Cour d’appel de Paris, le 24 juin 2025, n°23/14611

Rendue par la cour d’appel de Paris le 24 juin 2025, la décision commente un litige locatif né d’un bail d’habitation conclu en 2013 entre deux colocataires et un bailleur institutionnel. Après des impayés constatés à l’automne 2021 et une saisine du juge des contentieux de la protection, celui-ci a, par jugement du 9 septembre 2022, déclaré irrecevable la demande d’acquisition de la clause résolutoire faute de saisine préalable de la CCAPEX, fixé un solde locatif, alloué des dommages-intérêts au locataire, ordonné une expertise sur la décence du logement et mis la consignation à la charge du bailleur.

Sur appel du bailleur, la cour est saisie de l’actualisation de la dette locative, de la contestation des indemnités allouées pour mise au rebut de meubles lors de travaux, de la charge de la consignation de l’expertise, de la demande d’attestation de loyer et du refus de délais sur le fondement de la loi du 6 juillet 1989. Le co-titulaire non constitué a été mis hors de cause par arrêt antérieur. La question porte d’abord sur la charge et les modalités de preuve des paiements en bail d’habitation, puis sur l’étendue de la responsabilité du bailleur pour atteintes aux biens mobiliers du locataire et la gestion procédurale de l’expertise et des délais. La cour retient notamment que « La dette locative de l’intimée, actualisée au 1er mai 2024, date de la restitution des clés, s’élève […] à la somme de 15 728,96 euros », que « Le jugement entrepris sera infirmé du chef du solde des loyers et charges impayés », et confirme l’expertise tout en mettant la consignation à la charge du demandeur. L’analyse portera d’abord sur la dette et la preuve, avant d’examiner la réparation et la conduite procédurale.

I. Détermination de la dette locative et rigueur probatoire en bail d’habitation

A. Charge et mode de preuve des paiements et de leur imputation
La cour exige une démonstration probatoire complète des règlements invoqués, appréciés au regard des pièces bancaires et des imputations effectives sur le décompte. Elle relève que « L’intimée n’établit pas la réalité des défauts d’imputation qu’elle invoque », qu’un ordre de virement ne vaut pas preuve du débit, et qu’un document isolé ne suffit pas à établir un versement d’un organisme tiers. Elle en déduit que « La dette locative de l’intimée […] s’élève […] à la somme de 15 728,96 euros », après neutralisation d’une reprise de solde non justifiée. La solution s’inscrit dans le droit commun de la preuve des obligations, le débiteur supportant la charge de la preuve de sa libération, l’imputation devant ressortir d’éléments bancaires précis et concordants.

La méthode retenue est cohérente avec la finalité de sécurité des décomptes locatifs. Elle évite les contestations générales dépourvues de pièces probantes, tout en contrôlant la fiabilité des écritures du bailleur. Le contrôle de la cour demeure concret et circonscrit aux justificatifs produits, ce qui limite les aléas contentieux et favorise une détermination rapide du solde exigible.

B. Conséquences accessoires: attestation de loyer, allocation logement et compensation
Tirant les conséquences de l’arriéré, la cour juge que « L’intimée n’étant pas à jour du paiement de ses loyers, sa demande de délivrance, sous astreinte, d’une attestation de loyer ne peut aboutir », et que la restitution de prestations sociales alléguées est irrecevable faute de preuve de la réalité et du montant. La décision infirme ainsi le quantum des sommes retenues au premier degré et confirme, pour le surplus, la possibilité de compenser les dettes réciproques lorsque les créances sont certaines et liquides. La solution est mesurée: elle ferme la voie à des injonctions instrumentales tant que la dette demeure impayée, tout en préservant l’outil de la compensation une fois les créances stabilisées.

Cette combinaison renforce la discipline contractuelle sans priver le locataire d’un mécanisme d’équilibre lorsque son droit à indemnisation est établi. Elle encourage la production rigoureuse de pièces, tant pour les paiements que pour d’éventuelles prestations d’organismes tiers.

II. Réparation des atteintes aux biens mobiliers et conduite procédurale du litige

A. Mise au rebut sans accord et évaluation des préjudices
La cour retient la responsabilité du bailleur pour la mise au rebut de certains meubles lors de travaux réalisés dans le logement, en l’absence d’accord établi du locataire. Elle décide que « L’appelant ne justifiant pas de l’accord de l’intimée pour la mise au rebut […] doit l’indemniser du préjudice en résultant […] [qui] s’élève à la somme de 1 600 euros ». Le préjudice moral est également réparé, mais de manière contenue et individualisée, la cour précisant que « Quant au préjudice moral de l’intimée, la cour l’évalue à la somme de 1 000 euros », tenant compte des circonstances indéterminées et des propositions de remplacement.

La motivation articule deux exigences. D’une part, la protection de la jouissance paisible et des biens du locataire impose d’indemniser la perte certaine d’objets précisément identifiés par factures. D’autre part, la cour refuse d’étendre le périmètre du dommage au-delà des éléments prouvés, écartant les affirmations générales et attestations dénuées de force probante. L’économie de la réparation demeure ainsi proportionnée et strictement probatoire.

B. Expertise, charge de la consignation et refus des délais de paiement
La juridiction d’appel confirme l’utilité de la mesure d’instruction, retenant que « Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il ordonne l’expertise contestée », au vu d’un rapport associatif décrivant des désordres techniques. Elle ajuste cependant la charge des frais en posant que « Ils seront en conséquence mis à la charge de l’intimée », conformément au principe selon lequel l’avance incombe, sauf décision motivée contraire, à la partie qui sollicite la mesure. La répartition distingue l’intérêt à agir en expertise de la charge finale, reportée à la décision au fond.

La cour refuse en outre les délais sollicités sur le fondement de la loi du 6 juillet 1989, en des termes clairs: « La situation financière de l’intimée ne lui permet manifestement pas de s’acquitter du solde de sa dette après compensation dans le délai légal de trois ans ». L’appréciation se fonde sur les ressources, les charges de logement et la durée déjà écoulée de la procédure. Enfin, au titre des dépens, la solution retient l’équilibre des résultats obtenus: « chacune des parties, partiellement perdante, conservera la charge de ses propres dépens sans pouvoir prétendre à une indemnité de procédure ». L’ensemble atteste d’un pilotage procédural pragmatique, qui garantit l’instruction technique nécessaire, encadre son financement initial et préserve l’effectivité du recouvrement locatif.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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