La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 27 février 2014, une décision fondamentale concernant la recevabilité des recours formés par des personnes morales. Le litige portait sur la contestation d’une décision de la Commission européenne relative à un régime d’aides d’État en faveur de sociétés de logement social. Des organismes à but non lucratif néerlandais assuraient la construction et la mise en location d’habitations pour des personnes défavorisées. En 2005, la Commission a qualifié le système de financement de ces entités d’aide existante et a exprimé des doutes sur sa compatibilité. À la suite de négociations, les autorités nationales ont proposé des engagements pour modifier le fonctionnement de ces structures et les mesures d’avantage. La Commission a accepté ces modifications par une décision du 15 décembre 2009, déclarant le régime compatible avec le marché intérieur.
Plusieurs sociétés ont alors saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation partielle de cet acte. Par une ordonnance du 16 décembre 2011, le Tribunal a rejeté la demande comme irrecevable au motif que les requérantes n’étaient pas individuellement concernées. Les sociétés ont formé un pourvoi devant la Cour de justice pour obtenir l’annulation de cette ordonnance. La question posée était de savoir si des bénéficiaires d’un régime d’aides sont individuellement concernés par une décision modifiant ce régime lorsqu’ils sont identifiables au moment de l’acte. La Cour de justice a annulé l’ordonnance en jugeant que les requérantes appartenaient à un cercle fermé d’opérateurs individualisés par la modification de leurs droits acquis.
I. L’identification d’un cercle restreint d’opérateurs individualisables
A. Le constat d’une appartenance à un groupe identifié
Le Tribunal de l’Union européenne avait initialement considéré que la qualité de société de logement dépendait de critères objectifs accessibles à un nombre indéterminé d’opérateurs. La Cour de justice infirme ce raisonnement en soulignant que le nombre et l’identité des bénéficiaires étaient exactement déterminés lors de l’adoption de la décision. Elle rappelle que « lorsque la décision affecte un groupe de personnes qui étaient identifiées ou identifiables au moment où cet acte a été pris », ces personnes peuvent être individuellement concernées.
L’existence d’un système d’agrément par acte réglementaire national permettait de circonscrire précisément les membres du groupe au jour de la décision litigieuse. Cette approche privilégie la réalité de la situation des opérateurs sur la nature théorique et ouverte du régime d’aides en cause. Ainsi, l’identification préalable des bénéficiaires constitue un premier critère essentiel pour distinguer ces opérateurs de l’ensemble des acteurs économiques du secteur concerné.
B. La modification des droits acquis par les opérateurs existants
L’individualisation des requérantes résulte également de l’impact direct de la décision sur leur situation juridique préexistante. La Cour précise qu’une affectation individuelle peut exister lorsque « la décision modifie les droits acquis par le particulier antérieurement à son adoption ». Le nouveau régime rendait les conditions d’exercice des activités moins favorables en réduisant la marge de manœuvre pour le choix des locataires.
La disparition du fonds de garantie des emprunts constituait une altération concrète des avantages dont bénéficiaient les sociétés agréées avant la réforme. Cette modification d’une situation de fait caractérisée individualise les requérantes de manière analogue au destinataire de la décision. La reconnaissance de cet intérêt particulier permet d’envisager l’examen des autres conditions de recevabilité fixées par le traité concernant la nature de l’acte attaqué.
II. L’application rigoureuse des conditions de recevabilité du recours en annulation
A. L’erreur de droit commise lors de l’examen de l’acte réglementaire
La Cour relève que le Tribunal a omis d’analyser la recevabilité du recours au regard de l’article 263 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’ordonnance attaquée s’est limitée à la condition de l’affectation individuelle sans examiner la notion d’acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution. Toutefois, la Cour estime cette erreur inopérante car la décision litigieuse prévoit des mesures de mise en œuvre par des décrets nationaux.
Les conséquences concrètes de l’application des engagements se matérialisent par des actes nationaux constituant des mesures d’exécution au sens du droit de l’Union. Le recours ne pouvait donc être déclaré recevable que si les requérantes étaient directement et individuellement concernées par l’acte attaqué. Cette précision rappelle que l’assouplissement des conditions de recevabilité pour les actes réglementaires ne s’applique pas aux décisions nécessitant une intervention législative intermédiaire.
B. La consécration de l’affectation directe et de l’intérêt à agir
L’affectation directe est établie dès lors que l’acte affecte la situation juridique des parties sans laisser de pouvoir d’appréciation aux autorités chargées de l’exécution. La Cour souligne que « le Royaume des Pays-Bas ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation dans la mise en œuvre de la décision litigieuse ». Le caractère automatique des conséquences juridiques découlant du seul droit de l’Union confirme l’existence d’un lien direct entre la décision et les requérantes.
L’annulation de l’acte serait susceptible de procurer un bénéfice aux sociétés en maintenant des conditions d’activité antérieures plus avantageuses. En déclarant le recours recevable, la Cour garantit une protection juridictionnelle effective aux membres d’un secteur économique fermé dont les droits sont remis en cause. L’affaire est désormais renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne pour qu’il soit statué sur le fond du litige.