Cour d’appel de Pau, le 28 août 2025, n°24/00838

La vente d’un terrain à bâtir peut donner lieu à contentieux lorsque le vendeur omet de révéler l’emplacement exact d’une servitude grevant le fonds. La cour d’appel de Pau, dans un arrêt du 28 août 2025, apporte un éclairage sur l’articulation entre la garantie des vices cachés et le dol en matière de cession immobilière.

En l’espèce, par acte authentique du 29 avril 2021, un nu-propriétaire et une usufruitière ont vendu un terrain à bâtir d’une contenance de 1121 mètres carrés. L’acte mentionnait l’existence d’une servitude de canalisation d’irrigation située le long de la limite nord-est de la parcelle. Lors des travaux de décaissement pour les fondations, les acquéreurs ont découvert que cette canalisation ne se trouvait pas en limite de propriété mais à 3,30 mètres à l’intérieur du terrain. Les travaux de construction ont dû être interrompus.

Les acquéreurs ont assigné leur vendeur devant le tribunal judiciaire de Pau. Par jugement du 16 janvier 2024, cette juridiction a condamné le vendeur à payer aux acquéreurs la somme de 2886 euros au titre de la réduction du prix et 2500 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral. Le tribunal a retenu que le vendeur avait connaissance de l’emplacement réel de la canalisation pour avoir été partie à un litige antérieur tranché par un arrêt de la cour d’appel de Pau du 22 janvier 2001. Le vendeur a interjeté appel.

Devant la cour d’appel, les acquéreurs ont sollicité à titre principal la condamnation du vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés et, à titre subsidiaire, sur celui du dol. Le vendeur a contesté toute responsabilité en faisant valoir que la servitude ne constitue pas un vice caché et qu’il ignorait l’emplacement exact de la canalisation.

La question posée à la cour était de savoir si l’erreur d’implantation d’une servitude de canalisation mentionnée inexactement dans l’acte de vente relève de la garantie des vices cachés ou du régime du dol.

La cour d’appel de Pau a infirmé partiellement le jugement. Elle a rejeté la demande fondée sur la garantie des vices cachés au motif qu’une servitude de canalisation non apparente ne constitue pas un défaut inhérent à la chose. Elle a retenu en revanche le dol du vendeur, caractérisé par une réticence dolosive, et l’a condamné à payer 10 000 euros de dommages et intérêts.

Cet arrêt invite à examiner d’une part le rejet de la qualification de vice caché pour une servitude mal positionnée (I), et d’autre part la caractérisation du dol par réticence et ses conséquences indemnitaires (II).

I. Le refus d’appliquer la garantie des vices cachés à une servitude de canalisation

La cour écarte le fondement de la garantie des vices cachés en distinguant le défaut inhérent à la chose de la charge grevant le fonds (A), puis en rattachant la servitude au régime de la garantie d’éviction (B).

A. L’exigence d’un défaut intrinsèque de la chose vendue

L’article 1641 du code civil dispose que « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise ou n’en aurait donné un moindre prix s’il les avait connus ».

La cour relève que « l’emplacement de cette servitude différent des prévisions des acquéreurs ne constitue pas une défectuosité et ne rend pas le terrain impropre à son usage, ou n’en diminue pas l’usage de manière très importante ». Cette formulation révèle l’exigence d’un défaut matériel affectant la substance même de la chose. Le vice caché suppose une déficience technique ou physique du bien, non une limitation juridique de son utilisation.

Le terrain demeure parfaitement constructible. La présence de la canalisation n’affecte pas ses qualités intrinsèques mais limite seulement l’exercice du droit de propriété sur une partie du fonds. Cette distinction entre défaut matériel et contrainte juridique fonde le rejet du premier moyen des acquéreurs.

La solution traduit une conception restrictive du vice caché en matière immobilière. Le défaut doit résider dans la chose elle-même, non dans les droits des tiers sur cette chose. Cette approche préserve la cohérence du système des garanties légales du vendeur.

B. Le rattachement de la servitude au régime de l’éviction

La cour s’appuie expressément sur la jurisprudence de la Cour de cassation pour justifier le rejet du fondement des vices cachés. Elle énonce que « la Cour de cassation considère qu’une servitude de canalisation non apparente ne constitue pas un vice caché mais relève de la garantie d’éviction de l’article 1638 du code civil ».

L’article 1638 du code civil prévoit que si l’acquéreur découvre des charges non déclarées et qu’elles sont de telle importance qu’il y a lieu de présumer qu’il n’aurait pas acheté s’il en avait été instruit, il peut demander la résolution de la vente. La charge grevant le fonds trouve ainsi sa source dans un droit appartenant à un tiers, non dans un défaut de la chose elle-même.

Cette qualification emporte des conséquences importantes. L’acte de vente contenait une clause d’exclusion de la garantie d’éviction, ce qui explique que les acquéreurs n’ont pas fondé leur action sur ce terrain. La cour procède néanmoins par analogie pour exclure la garantie des vices cachés, jugeant que « le tracé de la servitude de canalisation, différent de celui présent à l’acte de vente, ne relève pas non plus de la garantie des vices cachés ».

La portée de cette décision réside dans l’affirmation nette de la ligne de partage entre les deux régimes de garantie. Une servitude, même mal localisée, demeure une charge juridique et non un défaut matériel. L’acquéreur qui découvre une telle charge après la vente doit agir sur le terrain de l’éviction ou, en cas de clause d’exclusion, rechercher la faute du vendeur par d’autres voies.

II. La caractérisation du dol et l’évaluation du préjudice

La cour retient le dol par réticence du vendeur (A) et procède à une évaluation autonome du préjudice excluant la demande morale (B).

A. La réticence dolosive du vendeur ayant connaissance de l’implantation réelle

L’article 1137 du code civil dispose que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ». La cour caractérise cette réticence en relevant les éléments établissant la mauvaise foi du vendeur.

Elle constate que « M. [F] a laissé en connaissance de cause le notaire inscrire à l’acte de vente que la canalisation ne passait pas sur la parcelle vendue, mais en limite de celle-ci ». La cour ajoute qu’il « connaissait l’existence de cette canalisation largement présente à l’intérieur de la parcelle vendue depuis 2001 ».

L’élément déterminant réside dans le contentieux antérieur ayant opposé le vendeur à l’association syndicale du Louts Amont. Par arrêt du 21 mars 2005, la même cour d’appel de Pau avait alloué au vendeur une indemnité de 6385,67 euros en réparation du préjudice subi à raison de la présence de cette canalisation sur la parcelle. Le vendeur ne pouvait donc ignorer que la canalisation se trouvait non pas en limite mais à l’intérieur du terrain.

Cette connaissance acquise rend inopérante l’argumentation du vendeur selon laquelle il aurait cru légitimement que la canalisation était enfouie dans la bande de deux mètres imposée par le plan local d’urbanisme. Le vendeur avait été indemnisé précisément parce que la canalisation dépassait cette limite. La mauvaise foi est ainsi caractérisée par la dissimulation délibérée d’une information que le vendeur savait déterminante pour les acquéreurs d’un terrain à bâtir.

B. L’indemnisation du préjudice matériel et le rejet du préjudice moral

La cour procède à une évaluation globale du préjudice en retenant la dévaluation du terrain comme chef principal de réparation. Elle relève que « le terrain des consorts [P]-[W] subit donc une dévaluation importante en raison des contraintes précitées, imposées par la présence de la canalisation litigieuse ».

Les contraintes identifiées sont doubles : l’impossibilité de réaliser une allée en enrobé pour accéder au garage et l’interdiction de planter des arbres à l’emplacement souhaité. La cour souligne que ces contraintes « doivent être mises en perspective avec la faible superficie du terrain (1121 m²) ce qui ne laissait aucune alternative aux consorts [P]-[W] pour implanter différemment leur maison et établir une allée de garage goudronnée ».

La cour alloue 10 000 euros de dommages et intérêts, soit une somme sensiblement supérieure aux 2886 euros retenus par le premier juge sur le fondement de la réduction du prix. Ce montant traduit une appréciation souveraine du préjudice liée aux contraintes durables pesant sur l’utilisation du fonds.

En revanche, la cour rejette la demande de préjudice moral en jugeant que « les consorts [P]-[W] ne font pas la démonstration d’un préjudice moral, s’ajoutant au préjudice subi à raison de la dévaluation du terrain ». Cette solution rappelle que le préjudice moral ne se présume pas et doit être établi par des éléments distincts du préjudice matériel. L’attitude déloyale du vendeur, bien que caractérisée au stade de la faute, ne suffit pas à fonder une indemnisation autonome au titre du préjudice moral des acquéreurs.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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