La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 26 octobre 2016, précise l’étendue de la protection des sûretés réelles immobilières. Une société civile immobilière de droit français, propriétaire d’un immeuble situé en Allemagne, fit l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ouverte en France. Une autorité publique locale demanda la vente forcée du bien immobilier pour obtenir le recouvrement de taxes foncières impayées par le propriétaire. Le juge national s’interrogea sur la possibilité de poursuivre cette exécution malgré l’interdiction des poursuites individuelles découlant du droit français de l’insolvabilité. La question préjudicielle porte sur la qualification de la charge foncière de droit public au sens du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité. La haute juridiction devait déterminer si une telle garantie fiscale constitue un « droit réel » opposable à la procédure collective ouverte dans un autre État. Elle affirme que le règlement n’établit pas de distinction selon l’origine de la créance ou la nature publique de la charge foncière concernée.
I. L’admission du droit réel par le recours à la loi de situation
A. La consécration de la loi du lieu de situation de l’immeuble
Le règlement prévoit que la loi de l’État d’ouverture régit normalement les effets de l’insolvabilité sur les poursuites individuelles menées par les créanciers. L’article 5 du texte écarte toutefois cette règle pour les droits réels dont le titulaire peut alors « séparer la garantie de la masse » active. La Cour rappelle que la justification et la portée d’un tel droit se déterminent normalement en vertu de la loi du lieu où il se situe. Il appartient donc au juge national d’examiner si la charge litigieuse présente un caractère réel selon les dispositions de sa propre législation interne. Cette solution respecte le modèle d’universalité atténuée qui impose de protéger les situations juridiques locales contre les effets d’une procédure étrangère imprévisible. Le renvoi à la loi de situation assure une stabilité nécessaire aux droits inscrits sur les registres publics des États membres de l’Union.
B. L’appréciation des critères matériels de la charge foncière
Pour relever de la protection européenne, le droit considéré comme réel par la législation nationale doit répondre aux critères fonctionnels fixés par le règlement. La décision souligne que la charge doit grever directement et immédiatement le bien immobilier taxé pour permettre une exécution forcée entre les mains du propriétaire. Le texte mentionne expressément « le droit de réaliser ou de faire réaliser le bien » afin de se désintéresser sur le produit de la vente. En l’espèce, la législation allemande impose au détenteur de l’immeuble de tolérer l’action de l’administration fiscale pour le recouvrement des arriérés de taxes foncières. Cette prérogative de poursuite directe sur la valeur du bien caractérise l’existence d’une sûreté réelle au sens de la jurisprudence de la Cour. L’administration bénéficie ainsi d’une qualité de créancier privilégié dont le droit de suite préexiste à l’ouverture de la procédure de redressement.
II. L’extension de la protection aux créances de nature publique
A. Le rejet d’une interprétation strictement commerciale du règlement
La Commission européenne soutenait qu’une interprétation stricte de la dérogation devait limiter le bénéfice du droit réel aux seules transactions réalisées à titre commercial. La Cour écarte ce raisonnement en soulignant que le libellé de l’article 5 ne contient aucune restriction liée à l’origine contractuelle de la créance. Elle affirme que « l’ouverture de la procédure d’insolvabilité n’affecte pas le droit réel » sans distinguer selon que la garantie est conventionnelle ou légale. Restreindre cette protection aux crédits bancaires priverait d’effet utile les sûretés constituées au profit des autorités fiscales ou des organismes de sécurité sociale. Le juge refuse d’introduire une hiérarchie entre les créanciers titulaires d’une sûreté selon la nature civile ou publique de leur titre de créance initial. Cette approche littérale garantit une application uniforme du droit de l’insolvabilité indépendamment des spécificités organiques des intervenants à la procédure.
B. La sauvegarde de la sécurité juridique des transactions transfrontalières
L’objectif de la règle dérogatoire réside dans la protection de la confiance légitime des tiers quant à l’efficacité des garanties prises sur un territoire. La Cour considère que le caractère commercial ou public des droits est indifférent pour assurer la sécurité des transactions dans un État membre différent. Une interprétation restrictive fragiliserait la position des créanciers locaux qui comptent sur la stabilité du droit de situation des biens pour accorder des délais. Le règlement repose d’ailleurs sur un principe d’égalité de traitement excluant toute discrimination à l’encontre des administrations fiscales étrangères produisant leurs créances. La décision confirme ainsi que les charges foncières de droit public bénéficient de la même immunité que les hypothèques classiques face au dessaisissement du débiteur. Cette solution renforce la prévisibilité juridique pour tous les titulaires de droits réels immobiliers agissant dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice.