Cour d’appel de Nîmes, le 4 septembre 2025, n°22/04124
Par un arrêt du 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Nîmes a statué sur le recouvrement de charges de copropriété impayées dans le contexte particulier d’une copropriété placée sous administration judiciaire. Cette décision illustre les difficultés contentieuses liées à la preuve des créances de charges et à l’articulation des règles de prescription issues de réformes législatives successives.
Une société civile immobilière était propriétaire de deux lots dans un immeuble en copropriété. Le syndicat des copropriétaires, représenté par un administrateur provisoire judiciairement désigné, a mis en demeure cette société de régler la somme de 5 950,06 euros au titre de charges impayées arrêtées au 1er juillet 2022, correspondant à un arriéré remontant à l’année 2012. En l’absence de paiement, le syndicat a assigné la société devant le tribunal judiciaire.
Par jugement du 29 novembre 2022, le juge des contentieux de la protection a condamné la société débitrice au paiement de la somme réduite de 2 547,48 euros, retenant uniquement les charges des années 2019 à 2022. Le tribunal a estimé que le syndicat ne justifiait pas de sa créance pour les années antérieures, faute de production des procès-verbaux d’assemblée générale prévoyant les budgets prévisionnels correspondants. Le tribunal a rejeté la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive.
Le syndicat des copropriétaires a interjeté appel. La société intimée a soulevé la prescription quinquennale pour les demandes antérieures au 6 septembre 2017 et contesté la preuve de la créance réclamée.
La question posée à la cour était double : d’une part, quel délai de prescription s’applique au recouvrement des charges de copropriété échues avant l’entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, et d’autre part, l’administrateur provisoire d’une copropriété peut-il valablement justifier des charges dues en l’absence de procès-verbaux d’assemblée générale.
La Cour d’appel de Nîmes infirme partiellement le jugement. Elle juge que les charges antérieures à l’entrée en vigueur de la loi de 2018 restent soumises au délai décennal, permettant leur recouvrement sur dix années. Elle retient que les décisions d’approbation des comptes par l’administrateur provisoire sont « définitives et exécutoires de plein droit » et suffisent à justifier la créance. Elle condamne la société au paiement de l’intégralité des charges réclamées, soit 5 950,06 euros. Elle confirme le rejet de la demande de dommages-intérêts.
La décision présente un intérêt majeur quant à l’application dans le temps de la réforme de la prescription en droit de la copropriété (I) et quant aux pouvoirs de l’administrateur provisoire en matière de justification des créances de charges (II).
I. L’articulation des règles de prescription en matière de charges de copropriété
La cour procède à une analyse rigoureuse du droit transitoire applicable à la prescription des actions en recouvrement de charges (A), avant d’en tirer les conséquences pratiques pour la détermination de la période de recouvrement (B).
A. Le maintien du délai décennal pour les créances nées avant la loi du 23 novembre 2018
La société débitrice invoquait l’application de la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil, soutenant que l’assignation délivrée le 6 septembre 2022 ne permettait de réclamer que les charges échues depuis le 6 septembre 2017.
La cour rappelle que « le droit de la copropriété, tel qu’il résulte de la loi du 10 juillet 1965, n’a pas été concerné par la réforme » opérée par la loi du 17 juin 2008 ayant réduit le délai de droit commun à cinq ans. Elle précise qu’« il a été nécessaire d’attendre la loi portant Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique, entrée en vigueur le 25 novembre 2018, pour que le délai de dix ans soit réduit en matière de droit de la copropriété ».
Cette analyse historique révèle une particularité du droit de la copropriété qui a longtemps conservé un délai de prescription plus favorable aux syndicats de copropriétaires. Le législateur de 2018 a finalement aligné ce délai sur le droit commun par l’article 42 modifié de la loi du 10 juillet 1965.
B. L’application du droit transitoire de l’article 2222 du Code civil
La cour fait application de l’article 2222 alinéa 2 du Code civil qui dispose qu’« en cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ».
Elle en déduit que « s’agissant du recouvrement des charges impayées antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, la période pendant laquelle il est possible de les recouvrer reste établie à 10 ans, sous réserve d’avoir introduit l’action en recouvrement dans le délai de principe de 5 ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi ».
Le syndicat ayant assigné en septembre 2022, soit moins de cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, pouvait valablement réclamer les charges sur une période de dix ans. Cette solution préserve les droits des créanciers qui avaient légitimement pu compter sur le délai décennal pour organiser leur recouvrement.
II. La force probante des décisions de l’administrateur provisoire
La cour reconnaît aux décisions de l’administrateur provisoire une valeur probante autonome (A), ce qui emporte des conséquences significatives sur la charge de la preuve en matière de recouvrement de charges (B).
A. Le caractère définitif et exécutoire des approbations de comptes par l’administrateur provisoire
La société débitrice soutenait que le syndicat ne rapportait pas la preuve de sa créance, faute de production des procès-verbaux d’assemblée générale approuvant les budgets prévisionnels. Elle invoquait le principe selon lequel l’approbation des comptes de la copropriété n’emporte pas approbation des comptes individuels des copropriétaires.
La cour écarte cette argumentation en se fondant sur l’article 29-1 de la loi du 10 juillet 1965 qui confère à l’administrateur provisoire « tous les pouvoirs du syndic dont le mandat cesse de plein droit sans indemnité et tout ou partie des pouvoirs de l’assemblée générale des copropriétaires ».
Elle cite un arrêt de la Cour de cassation du 13 avril 2022 selon lequel « les décisions de l’administrateur provisoire approuvant les comptes et les budgets prévisionnels étaient définitives et exécutoires de plein droit ». Cette jurisprudence confère aux décisions de l’administrateur provisoire une autorité équivalente à celle des délibérations d’assemblée générale.
B. L’admission d’un mode de preuve adapté aux copropriétés en difficulté
La cour constate que l’appelant verse aux débats « les procès-verbaux d’approbation des comptes pour les années 2012 à 2022, l’intégralité des appels de fonds ainsi que le règlement de copropriété ». Elle relève également la production de « la comptabilité de la copropriété, reconstituée par l’expert-comptable désigné par le tribunal ».
Elle en conclut que « la créance sollicitée à hauteur de 5 950,06 euros au titre des charges impayées arrêtées à la date du 01/07/2022 est parfaitement justifiée, en ce compris les frais de procédure de l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 ».
Cette solution pragmatique tient compte des difficultés inhérentes aux copropriétés placées sous administration judiciaire. L’exigence de procès-verbaux d’assemblée générale régulière serait en effet contradictoire avec la situation même qui a justifié la désignation d’un administrateur provisoire. La cour admet ainsi un système probatoire adapté, reposant sur les décisions de l’administrateur et sur une comptabilité expertisée, tout en maintenant une exigence de vérification complète des sommes réclamées année par année.
Par un arrêt du 4 septembre 2025, la Cour d’appel de Nîmes a statué sur le recouvrement de charges de copropriété impayées dans le contexte particulier d’une copropriété placée sous administration judiciaire. Cette décision illustre les difficultés contentieuses liées à la preuve des créances de charges et à l’articulation des règles de prescription issues de réformes législatives successives.
Une société civile immobilière était propriétaire de deux lots dans un immeuble en copropriété. Le syndicat des copropriétaires, représenté par un administrateur provisoire judiciairement désigné, a mis en demeure cette société de régler la somme de 5 950,06 euros au titre de charges impayées arrêtées au 1er juillet 2022, correspondant à un arriéré remontant à l’année 2012. En l’absence de paiement, le syndicat a assigné la société devant le tribunal judiciaire.
Par jugement du 29 novembre 2022, le juge des contentieux de la protection a condamné la société débitrice au paiement de la somme réduite de 2 547,48 euros, retenant uniquement les charges des années 2019 à 2022. Le tribunal a estimé que le syndicat ne justifiait pas de sa créance pour les années antérieures, faute de production des procès-verbaux d’assemblée générale prévoyant les budgets prévisionnels correspondants. Le tribunal a rejeté la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive.
Le syndicat des copropriétaires a interjeté appel. La société intimée a soulevé la prescription quinquennale pour les demandes antérieures au 6 septembre 2017 et contesté la preuve de la créance réclamée.
La question posée à la cour était double : d’une part, quel délai de prescription s’applique au recouvrement des charges de copropriété échues avant l’entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, et d’autre part, l’administrateur provisoire d’une copropriété peut-il valablement justifier des charges dues en l’absence de procès-verbaux d’assemblée générale.
La Cour d’appel de Nîmes infirme partiellement le jugement. Elle juge que les charges antérieures à l’entrée en vigueur de la loi de 2018 restent soumises au délai décennal, permettant leur recouvrement sur dix années. Elle retient que les décisions d’approbation des comptes par l’administrateur provisoire sont « définitives et exécutoires de plein droit » et suffisent à justifier la créance. Elle condamne la société au paiement de l’intégralité des charges réclamées, soit 5 950,06 euros. Elle confirme le rejet de la demande de dommages-intérêts.
La décision présente un intérêt majeur quant à l’application dans le temps de la réforme de la prescription en droit de la copropriété (I) et quant aux pouvoirs de l’administrateur provisoire en matière de justification des créances de charges (II).
I. L’articulation des règles de prescription en matière de charges de copropriété
La cour procède à une analyse rigoureuse du droit transitoire applicable à la prescription des actions en recouvrement de charges (A), avant d’en tirer les conséquences pratiques pour la détermination de la période de recouvrement (B).
A. Le maintien du délai décennal pour les créances nées avant la loi du 23 novembre 2018
La société débitrice invoquait l’application de la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil, soutenant que l’assignation délivrée le 6 septembre 2022 ne permettait de réclamer que les charges échues depuis le 6 septembre 2017.
La cour rappelle que « le droit de la copropriété, tel qu’il résulte de la loi du 10 juillet 1965, n’a pas été concerné par la réforme » opérée par la loi du 17 juin 2008 ayant réduit le délai de droit commun à cinq ans. Elle précise qu’« il a été nécessaire d’attendre la loi portant Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique, entrée en vigueur le 25 novembre 2018, pour que le délai de dix ans soit réduit en matière de droit de la copropriété ».
Cette analyse historique révèle une particularité du droit de la copropriété qui a longtemps conservé un délai de prescription plus favorable aux syndicats de copropriétaires. Le législateur de 2018 a finalement aligné ce délai sur le droit commun par l’article 42 modifié de la loi du 10 juillet 1965.
B. L’application du droit transitoire de l’article 2222 du Code civil
La cour fait application de l’article 2222 alinéa 2 du Code civil qui dispose qu’« en cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ».
Elle en déduit que « s’agissant du recouvrement des charges impayées antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, la période pendant laquelle il est possible de les recouvrer reste établie à 10 ans, sous réserve d’avoir introduit l’action en recouvrement dans le délai de principe de 5 ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi ».
Le syndicat ayant assigné en septembre 2022, soit moins de cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018, pouvait valablement réclamer les charges sur une période de dix ans. Cette solution préserve les droits des créanciers qui avaient légitimement pu compter sur le délai décennal pour organiser leur recouvrement.
II. La force probante des décisions de l’administrateur provisoire
La cour reconnaît aux décisions de l’administrateur provisoire une valeur probante autonome (A), ce qui emporte des conséquences significatives sur la charge de la preuve en matière de recouvrement de charges (B).
A. Le caractère définitif et exécutoire des approbations de comptes par l’administrateur provisoire
La société débitrice soutenait que le syndicat ne rapportait pas la preuve de sa créance, faute de production des procès-verbaux d’assemblée générale approuvant les budgets prévisionnels. Elle invoquait le principe selon lequel l’approbation des comptes de la copropriété n’emporte pas approbation des comptes individuels des copropriétaires.
La cour écarte cette argumentation en se fondant sur l’article 29-1 de la loi du 10 juillet 1965 qui confère à l’administrateur provisoire « tous les pouvoirs du syndic dont le mandat cesse de plein droit sans indemnité et tout ou partie des pouvoirs de l’assemblée générale des copropriétaires ».
Elle cite un arrêt de la Cour de cassation du 13 avril 2022 selon lequel « les décisions de l’administrateur provisoire approuvant les comptes et les budgets prévisionnels étaient définitives et exécutoires de plein droit ». Cette jurisprudence confère aux décisions de l’administrateur provisoire une autorité équivalente à celle des délibérations d’assemblée générale.
B. L’admission d’un mode de preuve adapté aux copropriétés en difficulté
La cour constate que l’appelant verse aux débats « les procès-verbaux d’approbation des comptes pour les années 2012 à 2022, l’intégralité des appels de fonds ainsi que le règlement de copropriété ». Elle relève également la production de « la comptabilité de la copropriété, reconstituée par l’expert-comptable désigné par le tribunal ».
Elle en conclut que « la créance sollicitée à hauteur de 5 950,06 euros au titre des charges impayées arrêtées à la date du 01/07/2022 est parfaitement justifiée, en ce compris les frais de procédure de l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 ».
Cette solution pragmatique tient compte des difficultés inhérentes aux copropriétés placées sous administration judiciaire. L’exigence de procès-verbaux d’assemblée générale régulière serait en effet contradictoire avec la situation même qui a justifié la désignation d’un administrateur provisoire. La cour admet ainsi un système probatoire adapté, reposant sur les décisions de l’administrateur et sur une comptabilité expertisée, tout en maintenant une exigence de vérification complète des sommes réclamées année par année.