Cour d’appel de Paris, le 11 septembre 2025, n°23/06497

La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 11 septembre 2025, statue sur un litige opposant un locataire à une bailleresse usufruitière au sujet de la qualification et des effets d’un bail verbal portant sur un logement meublé.

Un particulier a occupé un appartement situé à Paris du 11 novembre 2020 au 11 février 2021. À cette date, la bailleresse a changé les serrures du logement en son absence. Par ordonnance du 25 juin 2021, le juge des référés a ordonné sa réintégration sous astreinte, tout en refusant de trancher la question de l’existence et de la nature du bail entre les parties. Par jugement du 8 février 2023, le juge des contentieux de la protection a retenu l’existence d’un bail verbal meublé soumis à la loi du 6 juillet 1989, fixé son point de départ au 11 novembre 2020, constaté l’éviction par voie de fait du locataire et condamné la bailleresse à lui verser diverses sommes en réparation de ses préjudices. Le locataire a interjeté appel aux fins notamment de voir fixer le point de départ du bail au 12 janvier 2021 et d’obtenir sa réintégration dans les lieux ainsi que des indemnités majorées.

Le locataire soutenait qu’un accord consensuel des parties en décembre 2020 avait opéré novation, transformant une location saisonnière en bail d’habitation principale prenant effet le 12 janvier 2021 pour un loyer de 800 euros. Il demandait sa réintégration sous astreinte, la liquidation de l’astreinte ordonnée en référé et une indemnisation de 40 000 euros au titre de la privation de jouissance. La bailleresse contestait cette analyse et demandait reconventionnellement la réduction des indemnités allouées en première instance ainsi que des dommages-intérêts pour préjudice moral.

La question centrale était de déterminer si un bail verbal meublé à usage d’habitation principale s’était formé dès le 11 novembre 2020 ou seulement à compter du 12 janvier 2021, et si ce bail s’était tacitement reconduit au-delà de son terme d’un an.

La Cour d’appel de Paris confirme le jugement entrepris sur l’essentiel. Elle retient que le bail verbal a pris effet le 11 novembre 2020, en l’absence de formalisation d’un contrat de location saisonnière et de déclaration préalable de meublé de tourisme. Elle juge qu’aucune novation claire n’est établie et que le bail d’une durée d’un an n’a pas été tacitement reconduit, faute d’accord des parties. La demande de réintégration est donc rejetée. La cour confirme les indemnisations accordées au titre de la privation de jouissance, des frais de relogement et du préjudice moral, tout en infirmant partiellement le jugement pour condamner la bailleresse à restituer 50 euros de loyer trop-perçu.

L’arrêt présente un intérêt certain en ce qu’il illustre les conséquences de l’absence de formalisation d’un bail saisonnier sur la qualification du contrat de location. Il convient d’examiner la requalification du contrat de location et ses conditions (I), avant d’analyser les effets de cette requalification sur les droits du locataire évincé (II).

I. La requalification du contrat de location en bail meublé d’habitation principale

La cour se prononce sur la qualification du contrat en l’absence d’écrit (A), puis sur l’impossibilité d’établir une novation ou une reconduction tacite (B).

A. La qualification du contrat en l’absence d’écrit : l’application du régime protecteur du bail meublé

La loi du 6 juillet 1989 soumet le bail de location saisonnière à un formalisme particulier. L’article 25-3 de cette loi prévoit que le contrat de location meublée constituant la résidence principale du locataire est établi par écrit. En l’absence d’écrit, la jurisprudence considère traditionnellement que le bail verbal existe mais se trouve soumis au régime le plus protecteur pour le locataire.

La Cour d’appel de Paris relève en l’espèce que la bailleresse « n’a pas formalisé de contrat de location saisonnière, ni effectué de déclaration préalable d’un meublé de tourisme auprès de la mairie ». Elle en déduit que « le bail saisonnier, qui doit être établi par écrit, n’est pas établi et qu’il convient donc de considérer que c’est un bail verbal meublé, régi par les articles 25-3 et suivants de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, qui a en réalité été conclu par les parties ».

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante sanctionnant le défaut de formalisme en matière de baux dérogatoires. Le propriétaire qui souhaite échapper au statut protecteur des baux d’habitation doit respecter les conditions légales applicables au régime qu’il entend invoquer. À défaut, le contrat est requalifié en bail de droit commun, soumis à la durée minimale d’un an prévue par l’article 25-8 de la loi de 1989. La cour fait ainsi primer la réalité de l’occupation sur les intentions non formalisées des parties.

B. Le rejet de la novation et de la reconduction tacite

Le locataire soutenait qu’une novation était intervenue en décembre 2020, transformant la location initiale en bail d’habitation principale à compter du 12 janvier 2021. L’article 1329 du code civil définit la novation comme la substitution d’une obligation nouvelle à une obligation ancienne qui s’éteint. Elle suppose, selon l’article 1330, une intention de nover clairement établie ou résultant de l’incompatibilité entre les deux obligations.

La cour rejette cette argumentation au motif qu’il « ne résulte pas des nombreux échanges entre les parties une novation claire entre les parties à compter du 3 décembre 2020, susceptible de constituer un accord pour un bail long ». Les discussions épistolaires ne suffisent pas à caractériser l’animus novandi requis par le droit des obligations. Le maintien du point de départ au 11 novembre 2020 permet d’ailleurs de déterminer la date d’expiration du bail d’un an.

La question de la reconduction tacite prévue par l’article 25-8 de la loi de 1989 est également tranchée négativement. La cour observe que le locataire a récupéré ses affaires le 2 août 2021, que les parties étaient « en complet désaccord sur les termes de la conclusion d’un bail écrit » et qu’aucun protocole d’accord n’a abouti. Elle en conclut qu’« aucun élément ne permet de considérer que le contrat de bail verbal se serait tacitement reconduit au delà de son terme, en novembre 2021 ». Cette analyse conduit au rejet de la demande de réintégration formée par le locataire.

II. Les conséquences indemnitaires de l’éviction illégale du locataire

La cour examine les préjudices réparables résultant de la voie de fait commise par la bailleresse (A), tout en rejetant les demandes excessives ou injustifiées (B).

A. L’indemnisation des préjudices directement causés par l’éviction brutale

L’éviction du locataire par changement de serrures constitue une voie de fait. Cette atteinte aux droits du locataire, qui ne peut être expulsé que par une décision de justice régulièrement exécutée, ouvre droit à réparation sur le fondement de l’article 1240 du code civil.

La cour confirme l’allocation de la somme de 8 550 euros au titre de la privation de jouissance. Elle rappelle le principe de réparation intégrale selon lequel « les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit ». Le locataire demandait 40 000 euros correspondant à 50 mois de privation, mais la cour limite l’indemnisation à la durée réelle du bail, celui-ci n’ayant pas été reconduit au-delà de novembre 2021.

Le préjudice moral est indemnisé à hauteur de 500 euros. La cour caractérise ce préjudice par « la brutalité de l’éviction de son domicile » et « le souci et l’anxiété générés par ces faits ». Elle rectifie par ailleurs une erreur matérielle du jugement qui mentionnait un préjudice matériel au lieu du préjudice moral. Cette rectification, fondée sur l’article 462 du code de procédure civile, illustre le pouvoir de la cour de corriger les erreurs purement formelles n’affectant pas la substance de la décision.

B. Le rejet des demandes excessives ou dépourvues de lien causal

La cour fait application rigoureuse des conditions de la responsabilité civile. Le préjudice doit être « personnel, direct et certain » pour ouvrir droit à réparation. Elle rejette plusieurs chefs de demande du locataire pour défaut de preuve ou absence de lien de causalité.

Concernant les frais de relogement, la demande de 4 284,30 euros est réduite à 900 euros. La cour observe que « la demande de remboursement de nuits d’hôtels, notamment des trois étoiles, sur la Côte d’Azur, pendant plus de deux mois, est excessive et sans lien de causalité direct et certain avec le préjudice invoqué ». Seuls les frais strictement nécessités par l’éviction peuvent être indemnisés.

La demande de liquidation de l’astreinte de 3 600 euros est également rejetée. La cour relève que dès le 13 juillet 2021, la bailleresse a proposé la réintégration et la restitution des affaires, mais que le locataire a refusé le protocole proposé et reporté le rendez-vous fixé. Son « attitude avait retardé la restitution des lieux ainsi que celle de ses affaires personnelles ». L’article L. 131-4 du code des procédures civiles d’exécution permet en effet de supprimer l’astreinte lorsque l’inexécution provient d’une cause étrangère ou du comportement du créancier lui-même.

Enfin, la cour rappelle qu’une condamnation à l’euro symbolique est contraire au principe de réparation intégrale. Elle cite une jurisprudence constante selon laquelle « la réparation du préjudice ne peut être symbolique, le préjudice devant être réparé dans son intégralité ». La demande subsidiaire de la bailleresse tendant à réduire l’indemnisation du préjudice moral à un euro est donc écartée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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