Tribunal judiciaire de Mulhouse, le 17 juin 2025, n°24/00360
Le mécanisme de la délégation de paiement dans les opérations de construction immobilière soulève des questions récurrentes relatives à la compétence juridictionnelle, particulièrement lorsque les parties présentent des natures juridiques distinctes. L’ordonnance rendue le 17 juin 2025 par le président du tribunal judiciaire de Mulhouse, statuant en référé, en offre une illustration significative.
En l’espèce, une société civile de construction-vente avait confié à une société commerciale l’exécution des travaux de gros-oeuvre dans le cadre d’une opération immobilière portant sur la construction de cent vingt logements. L’entreprise titulaire du lot avait passé commande de fournitures auprès d’un fournisseur de matériaux. Une convention tripartite de délégation de paiement fut conclue le 19 octobre 2022 entre ces trois entités, organisant le règlement direct des fournitures par le maître d’ouvrage au profit du fournisseur. Des factures demeurèrent impayées pour un montant de 21 813,70 euros.
Le fournisseur assigna en référé le maître d’ouvrage et l’entreprise principale devant le tribunal judiciaire de Mulhouse, sollicitant leur condamnation solidaire au paiement de provisions. Il se prévalait d’une clause attributive de compétence stipulée dans la convention tripartite au profit des juridictions de Mulhouse. La société civile maître d’ouvrage souleva une exception d’incompétence territoriale, contestant l’opposabilité de cette clause à son égard en raison de sa qualité de non-commerçant.
La question posée au juge des référés était de déterminer si une clause attributive de compétence territoriale, insérée dans une convention de délégation de paiement, peut être opposée à une société civile de construction-vente.
Le juge des référés a déclaré le tribunal judiciaire de Mulhouse territorialement incompétent au profit du tribunal judiciaire de Chartres. Il a considéré que la clause attributive de compétence devait être réputée non écrite, faute d’avoir été convenue entre personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant.
Cette décision invite à examiner successivement les conditions restrictives d’efficacité des clauses attributives de compétence territoriale (I), puis l’indifférence de la structure capitalistique sur la qualification juridique de la société (II).
I. Les conditions restrictives d’efficacité des clauses attributives de compétence territoriale
L’examen de la validité de la clause litigieuse suppose d’analyser le principe de prohibition posé par l’article 48 du code de procédure civile (A), avant d’en mesurer les conséquences sur l’incompétence de la juridiction saisie (B).
A. Le principe de prohibition des clauses dérogatoires entre non-commerçants
L’article 48 du code de procédure civile énonce que « toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant ». Cette disposition traduit une méfiance du législateur envers les stipulations susceptibles d’éloigner un justiciable de son juge naturel.
Le juge des référés a fait application de ce texte en relevant que la convention tripartite avait été conclue entre un fournisseur commercial, une entreprise de travaux commerciale et une société civile de construction-vente. Il a considéré que cette dernière, soumise aux dispositions du code civil et du code de la construction et de l’habitation, ne présentait pas la qualité de commerçant. L’ordonnance relève ainsi que la société « a pour objet la réalisation d’une résidence sociale de cent vingt logements » et « la vente en totalité ou par lots en l’état futur d’achèvement ou après achèvement des travaux ».
Cette analyse s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle l’activité de construction-vente, même exercée dans une perspective lucrative, conserve une nature civile lorsqu’elle est réalisée par une société soumise aux articles L. 211-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation.
B. L’incompétence consécutive au défaut d’une condition essentielle
La sanction attachée au non-respect des conditions posées par l’article 48 est radicale : la clause est réputée non écrite. Cette qualification emporte des conséquences procédurales immédiates puisqu’elle prive la stipulation de tout effet juridique et renvoie les parties aux règles de compétence de droit commun.
Le juge a tiré les conséquences de cette analyse en faisant application des articles 42 et 43 du code de procédure civile. Il a retenu la compétence du tribunal du lieu où demeure le défendeur, soit le tribunal judiciaire de Chartres dans le ressort duquel la société civile est établie. L’ordonnance précise que « la société RECTOR LESAGE ne peut donc se prévaloir de ladite clause qui est dépourvue d’effet ».
Cette solution garantit le respect du principe selon lequel nul ne peut être distrait de son juge naturel par l’effet d’une convention à laquelle il n’a pas valablement consenti en sa qualité de commerçant.
II. L’indifférence de la structure capitalistique sur la qualification juridique de la société
Le fournisseur avait tenté de démontrer la commercialité de la société civile en invoquant la qualité de ses associés (A), argumentation que le juge a écartée au profit d’une analyse centrée sur l’objet et la nature de l’activité (B).
A. Le rejet de l’argument tiré de la qualité commerciale des associés
Le fournisseur soutenait que la société civile de construction-vente devait être regardée comme commerçante en raison de la qualité de ses deux associés, sociétés commerciales. Il faisait également valoir que la société civile avait été représentée par l’une de ces sociétés lors de la signature de la convention de délégation.
Le juge des référés a expressément écarté cette argumentation. L’ordonnance énonce que « la circonstance qu’elle est associée à deux sociétés commerciales et qu’elle a été représentée par l’une d’elles au moment de la signature de la délégation de paiement n’est pas de nature à lui voir attribuer la qualité de commerçant ». Cette position traduit le principe d’autonomie de la personne morale par rapport à ses membres.
La solution retenue confirme que la qualité de commerçant s’apprécie in personam, au regard de la société contractante elle-même, indépendamment de la composition de son actionnariat.
B. La primauté de l’objet social et de la nature de l’activité
Le juge a fondé son analyse sur l’examen des statuts et de l’extrait d’immatriculation de la société civile. Il a relevé que l’objet statutaire consistait en la réalisation et la vente d’une résidence sociale, activité relevant par nature du régime des sociétés civiles de construction-vente défini par l’article L. 211-1 du code de la construction et de l’habitation.
L’ordonnance précise qu’il « n’est pas démontré qu’elle accomplirait des actes commerciaux et que son activité, contrairement à sa forme civile, sa nature et son objet social, serait de nature commerciale ». Le juge a ainsi refusé de retenir une commercialité de fait qui aurait pu résulter de la réalisation habituelle d’actes de commerce.
Cette motivation rappelle que la qualification de commerçant suppose la démonstration d’une activité commerciale effective, au-delà de la seule poursuite d’un but lucratif. La construction immobilière en vue de la vente, encadrée par des textes spéciaux, demeure une activité civile par détermination de la loi, quand bien même elle génèrerait des bénéfices substantiels. La décision préserve ainsi la cohérence du régime juridique applicable aux sociétés civiles immobilières et garantit aux opérateurs de ce secteur le bénéfice des règles protectrices de compétence territoriale.
Le mécanisme de la délégation de paiement dans les opérations de construction immobilière soulève des questions récurrentes relatives à la compétence juridictionnelle, particulièrement lorsque les parties présentent des natures juridiques distinctes. L’ordonnance rendue le 17 juin 2025 par le président du tribunal judiciaire de Mulhouse, statuant en référé, en offre une illustration significative.
En l’espèce, une société civile de construction-vente avait confié à une société commerciale l’exécution des travaux de gros-oeuvre dans le cadre d’une opération immobilière portant sur la construction de cent vingt logements. L’entreprise titulaire du lot avait passé commande de fournitures auprès d’un fournisseur de matériaux. Une convention tripartite de délégation de paiement fut conclue le 19 octobre 2022 entre ces trois entités, organisant le règlement direct des fournitures par le maître d’ouvrage au profit du fournisseur. Des factures demeurèrent impayées pour un montant de 21 813,70 euros.
Le fournisseur assigna en référé le maître d’ouvrage et l’entreprise principale devant le tribunal judiciaire de Mulhouse, sollicitant leur condamnation solidaire au paiement de provisions. Il se prévalait d’une clause attributive de compétence stipulée dans la convention tripartite au profit des juridictions de Mulhouse. La société civile maître d’ouvrage souleva une exception d’incompétence territoriale, contestant l’opposabilité de cette clause à son égard en raison de sa qualité de non-commerçant.
La question posée au juge des référés était de déterminer si une clause attributive de compétence territoriale, insérée dans une convention de délégation de paiement, peut être opposée à une société civile de construction-vente.
Le juge des référés a déclaré le tribunal judiciaire de Mulhouse territorialement incompétent au profit du tribunal judiciaire de Chartres. Il a considéré que la clause attributive de compétence devait être réputée non écrite, faute d’avoir été convenue entre personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant.
Cette décision invite à examiner successivement les conditions restrictives d’efficacité des clauses attributives de compétence territoriale (I), puis l’indifférence de la structure capitalistique sur la qualification juridique de la société (II).
I. Les conditions restrictives d’efficacité des clauses attributives de compétence territoriale
L’examen de la validité de la clause litigieuse suppose d’analyser le principe de prohibition posé par l’article 48 du code de procédure civile (A), avant d’en mesurer les conséquences sur l’incompétence de la juridiction saisie (B).
A. Le principe de prohibition des clauses dérogatoires entre non-commerçants
L’article 48 du code de procédure civile énonce que « toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant ». Cette disposition traduit une méfiance du législateur envers les stipulations susceptibles d’éloigner un justiciable de son juge naturel.
Le juge des référés a fait application de ce texte en relevant que la convention tripartite avait été conclue entre un fournisseur commercial, une entreprise de travaux commerciale et une société civile de construction-vente. Il a considéré que cette dernière, soumise aux dispositions du code civil et du code de la construction et de l’habitation, ne présentait pas la qualité de commerçant. L’ordonnance relève ainsi que la société « a pour objet la réalisation d’une résidence sociale de cent vingt logements » et « la vente en totalité ou par lots en l’état futur d’achèvement ou après achèvement des travaux ».
Cette analyse s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle l’activité de construction-vente, même exercée dans une perspective lucrative, conserve une nature civile lorsqu’elle est réalisée par une société soumise aux articles L. 211-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation.
B. L’incompétence consécutive au défaut d’une condition essentielle
La sanction attachée au non-respect des conditions posées par l’article 48 est radicale : la clause est réputée non écrite. Cette qualification emporte des conséquences procédurales immédiates puisqu’elle prive la stipulation de tout effet juridique et renvoie les parties aux règles de compétence de droit commun.
Le juge a tiré les conséquences de cette analyse en faisant application des articles 42 et 43 du code de procédure civile. Il a retenu la compétence du tribunal du lieu où demeure le défendeur, soit le tribunal judiciaire de Chartres dans le ressort duquel la société civile est établie. L’ordonnance précise que « la société RECTOR LESAGE ne peut donc se prévaloir de ladite clause qui est dépourvue d’effet ».
Cette solution garantit le respect du principe selon lequel nul ne peut être distrait de son juge naturel par l’effet d’une convention à laquelle il n’a pas valablement consenti en sa qualité de commerçant.
II. L’indifférence de la structure capitalistique sur la qualification juridique de la société
Le fournisseur avait tenté de démontrer la commercialité de la société civile en invoquant la qualité de ses associés (A), argumentation que le juge a écartée au profit d’une analyse centrée sur l’objet et la nature de l’activité (B).
A. Le rejet de l’argument tiré de la qualité commerciale des associés
Le fournisseur soutenait que la société civile de construction-vente devait être regardée comme commerçante en raison de la qualité de ses deux associés, sociétés commerciales. Il faisait également valoir que la société civile avait été représentée par l’une de ces sociétés lors de la signature de la convention de délégation.
Le juge des référés a expressément écarté cette argumentation. L’ordonnance énonce que « la circonstance qu’elle est associée à deux sociétés commerciales et qu’elle a été représentée par l’une d’elles au moment de la signature de la délégation de paiement n’est pas de nature à lui voir attribuer la qualité de commerçant ». Cette position traduit le principe d’autonomie de la personne morale par rapport à ses membres.
La solution retenue confirme que la qualité de commerçant s’apprécie in personam, au regard de la société contractante elle-même, indépendamment de la composition de son actionnariat.
B. La primauté de l’objet social et de la nature de l’activité
Le juge a fondé son analyse sur l’examen des statuts et de l’extrait d’immatriculation de la société civile. Il a relevé que l’objet statutaire consistait en la réalisation et la vente d’une résidence sociale, activité relevant par nature du régime des sociétés civiles de construction-vente défini par l’article L. 211-1 du code de la construction et de l’habitation.
L’ordonnance précise qu’il « n’est pas démontré qu’elle accomplirait des actes commerciaux et que son activité, contrairement à sa forme civile, sa nature et son objet social, serait de nature commerciale ». Le juge a ainsi refusé de retenir une commercialité de fait qui aurait pu résulter de la réalisation habituelle d’actes de commerce.
Cette motivation rappelle que la qualification de commerçant suppose la démonstration d’une activité commerciale effective, au-delà de la seule poursuite d’un but lucratif. La construction immobilière en vue de la vente, encadrée par des textes spéciaux, demeure une activité civile par détermination de la loi, quand bien même elle génèrerait des bénéfices substantiels. La décision préserve ainsi la cohérence du régime juridique applicable aux sociétés civiles immobilières et garantit aux opérateurs de ce secteur le bénéfice des règles protectrices de compétence territoriale.