La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 6 mars 2025, une décision fondamentale concernant l’évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement. Elle précise les obligations des autorités nationales lorsqu’elles reçoivent des informations critiques émanant de tiers lors de la phase de vérification préliminaire d’un projet.
Un maître d’ouvrage a sollicité l’autorisation de construire cent vingt-trois appartements sur un site situé à proximité immédiate d’un couloir biologique fluvial. Les rapports fournis initialement ne mentionnaient aucune incidence notable sur la biodiversité locale malgré la présence potentielle d’espèces protégées dans cette zone géographique. Une association de résidents a toutefois soumis des observations précises faisant état de la présence de chauves-souris, en s’appuyant sur une étude scientifique antérieure. L’autorité compétente a néanmoins accordé l’autorisation de construire sans exiger d’évaluation environnementale complète, estimant que le risque d’impact négatif majeur était exclu.
La Haute Cour d’Irlande, saisie d’un recours le 1er décembre 2023, a décidé d’interroger la juridiction européenne sur l’interprétation de la directive 2011/92. Le litige porte sur le point de savoir si l’autorité doit lever tout doute scientifique avant de renoncer à une évaluation complète des incidences. Il s’agit de déterminer si des informations apportées par des tiers obligent l’administration à solliciter des compléments d’instruction auprès du pétitionnaire.
La Cour de justice dispose que l’autorité compétente doit demander au maître d’ouvrage des informations supplémentaires lorsqu’un tiers fournit des éléments objectifs sérieux. Elle considère qu’une évaluation complète s’impose dès lors qu’un doute scientifique subsiste quant à l’absence d’incidences notables sur des espèces animales strictement protégées.
I. L’affinement du cadre procédural de la vérification préliminaire des projets
A. La valeur juridique reconnue aux observations spontanées des tiers
La phase de vérification préliminaire constitue une étape charnière pour déterminer si un projet doit subir une évaluation environnementale complète avant son autorisation définitive. La directive 2014/52 précise qu’il est de « bonne pratique administrative de tenir compte des observations spontanées susceptibles de parvenir d’autres sources ». Cette reconnaissance textuelle transforme une simple faculté en une obligation de diligence pour l’autorité chargée de l’examen au cas par cas. Le juge européen souligne que l’administration doit prendre en compte toute information pertinente comportant des éléments objectifs permettant d’apprécier l’existence d’un risque. Cette exigence renforce la transparence du processus décisionnel tout en intégrant l’expertise citoyenne dans la protection de l’écosystème local.
B. Le devoir d’instruction complémentaire de l’autorité compétente
L’autorité ne peut se contenter des informations lacunaires fournies par le maître d’ouvrage lorsque des doutes sérieux sont émis par des parties intéressées. Elle a l’obligation de solliciter des précisions si les éléments soumis par des tiers sont de nature à faire naître une incertitude scientifique. Le maître d’ouvrage occupe un rôle prépondérant puisque la décision de dispense d’évaluation doit reposer sur les informations les plus complètes et actuelles possible. L’administration commet une erreur de droit si elle conclut à l’absence de risque environnemental sans avoir préalablement invité le pétitionnaire à compléter son dossier. Cette procédure garantit que l’évaluation des incidences ne soit pas indûment écartée par manque de données techniques suffisantes lors de l’examen initial.
II. L’empire du principe de précaution sur l’évaluation des risques environnementaux
A. Le critère du doute scientifique raisonnable comme seuil d’exigibilité
Le principe de précaution impose une interprétation rigoureuse des probabilités d’atteinte à l’environnement dès la genèse des projets publics ou privés d’aménagement urbain. La jurisprudence rappelle qu’une évaluation « doit être réalisée dès qu’il existe une probabilité ou un risque que le projet concerné ait des incidences notables ». Un tel risque est juridiquement constitué dès lors qu’il ne peut être exclu sur la base d’éléments objectifs rapportés par l’instruction. L’autorité compétente doit acquérir la certitude qu’un doute scientifique raisonnable est écarté avant de valider une décision de dispense d’évaluation environnementale. Ce seuil de preuve très élevé limite considérablement la marge de manœuvre discrétionnaire de l’administration nationale face aux enjeux de préservation de la faune.
B. La protection renforcée des espèces animales strictement protégées
L’attention portée à la biodiversité est d’autant plus impérieuse que le projet est susceptible d’affecter des espèces bénéficiant d’un système de protection stricte. Les chauves-souris figurent parmi les espèces protégées par la directive Habitats dont la perturbation intentionnelle ou la destruction des sites de repos sont prohibées. La Cour lie étroitement les obligations de la directive sur l’évaluation des incidences avec les exigences de conservation des habitats naturels sauvages. L’autorité doit motiver précisément sa décision pour démontrer qu’elle a acquis une certitude scientifique malgré les avis contraires exprimés lors de la consultation. Cette protection catégorielle assure que les impératifs de construction de logements ne priment pas systématiquement sur la survie d’espèces menacées par l’urbanisation.