Cour de justice de l’Union européenne, le 6 octobre 2011, n°C-506/10

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 6 octobre 2011, une décision fondamentale concernant l’accord sur la libre circulation des personnes entre la Communauté européenne et la Confédération suisse. Cette affaire s’inscrit dans le cadre d’un litige relatif au refus d’une autorité administrative d’approuver un contrat de bail rural. Un propriétaire foncier résidant en Allemagne et un agriculteur de nationalité suisse, établi en zone frontalière, ont conclu une convention d’affermage pour des terres arables. L’administration compétente s’est opposée à ce contrat en s’appuyant sur une réglementation régionale spécifique. Ce texte permet de rejeter un bail si les produits agricoles issus du terrain sont destinés à être exportés en franchise de droits de douane. L’autorité invoquait un risque de distorsion de concurrence au détriment des exploitants locaux souhaitant agrandir leurs structures. Les parties ont contesté ce refus devant l’Amtsgericht de Waldshut-Tiengen, lequel a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice. La question préjudicielle portait sur la compatibilité de ce motif d’opposition avec le principe d’égalité de traitement garanti par l’accord international. La Cour affirme que ce principe interdit toute mesure affectant de manière disproportionnée les ressortissants de l’autre partie contractante sans justification valable. Le présent commentaire portera d’abord sur la caractérisation d’une discrimination indirecte avant d’analyser le rejet des justifications fondées sur l’intérêt économique.

I. La caractérisation d’une discrimination indirecte liée à l’activité frontalière

A. L’application de l’égalité de traitement aux frontaliers indépendants

L’accord du 21 juin 1999 étend les bénéfices de la libre circulation aux ressortissants des parties contractantes exerçant une activité économique non salariée. La Cour rappelle que « le principe d’égalité de traitement, établi à l’article 15, paragraphe 1, de l’annexe I de l’accord concernant l’accès à une activité non salariée et à son exercice » s’applique aux frontaliers. Cette protection juridique garantit qu’un indépendant reçoive dans le pays d’accueil un traitement identique à celui des nationaux. L’accès aux facteurs de production, tels que les terres agricoles par voie de bail rural, constitue une condition essentielle de cet exercice professionnel. Le juge européen refuse ainsi toute distinction fondée sur la finalité de l’activité économique ou la destination géographique des produits récoltés. Cette interprétation extensive assure l’effet utile des dispositions conventionnelles pour les agriculteurs opérant de part et d’autre de la frontière.

B. Le critère de l’affectation prépondérante des ressortissants étrangers

Le droit de l’Union prohibe les discriminations directes mais également les formes dissimulées de distinction aboutissant au même résultat. La Cour souligne que la réglementation litigieuse ne vise pas explicitement la nationalité mais utilise des critères neutres en apparence. Toutefois, une discrimination indirecte est constituée si la mesure « affecte par son application un nombre nettement plus élevé de ressortissants de l’autre partie contractante ». Les agriculteurs exploitant des terres en Allemagne pour exporter vers la Suisse sont principalement des citoyens suisses. La réglementation locale pèse donc essentiellement sur les travailleurs frontaliers en limitant leur capacité à sécuriser des baux ruraux. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si cette différence d’impact numérique est effectivement réalisée dans le contexte local. Cette approche matérielle de l’égalité permet de neutraliser les barrières administratives qui entravent la libre circulation sous couvert de règles techniques.

II. L’exclusion des justifications tirées de la structure agraire

A. Le rejet des impératifs économiques et de l’ordre public

L’autorité administrative invoquait la préservation de la structure agraire et la lutte contre les distorsions de concurrence pour justifier son opposition. La Cour écarte fermement ces arguments en rappelant que les raisons économiques ne peuvent limiter les droits octroyés par l’accord. Elle précise que la notion d’ordre public doit faire l’objet d’une interprétation stricte dans le cadre des relations entre l’Union et la Suisse. Selon les juges, l’aménagement du territoire ou la répartition rationnelle des terrains « ne sauraient, en aucune manière, relever de la notion d’ordre public ». Une telle dérogation exigerait la démonstration d’une menace réelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. Le juge européen refuse ainsi que des considérations de politique agricole locale puissent primer sur le principe de non-discrimination. Cette position protège l’intégrité de l’espace économique commun créé par les accords bilatéraux.

B. La sanction des nouvelles mesures restrictives par la clause de statu quo

La décision s’appuie également sur l’article 13 de l’accord qui instaure une obligation de ne pas adopter de nouvelles restrictions. Cette clause de « Stand still » interdit aux États membres de durcir les conditions d’accès à la libre circulation après la signature du traité. La Cour observe qu’une réglementation discriminatoire adoptée postérieurement contrevient nécessairement à cet engagement international de stabilité juridique. Le principe d’égalité de traitement s’oppose à ce qu’un État utilise sa compétence réglementaire pour restaurer des obstacles à l’établissement transfrontalier. Cette protection renforce la sécurité des opérateurs économiques en figeant les acquis libéraux contre les velléités protectionnistes locales. La solution rendue garantit que les frontaliers indépendants ne soient pas évincés du marché foncier pour des motifs liés à leur situation géographique particulière. La décision finale appartient désormais au juge national qui doit tirer les conséquences de cette incompatibilité manifeste.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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