Tribunal judiciaire de Dijon, le 18 juin 2025, n°24/00347

L’acquisition d’un véhicule d’occasion auprès d’un professionnel de l’automobile soulève régulièrement des difficultés lorsque surviennent des pannes importantes peu après la vente. La question de l’identification du véritable vendeur et de la chaîne des propriétaires successifs devient alors déterminante pour l’exercice de l’action en garantie des vices cachés. L’ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de Dijon le 18 juin 2025 illustre ces enjeux dans le cadre d’une demande d’expertise judiciaire.

Un particulier a acquis le 3 juin 2023 un véhicule Renault Scenic auprès d’un professionnel exerçant sous une enseigne commerciale, moyennant un prix de 10 499 euros. Six mois plus tard, le véhicule a présenté une défaillance moteur diagnostiquée comme résultant d’un encrassement anormal, nécessitant un remplacement estimé à plus de 10 000 euros. La garantie souscrite n’a pu être mise en œuvre faute de transmission du contrat par le vendeur.

L’acquéreur a assigné le professionnel en référé aux fins d’expertise sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Le professionnel a contesté sa qualité de vendeur, affirmant n’avoir agi que comme mandataire dans le cadre d’un dépôt-vente conclu avec un tiers, lequel a été appelé en la cause. Ce tiers a soutenu avoir cédé définitivement le véhicule au professionnel dès novembre 2022 et contesté l’existence de tout contrat de dépôt-vente.

Le juge des référés devait déterminer si l’acquéreur justifiait d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile pour obtenir une mesure d’expertise opposable tant au professionnel qu’au propriétaire antérieur, dans la perspective d’une action en garantie des vices cachés.

Le tribunal a ordonné l’expertise sollicitée au contradictoire des deux défendeurs, relevant que le contrat de vente et le certificat de cession faisaient apparaître le professionnel comme vendeur, et que l’action en garantie des vices cachés pouvait être exercée directement contre le vendeur initial en qualité d’accessoire de la chose vendue.

Cette décision met en lumière l’appréciation souple du motif légitime dans le contentieux des vices cachés automobiles (I), tout en consacrant l’opposabilité élargie de l’expertise à l’ensemble de la chaîne des propriétaires (II).

I. L’appréciation souple du motif légitime dans le contentieux des vices cachés

Le juge des référés a retenu une conception pragmatique des conditions de recevabilité de la demande d’expertise (A), fondée sur l’existence d’indices suffisants sans exiger la preuve du vice allégué (B).

A. Une conception pragmatique des conditions de recevabilité

L’article 145 du code de procédure civile permet d’ordonner des mesures d’instruction avant tout procès dès lors qu’existe un motif légitime de conserver ou d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Le tribunal rappelle que « le demandeur à la mesure d’instruction, s’il n’a pas à démontrer la réalité des faits qu’il allègue, doit justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions, ne relevant pas de la simple hypothèse ».

Cette formulation traduit l’équilibre recherché par la jurisprudence entre deux exigences contradictoires. D’une part, la mesure in futurum ne doit pas être accordée à celui qui formule des allégations purement spéculatives. D’autre part, exiger une démonstration complète des faits litigieux reviendrait à vider le texte de sa substance puisque l’expertise vise précisément à établir des éléments que le demandeur ne peut connaître par lui-même.

En l’espèce, l’acquéreur produisait le contrat de vente, le certificat de cession et un devis de réparation établissant la défaillance du moteur. Ces éléments suffisaient à caractériser une situation contentieuse potentielle dont le fondement juridique était suffisamment déterminé.

B. L’indifférence à la preuve du vice au stade de la demande d’expertise

Le tribunal ne s’est pas prononcé sur l’existence effective d’un vice caché affectant le véhicule. Cette abstention est conforme à la nature même de la procédure de l’article 145 du code de procédure civile, qui constitue une mesure probatoire et non une décision sur le fond.

Le devis produit évoquait un encrassement « anormal » du moteur, ce qui laissait planer un doute sur l’origine du désordre. Celui-ci pouvait résulter d’un défaut préexistant à la vente comme d’une utilisation inadaptée postérieure. L’expertise ordonnée devra précisément déterminer « la date d’apparition des désordres en lien avec la panne moteur » et « si le véhicule était atteint de défauts en lien avec la panne moteur au moment de la vente ».

Cette mission exhaustive permettra au juge du fond de disposer des éléments techniques nécessaires pour statuer sur les conditions de l’action en garantie des vices cachés, notamment l’antériorité du vice et son caractère caché lors de la vente.

II. L’opposabilité élargie de l’expertise à la chaîne des propriétaires

Le tribunal a refusé de mettre hors de cause le propriétaire antérieur malgré ses contestations (A), consacrant ainsi le caractère d’accessoire de l’action en garantie des vices cachés (B).

A. Le refus de mise hors de cause du propriétaire antérieur

Le propriétaire antérieur soutenait avoir définitivement cédé le véhicule au professionnel en novembre 2022 et contestait tout lien contractuel avec l’acquéreur final. Il invoquait en outre la prescription de l’action à son encontre. Le tribunal a écarté ces arguments en relevant qu’il « n’appartient pas au juge des référés de se prononcer sur les relations contractuelles existant entre » le professionnel et le propriétaire antérieur.

Cette position s’inscrit dans la logique du référé probatoire, qui ne tranche pas les contestations de fond. Les divergences entre les parties sur l’existence et la nature du contrat de dépôt-vente relèvent de l’appréciation du juge du fond. Le juge des référés se borne à constater que ces incertitudes justifient précisément l’opposabilité de l’expertise à l’ensemble des personnes susceptibles d’être attraites au procès principal.

B. La consécration du caractère d’accessoire de l’action en garantie

Le tribunal a retenu que « l’action en garantie des vices cachés constitue un accessoire de la chose vendue et peut donc être directement exercée en qualité de sous-acquéreur à l’encontre du vendeur initial ». Cette formulation reprend la solution consacrée par la Cour de cassation depuis l’arrêt d’assemblée plénière du 7 février 1986, selon laquelle le sous-acquéreur dispose d’une action directe contre le vendeur originaire.

Cette transmission de l’action avec la chose vendue justifie que l’expertise soit ordonnée au contradictoire de tous les maillons de la chaîne translative de propriété. Peu importe à ce stade que le propriétaire antérieur ait ou non conservé la qualité de vendeur au regard de l’acquéreur final. L’opposabilité de l’expertise préserve les droits de la défense de chacune des parties potentiellement concernées par le litige au fond.

La solution retenue présente une utilité pratique certaine dans le contentieux automobile où les véhicules transitent fréquemment entre plusieurs propriétaires successifs avant de révéler des défauts cachés.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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