Cour d’appel de Saint – Denis, le 25 juillet 2025, n°23/01172

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Saint-Denis le 25 juillet 2025 illustre le régime protecteur de la garantie des vices cachés appliqué à un contrat d’échange de véhicules. Un particulier avait acquis une Renault Espace auprès d’un professionnel du commerce automobile dans le cadre d’un échange. Le véhicule a présenté rapidement des dysfonctionnements moteur graves.

Le tribunal judiciaire de Saint-Pierre, par jugement du 13 juillet 2023, avait débouté l’acquéreur de l’ensemble de ses demandes en retenant que ses prétentions n’étaient motivées ni en droit ni en fait. L’acquéreur a interjeté appel.

Devant la cour d’appel, il sollicitait l’infirmation du jugement, l’homologation du rapport d’expertise judiciaire, l’annulation de la transaction pour vice caché, la restitution réciproque des véhicules et l’indemnisation de ses préjudices matériel et moral.

La question posée à la cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si les dysfonctionnements du véhicule constituaient un vice caché ouvrant droit à résolution de la vente. D’autre part, la cour devait statuer sur l’étendue des préjudices indemnisables en application de la présomption irréfragable de connaissance du vice pesant sur le vendeur professionnel.

La cour d’appel infirme partiellement le jugement. Elle prononce la résolution de la vente pour vices cachés, ordonne les restitutions réciproques et condamne le vendeur professionnel au paiement de dommages-intérêts au titre des préjudices matériel et moral.

Cette décision met en lumière les conditions d’application de la garantie des vices cachés au contrat d’échange automobile (I), tout en précisant le régime de la responsabilité du vendeur professionnel quant à l’indemnisation des préjudices subis (II).

I. La garantie des vices cachés appliquée au contrat d’échange

La cour rappelle l’assimilation du contrat d’échange au régime de la vente (A), avant de caractériser les éléments constitutifs du vice caché affectant le véhicule litigieux (B).

A. L’application des règles de la vente au contrat d’échange

Le contrat litigieux présentait une particularité. Les parties avaient convenu non d’une vente classique mais d’un échange de véhicules. La cour rappelle que « les parties ont convenu d’un échange de véhicules, ce type de contrat restant soumis aux dispositions sur la vente ». Elle vise expressément les articles 1702 à 1707 du code civil, dont le dernier prévoit que « toutes les autres règles prescrites pour le contrat de vente s’appliquent d’ailleurs à l’échange ».

Cette assimilation légale confère à l’échange le bénéfice de la garantie des vices cachés prévue aux articles 1641 et suivants du code civil. L’acquéreur d’un bien dans le cadre d’un échange dispose des mêmes recours que l’acheteur classique. La cour fait également application de l’article 1705 du code civil propre à l’échange, selon lequel « le copermutant qui est évincé de la chose qu’il a reçue en échange a le choix de conclure à des dommages et intérêts ou de répéter sa chose ».

Cette solution s’inscrit dans une logique de protection équivalente des parties quel que soit le mode d’acquisition. L’échange ne saurait constituer un moyen de contourner les garanties légales attachées à la vente.

B. La caractérisation du vice caché affectant le véhicule

La cour procède à une analyse rigoureuse des conditions du vice caché. Elle rappelle l’article 1641 du code civil exigeant un « défaut caché de la chose vendue qui la rend impropre à l’usage auquel elle est destinée ».

Le rapport d’expertise judiciaire établit que « le moteur fonctionne très mal » avec « des émissions de fumées hors norme » et « des odeurs incommodantes anormales ». L’expert conclut que « la cause des dysfonctionnements moteur est une usure interne anormale et excessive » rendant le véhicule « impropre à l’utilisation ».

Trois éléments cumulatifs sont caractérisés. Le vice est grave puisque le véhicule ne peut remplir son usage normal. Il est caché car « les dysfonctionnements moteur liés à une usure interne anormale et excessive ne pouvaient pas être décelés par un profane de la vente automobile ». Il est antérieur à la vente, l’expert précisant que « les vices au moteur préexistaient à la date de transaction entre les parties ».

La cour souligne que le vendeur professionnel « ne pouvait ignorer le comportement anormal du moteur » et relève « le caractère très superficiel de la préparation à la vente ». Ces éléments suffisent à justifier la résolution de la vente avec restitutions réciproques.

II. Le régime de responsabilité du vendeur professionnel

La présomption irréfragable de connaissance du vice par le vendeur professionnel fonde son obligation de réparer l’intégralité des préjudices (A), bien que la cour en délimite strictement l’étendue indemnisable (B).

A. La présomption irréfragable de connaissance du vice

La cour vise l’article 1645 du code civil selon lequel « si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu’il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur ». Elle rappelle qu’« il résulte de ce texte une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, qui l’oblige à réparer l’intégralité de tous les dommages qui en sont la conséquence ».

Cette jurisprudence constante de la Cour de cassation trouve pleine application en l’espèce. Le vendeur exploitait une activité commerciale de vente de véhicules d’occasion sous l’enseigne SM NEGOCE. Sa qualité de professionnel est établie par l’extrait du registre du commerce produit aux débats.

Le professionnel ne peut se prévaloir de son ignorance du vice. Cette présomption irréfragable constitue une règle protectrice de l’acquéreur profane, justifiée par la compétence technique que le professionnel est censé détenir. La cour relève d’ailleurs que la « révision complète » effectuée avant la vente « ne trouve réellement aucune justification » au regard de l’état réel du véhicule.

B. La délimitation stricte des préjudices indemnisables

La cour fait preuve de rigueur dans l’appréciation des postes de préjudices réclamés. Elle rappelle le principe de réparation intégrale « sans perte ni profit » pour écarter la demande relative au prix du véhicule, celui-ci étant déjà couvert par la condamnation au titre de la résolution.

S’agissant de la privation de jouissance, la cour refuse l’indemnisation au motif que « le préjudice de jouissance invoqué doit être suffisamment démontré tant dans son principe que dans son étendue ». L’absence de preuve de la date d’immobilisation du véhicule et du préjudice en résultant fait obstacle à l’indemnisation. Cette exigence probatoire s’impose même lorsque le vendeur est professionnel.

Le préjudice moral est en revanche retenu. La cour relève que les attestations médicales établissent un état dépressif « conséquence des soucis causés par sa voiture ». Elle accorde 2.000 euros considérant que l’acquéreur « évoque à juste titre l’ensemble des tracas ayant perturbé sa vie quotidienne pendant plusieurs mois ».

La demande au titre de la perte de chance est rejetée. La cour énonce que « seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable ». La résolution de la vente ayant été prononcée, l’acquéreur ne peut se prévaloir d’une chance perdue de ne pas contracter. Cette solution logique évite une double indemnisation du même préjudice.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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