La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 7 mars 2013, précise les conditions d’exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée lors d’échanges de services. Cette décision traite du moment de la taxation d’une prestation future et des modalités de fixation de sa base d’imposition.
Plusieurs personnes physiques ont constitué, au profit d’une société de construction, des droits de superficie sur des terrains leur appartenant. En contrepartie, l’entreprise s’est engagée à concevoir et à bâtir des immeubles achevés au bénéfice de ces propriétaires fonciers. L’administration fiscale a considéré que la taxe était devenue exigible dès la constitution des droits de superficie. Elle a alors émis un avis d’imposition rectificatif calculé sur la valeur normale des services de construction estimée par un expert.
La société a formé un recours administratif puis un recours contentieux devant le tribunal administratif de Plovdiv qui a confirmé l’avis d’imposition le 14 octobre 2010. Saisie d’un pourvoi en cassation, la Cour administrative suprême s’interroge sur la conformité de la législation nationale avec le droit de l’Union. Le litige porte principalement sur la possibilité de taxer une prestation future lors de la réception d’un paiement en nature. Les parties s’opposent également sur la définition de la base d’imposition applicable à une telle opération d’échange.
Le problème de droit consiste à savoir si la réception d’un droit réel immobilier constitue un acompte rendant la taxe exigible avant l’exécution des travaux. Il convient aussi de déterminer si la base d’imposition doit correspondre à la valeur normale des biens ou à la valeur subjectivement convenue.
La Cour de justice répond que la taxe peut devenir exigible dès la constitution du droit de superficie si les éléments de la prestation future sont connus. Elle affirme par ailleurs que la base d’imposition est constituée par la contrepartie réellement reçue et non par une valeur estimée. La solution retenue permet d’analyser l’anticipation de l’exigibilité fiscale avant d’étudier la détermination de la base taxable.
I. L’anticipation de l’exigibilité fiscale lors d’un paiement en nature
A. L’assimilation du droit réel à un acompte taxable
La Cour souligne que le fait générateur intervient normalement lorsque la prestation de services est effectuée conformément aux règles communes. L’article soixante-cinq de la directive prévoit toutefois une exigibilité anticipée au moment de l’encaissement d’un acompte. Le juge européen considère que le versement d’un acompte peut parfaitement consister en un apport en nature. Le principe de neutralité fiscale s’oppose à ce que les « opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment ». Un paiement en droits immobiliers doit donc être traité comme un versement monétaire dès lors que sa valeur est chiffrable. Cette interprétation extensive de l’acompte permet à l’administration de réclamer la taxe dès la conclusion du contrat d’échange.
B. La nécessaire détermination des prestations futures
L’exigibilité de la taxe avant la réalisation de l’opération suppose que tous les éléments du fait générateur soient déjà précisément identifiés. Les juges affirment que « tous les éléments pertinents de ces futures prestations de services » doivent être connus lors du versement. Les services de construction doivent être désignés avec une précision suffisante pour permettre le calcul immédiat de l’impôt dû. La simple intention de réaliser des travaux ne suffit pas à déclencher l’obligation de liquider la taxe sur la valeur ajoutée. Cette exigence de précision protège l’assujetti contre une taxation prématurée d’opérations encore incertaines ou mal définies. Le cadre temporel étant ainsi fixé, il convient d’envisager la mesure financière de cette taxation.
II. La mesure de la base taxable entre valeur subjective et critères objectifs
A. La primauté de la valeur subjective de la contrepartie
La base d’imposition doit correspondre à la contrepartie réellement reçue par le prestataire de services pour l’opération réalisée à titre onéreux. Le juge européen rappelle que « cette contrepartie constitue la valeur subjective » réellement perçue par l’assujetti lors de l’échange. Il ne s’agit pas d’une valeur estimée selon des critères objectifs ou des expertises extérieures imposées par l’administration. La valeur correspond à la somme que le bénéficiaire de la prestation est disposé à dépenser pour obtenir le service. Cette approche respecte la volonté des parties et la réalité économique du contrat conclu entre les copermutants. Le montant de la taxe reste ainsi strictement lié au prix de revient convenu entre les opérateurs économiques.
B. L’exclusion des méthodes nationales d’évaluation forfaitaire
Les États membres ne peuvent pas prévoir que la base d’imposition soit la valeur normale de l’opération par une disposition générale. L’article quatre-vingts de la directive dresse une liste exhaustive des situations permettant de déroger au principe de la valeur subjective. Les autorités nationales ne sauraient imposer une valeur de marché entre des parties ne présentant aucun lien de dépendance juridique ou financière. La Cour confirme que les dispositions relatives à la base d’imposition possèdent un « effet direct » invocable par les particuliers. Cette protection garantit que la législation nationale ne puisse pas alourdir arbitrairement la charge fiscale des entreprises. Le droit de l’Union fait ainsi obstacle à l’application de méthodes d’évaluation forfaitaires contraires aux principes fondamentaux de la fiscalité européenne.