Tribunal judiciaire de Évry, le 13 juin 2025, n°25/00440

Par ordonnance du 13 juin 2025, le juge des référés du tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes s’est prononcé sur l’acquisition d’une clause résolutoire insérée dans un bail commercial et ses conséquences. Cette décision illustre le contrôle exercé par le juge des référés sur les clauses contractuelles susceptibles de s’analyser en clauses pénales.

Une société civile immobilière avait consenti, par acte notarié du 23 septembre 2022, un bail commercial portant sur un local situé à Vigneux-sur-Seine. Le preneur ayant cessé de régler ses loyers et charges, le bailleur lui a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire le 6 août 2024, pour un arriéré de 35 241 euros. Ce commandement étant demeuré infructueux, le bailleur a assigné le preneur en référé aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire, ordonner son expulsion, obtenir une provision sur l’arriéré locatif ainsi qu’une indemnité d’occupation majorée de cinquante pour cent conformément aux stipulations du bail.

Le preneur, bien que régulièrement assigné, n’a pas comparu. Le juge des référés a constaté l’acquisition de la clause résolutoire à la date du 7 septembre 2024 et ordonné l’expulsion. Il a condamné le preneur au paiement d’une provision de 45 108,80 euros au titre de l’arriéré locatif, après avoir rectifié le décompte présenté par le bailleur. Le juge a fixé l’indemnité d’occupation provisionnelle au montant du loyer contractuel, refusant d’appliquer la majoration de cinquante pour cent prévue au bail. Il a également rejeté les demandes relatives à la conservation du dépôt de garantie et à l’astreinte.

La question posée au juge des référés était celle de savoir dans quelle mesure les clauses contractuelles prévoyant des sanctions pécuniaires en cas de résiliation du bail peuvent être mises en œuvre devant le juge de l’évidence, ou si leur caractère potentiellement excessif constitue une contestation sérieuse relevant du juge du fond.

Le juge des référés a répondu en distinguant selon la nature des demandes : « la somme réclamée à titre d’indemnité d’occupation à compter de l’ordonnance excède le revenu locatif dont la société ARUL BASCAR se trouve privée du fait de la résiliation du bail et est susceptible de s’analyser en une clause pénale que le juge du fond peut réduire, sur le fondement de l’article 1231-5 du code civil, si elle apparait manifestement excessive ». Il a adopté le même raisonnement pour la demande de conservation du dépôt de garantie.

Cette ordonnance mérite attention en ce qu’elle précise les limites du pouvoir du juge des référés confronté à des clauses pénales contractuelles (I), tout en illustrant l’office de ce juge dans le contrôle de l’arriéré locatif réclamé (II).

I. Les limites du pouvoir du juge des référés face aux clauses pénales contractuelles

Le juge des référés a opéré une qualification rigoureuse des clauses litigieuses (A), pour en déduire l’incompétence du juge de l’évidence à les mettre en œuvre (B).

A. La qualification de clause pénale appliquée aux stipulations du bail

Le bail commercial comportait plusieurs stipulations susceptibles de recevoir application en cas de résiliation pour inexécution. Outre la clause résolutoire elle-même, le contrat prévoyait une indemnité d’occupation « établie forfaitairement sur la base du loyer global de la dernière année de location majoré de cinquante pour cent », une astreinte de deux cents euros par jour de retard, ainsi que l’acquisition du dépôt de garantie au profit du bailleur.

Le juge des référés a procédé à une analyse fonctionnelle de ces stipulations. La majoration de l’indemnité d’occupation « excède le revenu locatif dont la société se trouve privée du fait de la résiliation du bail ». Cette disproportion entre la sanction prévue et le préjudice effectivement subi caractérise la clause pénale au sens de l’article 1231-5 du code civil.

La même qualification a été retenue pour la clause relative au dépôt de garantie. Le juge a considéré que cette « demande de conservation du dépôt de garantie prévue par la clause résolutoire figurant au bail commercial s’analyse en une clause pénale ». L’automaticité de l’acquisition du dépôt de garantie, sans considération du préjudice réel, justifiait cette qualification.

Le juge a également refusé de prononcer l’astreinte contractuelle, au motif que celle-ci « au-delà s’analyse comme une clause pénale susceptible de modération par le juge du fond ». Cette formulation révèle la méthode adoptée : toute sanction contractuelle dépassant la stricte réparation du préjudice est susceptible de recevoir la qualification de clause pénale.

B. L’incompétence du juge des référés pour statuer sur les clauses pénales

La qualification de clause pénale emporte une conséquence procédurale immédiate : l’incompétence du juge des référés. Cette juridiction ne peut en effet statuer que sur les demandes ne se heurtant à aucune contestation sérieuse, conformément à l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile.

Le juge a considéré que la possibilité de modération offerte au juge du fond par l’article 1231-5 du code civil constituait en elle-même une contestation sérieuse. L’indemnité majorée « relève donc de l’appréciation de ce juge et ne peut donc être accueillie devant le juge des référés, juge de l’évidence ». Le même raisonnement a conduit à déclarer qu’il n’y avait « pas lieu à référé » sur la demande de conservation du dépôt de garantie.

Cette solution présente une cohérence certaine. Le pouvoir de modération conféré au juge du fond suppose une appréciation du caractère manifestement excessif de la clause au regard du préjudice subi. Cette appréciation excède par nature les pouvoirs du juge des référés, qui ne peut trancher les contestations sérieuses.

La décision précise toutefois les contours de la compétence résiduelle du juge des référés. Si la majoration contractuelle est écartée, le bailleur demeure « fondé uniquement à obtenir, à titre provisionnel, une indemnité d’occupation égale au montant du dernier loyer, augmentée des charges et taxes afférentes ». Le juge de l’évidence peut ainsi accorder une provision correspondant au préjudice minimal incontestable.

II. Le contrôle de l’arriéré locatif par le juge des référés

Le juge des référés a exercé un contrôle attentif sur le décompte présenté par le bailleur (A), manifestant ainsi la plénitude de son office dans l’appréciation des demandes provisionnelles (B).

A. La rectification du décompte locatif présenté par le bailleur

Le bailleur sollicitait une provision de 53 329,14 euros au titre de l’arriéré locatif. Le juge des référés n’a accordé que 45 108,80 euros, après avoir procédé à plusieurs rectifications.

La première correction concernait la période antérieure à la prise d’effet du bail. Le juge a relevé que « le bail commercial ayant pris effet le 15 septembre 2022, la société AWIS n’est pas redevable des loyers, provisions sur charge et taxe foncière, et TVA au titre du mois d’août 2022 et sur la période du 1er au 14 septembre 2022 ». Cette observation élémentaire n’avait pas été faite par le bailleur dans son décompte.

La seconde rectification portait sur les taxes foncières. Le bail prévoyait leur refacturation au preneur, et le bailleur réclamait 7 080 euros à ce titre. Le juge a constaté que « la société AWIS n’est pas redevable de la taxe foncière au titre de l’année 2021, ainsi que pour la période du 1er janvier 2022 au 14 septembre 2022 ». Après proratisation et déduction des provisions déjà facturées, le solde dû a été ramené à 688 euros.

Ces rectifications témoignent d’un examen minutieux des pièces produites. Le juge a procédé lui-même au calcul de l’arriéré, détaillant la formule appliquée : « 1659 x 29 (octobre 2022 à février 2025) + 884,80 (15 au 30 septembre 2025) – 4575 ». Cette rigueur arithmétique contraste avec l’approximation du décompte initial.

B. L’office du juge des référés dans l’octroi des provisions

L’ordonnance illustre la double dimension de l’office du juge des référés statuant sur une demande de provision. Ce juge doit vérifier l’absence de contestation sérieuse, mais également s’assurer de la réalité et du quantum de la créance alléguée.

L’article 472 du code de procédure civile, expressément visé, dispose que le juge « ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée ». Cette disposition impose au juge de vérifier le bien-fondé des prétentions, même en l’absence du défendeur.

Le juge des référés a exercé ce contrôle avec rigueur. Il ne s’est pas contenté de constater que le preneur n’avait pas comparu et n’avait donc soulevé aucune contestation. Il a examiné d’office la cohérence du décompte avec les stipulations du bail et les pièces produites.

Cette attitude s’inscrit dans une conception exigeante de l’office du juge des référés. La provision accordée doit correspondre à une créance dont l’existence n’est pas sérieusement contestable. Cette condition suppose que le juge vérifie lui-même les éléments constitutifs de la créance, sans s’en remettre aveuglément aux calculs du demandeur.

La décision présente également un intérêt quant à l’articulation entre provision et indemnité d’occupation. Le juge a précisé que l’indemnité d’occupation était due « à compter du 1er mars 2025, celle dues depuis le 7 septembre 2024 étant comprises au titre de la provision accordée ». Cette clarification évite tout risque de double paiement et témoigne du souci de cohérence qui anime la juridiction des référés.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture