier l’état du mur mitoyen ». Cette constatation factuelle suffit à caractériser le trouble.

La notion de trouble manifestement illicite suppose une atteinte évidente à un droit, ne souffrant d’aucune contestation sérieuse quant à son caractère illicite. Le juge ne se prononce pas explicitement sur le fondement substantiel de l’obligation d’accès. Il ne vise ni l’article 544 du Code civil relatif au droit de propriété, ni l’article 655 concernant les réparations au mur mitoyen. Cette absence de visa textuel précis pourrait fragiliser le raisonnement. Le propriétaire d’un fonds ne dispose pas, en principe, d’un droit général d’accès au fonds voisin.

La jurisprudence admet toutefois que le refus de permettre l’accès à son fonds pour effectuer des travaux nécessaires peut constituer un abus de droit. La troisième chambre civile de la Cour de cassation a consacré une obligation de laisser passage pour l’exécution de travaux indispensables sur le fonds voisin. Le juge nîmois s’inscrit dans cette lignée sans la citer expressément. Son raisonnement repose sur une évidence factuelle plutôt que sur une démonstration juridique approfondie.

B. L’urgence liée au risque d’aggravation des désordres

Le juge justifie son intervention par la nécessité de « prévenir leur aggravation », les désordres persistant « sans qu’il ne soit possible de les localiser précisément ni de les résoudre ». Cette motivation rattache la mesure ordonnée tant à la cessation du trouble qu’à la prévention d’un dommage imminent, les deux hypothèses visées par l’article 835 alinéa 1.

L’expertise du 26 juillet 2024 a établi l’existence d’une infiltration provenant du mur mitoyen. Le rapport conclut à une origine située soit dans la cour intérieure, soit dans une pièce d’eau mitoyenne du fonds voisin. Cette incertitude quant à la localisation exacte rend indispensable l’accès au fonds litigieux. Le juge souligne qu’une « visite des lieux où ils trouveraient peut-être leur source est indispensable ».

La persistance des désordres depuis avril 2024 et l’échec de la mise en demeure du 29 janvier 2025 établissent l’urgence. Le propriétaire des lieux sinistrés ne peut demeurer indéfiniment dans l’impossibilité de faire cesser les infiltrations. Le juge des référés remplit ici sa fonction naturelle de régulation provisoire des situations d’urgence. La mesure ordonnée ne tranche pas le fond du litige mais permet la recherche de l’origine des désordres.

II. Les modalités d’exécution de l’injonction d’accès au fonds voisin

L’ordonnance encadre précisément les conditions d’exercice du droit d’accès accordé (A) et assortit l’injonction d’une astreinte dont le montant appelle analyse (B).

A. L’encadrement temporel du droit d’accès

Le juge condamne le défendeur à laisser libre accès « sous réserve d’une information par lettre recommandée au minimum 15 jours avant la date programmée de la visite des lieux ». Cette condition reprend exactement le délai de prévenance sollicité par les demandeurs dans leur assignation. L’exigence d’une lettre recommandée garantit la preuve de l’information préalable.

Ce délai de quinze jours constitue un équilibre entre les intérêts en présence. Il permet au propriétaire du fonds servant de s’organiser et préserve ainsi, dans une certaine mesure, sa jouissance paisible. Il évite également les visites impromptues qui pourraient dégénérer en incidents. Le demandeur conserve une faculté effective d’accès sans se heurter à l’inertie du défendeur.

L’ordonnance ne précise toutefois pas la durée pendant laquelle ce droit d’accès pourra être exercé ni le nombre de visites autorisées. Cette imprécision pourrait susciter des difficultés d’exécution. Le défendeur serait fondé à contester des demandes d’accès répétées ou tardives. Une limitation temporelle aurait sécurisé le dispositif. Le juge du fond, saisi ultérieurement, pourrait avoir à trancher ces questions incidentes.

B. La fixation de l’astreinte comme instrument de contrainte

Les demandeurs sollicitaient une astreinte de 1 500 euros par refus constaté. Le juge la fixe à 500 euros. Cette réduction substantielle traduit l’exercice du pouvoir souverain d’appréciation du juge des référés en matière d’astreinte. L’article L. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution lui confère cette faculté sans l’enfermer dans les demandes des parties.

Le montant retenu apparaît modéré au regard de l’enjeu du litige. Des infiltrations persistantes causent des dégradations progressives au bâtiment. L’impossibilité de les localiser pérennise le préjudice. Une astreinte plus élevée aurait renforcé l’effet comminatoire de la décision. Le défendeur non comparant pourrait persister dans son refus si la sanction lui semble supportable.

La formulation « par refus constaté » soulève une question pratique. Qui constatera le refus et selon quelles modalités ? L’ordonnance ne désigne pas d’huissier à cette fin. Les demandeurs devront faire établir un procès-verbal de carence lors de chaque tentative d’accès infructueuse. La liquidation de l’astreinte supposera de rapporter la preuve de refus successifs. Cette charge probatoire incombera aux créanciers de l’obligation.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture