Cour d’appel de Versailles, le 3 juillet 2025, n°25/00411
Par un arrêt du 3 juillet 2025, la Cour d’appel de Versailles s’est prononcée sur l’articulation entre l’acquisition de la clause résolutoire d’un bail commercial et l’ouverture d’une procédure collective à l’égard du preneur. Cette décision illustre la primauté du droit des entreprises en difficulté sur le droit des baux commerciaux.
Une société locataire occupait un local commercial situé dans une galerie marchande en vertu d’un bail conclu en 2008, transféré à plusieurs reprises avec le fonds de commerce. Face à l’accumulation d’impayés, le bailleur a fait délivrer le 8 novembre 2023 un commandement de payer visant la clause résolutoire pour un arriéré locatif de plus de 119 000 euros. Par assignation du 4 mars 2024, il a saisi le juge des référés aux fins de constatation de l’acquisition de la clause résolutoire et d’expulsion.
Par ordonnance réputée contradictoire du 13 décembre 2024, le juge des référés du Tribunal judiciaire de Pontoise a constaté l’acquisition de la clause résolutoire au 8 décembre 2023, ordonné l’expulsion et condamné provisionnellement la locataire au paiement de la somme de 211 707,99 euros. La société locataire a interjeté appel le 15 janvier 2025. Par jugement du 3 février 2025, le Tribunal de commerce de Pontoise a ouvert une procédure de redressement judiciaire à son égard.
Devant la Cour d’appel de Versailles, la locataire et les organes de la procédure collective, intervenants volontaires, ont soutenu que la clause résolutoire n’était pas définitivement acquise à la date du jugement d’ouverture. Le bailleur a sollicité la fixation des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.
La question posée à la cour était de déterminer si une action en constatation de l’acquisition de la clause résolutoire d’un bail commercial, introduite avant l’ouverture d’une procédure collective mais non passée en force de chose jugée à cette date, peut être poursuivie après le jugement d’ouverture.
La Cour d’appel de Versailles a infirmé l’ordonnance entreprise et déclaré le bailleur irrecevable en toutes ses demandes. Elle a jugé que « l’action introduite par le bailleur, avant le placement en redressement judiciaire du preneur, en vue de faire constater l’acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure, ne peut être poursuivie après ce jugement ».
Cet arrêt invite à examiner successivement le fondement de l’irrecevabilité résultant de l’interdiction des poursuites (I), puis les conséquences de cette règle sur les demandes accessoires du bailleur (II).
I. L’interdiction des poursuites, obstacle à la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire
L’arrêt précise le champ d’application de la règle de l’arrêt des poursuites (A) avant d’en tirer les conséquences sur l’action en résiliation pour impayés (B).
A. Le principe de l’arrêt des poursuites individuelles en matière de résiliation pour défaut de paiement
La cour fonde son raisonnement sur la combinaison des articles L. 145-41 et L. 622-21 du Code de commerce. Le premier texte subordonne l’effet de toute clause résolutoire à l’expiration d’un délai d’un mois suivant un commandement demeuré infructueux. Le second interdit, à compter du jugement d’ouverture, « toute action en justice (…) tendant (…) à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent ».
L’article L. 622-21 du Code de commerce, applicable en redressement judiciaire par renvoi de l’article L. 631-14, cristallise la situation du débiteur à la date du jugement d’ouverture. Cette règle d’ordre public vise à préserver les chances de redressement en empêchant les créanciers antérieurs de poursuivre individuellement le recouvrement de leurs créances ou d’obtenir la résolution des contrats essentiels à la poursuite de l’activité.
La cour rappelle que l’interdiction frappe non seulement les actions nouvelles mais également celles en cours qui ne seraient pas passées en force de chose jugée. Elle énonce ainsi que « à défaut de décision passée en force de chose jugée antérieurement à l’ouverture de la procédure collective, une demande tendant à la constatation en référé de l’acquisition d’une clause résolutoire (…) se heurte à l’interdiction des poursuites ».
B. L’absence de force de chose jugée de l’ordonnance de référé, condition de l’irrecevabilité
L’arrêt souligne la chronologie déterminante des événements. L’ordonnance de référé date du 13 décembre 2024, l’appel a été interjeté le 15 janvier 2025, et le jugement d’ouverture est intervenu le 3 février 2025. La cour en déduit qu’à la date du jugement d’ouverture, la décision constatant l’acquisition de la clause résolutoire « n’était pas passée en force de chose jugée ».
Cette analyse repose sur la notion de force de chose jugée, distincte de l’autorité de la chose jugée. Une décision passe en force de chose jugée lorsqu’elle n’est plus susceptible de recours suspensif d’exécution. L’appel d’une ordonnance de référé, bien que dépourvu d’effet suspensif en principe, maintient la décision dans l’ordre des voies de recours ordinaires et empêche qu’elle ne devienne définitive.
La solution retenue par la cour s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. Elle privilégie une conception stricte du moment où la clause résolutoire peut être considérée comme définitivement acquise à l’égard du débiteur soumis à une procédure collective.
II. Les conséquences de l’irrecevabilité sur les demandes du bailleur
L’arrêt tire les conséquences de l’irrecevabilité tant sur les demandes principales (A) que sur le régime des créances provisionnelles (B).
A. L’infirmation intégrale des condamnations prononcées en première instance
La cour infirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, à l’exception des frais irrépétibles et des dépens. Elle déclare le bailleur « irrecevable en ses demandes ». Cette irrecevabilité frappe l’ensemble des prétentions formulées par le bailleur, qu’il s’agisse de la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire, de l’expulsion ou des condamnations pécuniaires.
L’irrecevabilité se distingue du rejet au fond. Elle signifie que la cour ne peut pas examiner le bien-fondé des demandes en raison d’un obstacle procédural. Le bailleur n’est pas privé de sa créance mais il ne peut plus en poursuivre le recouvrement par la voie contentieuse ordinaire.
Cette solution préserve le bail commercial malgré les manquements du preneur. Le contrat demeure en vigueur et l’administrateur judiciaire dispose de la faculté de le poursuivre ou d’y renoncer conformément aux articles L. 622-13 et suivants du Code de commerce.
B. L’exclusion de la fixation au passif des créances provisionnelles de référé
La cour précise que « seules les condamnations prononcées par le juge du fond peuvent faire l’objet d’une fixation au passif » et qu’« une provision susceptible d’être accordée par le juge des référés n’étant par nature qu’une créance provisoire, ne peut faire l’objet d’une telle fixation ». Cette affirmation rappelle la nature juridique des décisions de référé.
Les condamnations provisionnelles prononcées par le juge des référés ne tranchent pas le fond du droit. Elles reposent sur l’absence de contestation sérieuse au sens de l’article 835 du Code de procédure civile. Leur caractère provisoire est incompatible avec la procédure de vérification des créances qui exige une créance certaine, liquide et exigible.
La cour oriente le bailleur vers la procédure adéquate en indiquant que « la demande concernant cette créance devant être soumise au juge-commissaire dans le cadre de la procédure de vérification des créances ». Le bailleur devra déclarer sa créance au passif de la procédure collective et attendre son admission définitive pour en obtenir le paiement dans les conditions prévues par le plan de redressement.
Sur les dépens de première instance, la cour confirme leur mise à la charge de la locataire mais précise qu’ils seront « fixés au passif de la procédure collective ». Cette précision traduit l’adaptation des condamnations antérieures au jugement d’ouverture à la discipline collective.
Par un arrêt du 3 juillet 2025, la Cour d’appel de Versailles s’est prononcée sur l’articulation entre l’acquisition de la clause résolutoire d’un bail commercial et l’ouverture d’une procédure collective à l’égard du preneur. Cette décision illustre la primauté du droit des entreprises en difficulté sur le droit des baux commerciaux.
Une société locataire occupait un local commercial situé dans une galerie marchande en vertu d’un bail conclu en 2008, transféré à plusieurs reprises avec le fonds de commerce. Face à l’accumulation d’impayés, le bailleur a fait délivrer le 8 novembre 2023 un commandement de payer visant la clause résolutoire pour un arriéré locatif de plus de 119 000 euros. Par assignation du 4 mars 2024, il a saisi le juge des référés aux fins de constatation de l’acquisition de la clause résolutoire et d’expulsion.
Par ordonnance réputée contradictoire du 13 décembre 2024, le juge des référés du Tribunal judiciaire de Pontoise a constaté l’acquisition de la clause résolutoire au 8 décembre 2023, ordonné l’expulsion et condamné provisionnellement la locataire au paiement de la somme de 211 707,99 euros. La société locataire a interjeté appel le 15 janvier 2025. Par jugement du 3 février 2025, le Tribunal de commerce de Pontoise a ouvert une procédure de redressement judiciaire à son égard.
Devant la Cour d’appel de Versailles, la locataire et les organes de la procédure collective, intervenants volontaires, ont soutenu que la clause résolutoire n’était pas définitivement acquise à la date du jugement d’ouverture. Le bailleur a sollicité la fixation des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.
La question posée à la cour était de déterminer si une action en constatation de l’acquisition de la clause résolutoire d’un bail commercial, introduite avant l’ouverture d’une procédure collective mais non passée en force de chose jugée à cette date, peut être poursuivie après le jugement d’ouverture.
La Cour d’appel de Versailles a infirmé l’ordonnance entreprise et déclaré le bailleur irrecevable en toutes ses demandes. Elle a jugé que « l’action introduite par le bailleur, avant le placement en redressement judiciaire du preneur, en vue de faire constater l’acquisition de la clause résolutoire figurant au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure, ne peut être poursuivie après ce jugement ».
Cet arrêt invite à examiner successivement le fondement de l’irrecevabilité résultant de l’interdiction des poursuites (I), puis les conséquences de cette règle sur les demandes accessoires du bailleur (II).
I. L’interdiction des poursuites, obstacle à la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire
L’arrêt précise le champ d’application de la règle de l’arrêt des poursuites (A) avant d’en tirer les conséquences sur l’action en résiliation pour impayés (B).
A. Le principe de l’arrêt des poursuites individuelles en matière de résiliation pour défaut de paiement
La cour fonde son raisonnement sur la combinaison des articles L. 145-41 et L. 622-21 du Code de commerce. Le premier texte subordonne l’effet de toute clause résolutoire à l’expiration d’un délai d’un mois suivant un commandement demeuré infructueux. Le second interdit, à compter du jugement d’ouverture, « toute action en justice (…) tendant (…) à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent ».
L’article L. 622-21 du Code de commerce, applicable en redressement judiciaire par renvoi de l’article L. 631-14, cristallise la situation du débiteur à la date du jugement d’ouverture. Cette règle d’ordre public vise à préserver les chances de redressement en empêchant les créanciers antérieurs de poursuivre individuellement le recouvrement de leurs créances ou d’obtenir la résolution des contrats essentiels à la poursuite de l’activité.
La cour rappelle que l’interdiction frappe non seulement les actions nouvelles mais également celles en cours qui ne seraient pas passées en force de chose jugée. Elle énonce ainsi que « à défaut de décision passée en force de chose jugée antérieurement à l’ouverture de la procédure collective, une demande tendant à la constatation en référé de l’acquisition d’une clause résolutoire (…) se heurte à l’interdiction des poursuites ».
B. L’absence de force de chose jugée de l’ordonnance de référé, condition de l’irrecevabilité
L’arrêt souligne la chronologie déterminante des événements. L’ordonnance de référé date du 13 décembre 2024, l’appel a été interjeté le 15 janvier 2025, et le jugement d’ouverture est intervenu le 3 février 2025. La cour en déduit qu’à la date du jugement d’ouverture, la décision constatant l’acquisition de la clause résolutoire « n’était pas passée en force de chose jugée ».
Cette analyse repose sur la notion de force de chose jugée, distincte de l’autorité de la chose jugée. Une décision passe en force de chose jugée lorsqu’elle n’est plus susceptible de recours suspensif d’exécution. L’appel d’une ordonnance de référé, bien que dépourvu d’effet suspensif en principe, maintient la décision dans l’ordre des voies de recours ordinaires et empêche qu’elle ne devienne définitive.
La solution retenue par la cour s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation. Elle privilégie une conception stricte du moment où la clause résolutoire peut être considérée comme définitivement acquise à l’égard du débiteur soumis à une procédure collective.
II. Les conséquences de l’irrecevabilité sur les demandes du bailleur
L’arrêt tire les conséquences de l’irrecevabilité tant sur les demandes principales (A) que sur le régime des créances provisionnelles (B).
A. L’infirmation intégrale des condamnations prononcées en première instance
La cour infirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, à l’exception des frais irrépétibles et des dépens. Elle déclare le bailleur « irrecevable en ses demandes ». Cette irrecevabilité frappe l’ensemble des prétentions formulées par le bailleur, qu’il s’agisse de la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire, de l’expulsion ou des condamnations pécuniaires.
L’irrecevabilité se distingue du rejet au fond. Elle signifie que la cour ne peut pas examiner le bien-fondé des demandes en raison d’un obstacle procédural. Le bailleur n’est pas privé de sa créance mais il ne peut plus en poursuivre le recouvrement par la voie contentieuse ordinaire.
Cette solution préserve le bail commercial malgré les manquements du preneur. Le contrat demeure en vigueur et l’administrateur judiciaire dispose de la faculté de le poursuivre ou d’y renoncer conformément aux articles L. 622-13 et suivants du Code de commerce.
B. L’exclusion de la fixation au passif des créances provisionnelles de référé
La cour précise que « seules les condamnations prononcées par le juge du fond peuvent faire l’objet d’une fixation au passif » et qu’« une provision susceptible d’être accordée par le juge des référés n’étant par nature qu’une créance provisoire, ne peut faire l’objet d’une telle fixation ». Cette affirmation rappelle la nature juridique des décisions de référé.
Les condamnations provisionnelles prononcées par le juge des référés ne tranchent pas le fond du droit. Elles reposent sur l’absence de contestation sérieuse au sens de l’article 835 du Code de procédure civile. Leur caractère provisoire est incompatible avec la procédure de vérification des créances qui exige une créance certaine, liquide et exigible.
La cour oriente le bailleur vers la procédure adéquate en indiquant que « la demande concernant cette créance devant être soumise au juge-commissaire dans le cadre de la procédure de vérification des créances ». Le bailleur devra déclarer sa créance au passif de la procédure collective et attendre son admission définitive pour en obtenir le paiement dans les conditions prévues par le plan de redressement.
Sur les dépens de première instance, la cour confirme leur mise à la charge de la locataire mais précise qu’ils seront « fixés au passif de la procédure collective ». Cette précision traduit l’adaptation des condamnations antérieures au jugement d’ouverture à la discipline collective.