Cour d’appel de Nancy, le 13 août 2025, n°24/01546
La reconnaissance et l’exécution des décisions de justice au sein de l’Union européenne reposent sur un équilibre délicat entre la libre circulation des jugements et le respect des droits fondamentaux de la défense. L’arrêt rendu le 13 août 2025 par la Cour d’appel de Nancy, cinquième chambre commerciale, illustre cette tension avec une particulière acuité.
Les faits à l’origine du litige sont les suivants. Par acte sous seing privé du 18 février 2014, une société luxembourgeoise a donné à bail commercial un pavillon situé au Luxembourg à une personne physique domiciliée en France, à Thionville. Le loyer mensuel était fixé à 2 357,50 euros. La locataire ayant cessé de payer ses loyers, la société bailleresse a saisi le tribunal de paix d’Esch-sur-Alzette par requête du 10 juin 2014. La convocation à l’audience a été adressée à la défenderesse à l’adresse des locaux commerciaux loués, et non à son domicile français mentionné au contrat de bail. Par jugement rendu par défaut le 10 juillet 2014, le tribunal luxembourgeois a condamné la locataire au paiement de la somme de 10 952,25 euros outre une indemnité de relocation de 6 225,75 euros. Ce jugement a été signifié à la même adresse erronée. Dix ans plus tard, le 21 juin 2024, la société créancière a sollicité du tribunal judiciaire de Val-de-Briey la constatation de la force exécutoire de cette décision en France. La directrice des services de greffe a fait droit à cette demande le même jour. La débitrice a formé un recours contre cette déclaration le 26 juillet 2024.
Devant la Cour d’appel de Nancy, la locataire soutenait que la décision luxembourgeoise ne pouvait recevoir force exécutoire en France dès lors que l’acte introductif d’instance ne lui avait jamais été régulièrement notifié. Elle produisait des attestations de scolarité établissant qu’elle résidait en France au cours de l’année 2013, à l’adresse mentionnée au bail. La société bailleresse demandait la confirmation de la déclaration constatant la force exécutoire.
La question posée à la Cour d’appel de Nancy était la suivante : une décision rendue par défaut dans un État membre peut-elle recevoir force exécutoire dans un autre État membre lorsque le défendeur défaillant n’a pas été touché par l’acte introductif d’instance en raison d’une erreur d’adresse imputable au demandeur, et n’a pas davantage été en mesure de former un recours contre cette décision pour le même motif ?
La Cour d’appel de Nancy rétracte la déclaration constatant la force exécutoire du jugement luxembourgeois. Elle retient que « la société Munhowen ne justifie pas que la signification ou de la notification de son acte introductif d’instance devant le tribunal de paix de Esch-sur-Alzette à Mme [K] [G] [R], défaillante, en temps utile et de telle manière qu’elle puisse se défendre ». La Cour relève également que la débitrice « n’a pas été en mesure de former opposition dans le délai de quinze jours qui lui était imparti ».
Cette décision mérite attention en ce qu’elle précise les conditions d’application du motif de non-reconnaissance tiré de l’atteinte aux droits de la défense (I), tout en mettant en lumière l’articulation entre les règles procédurales nationales et le droit européen de la reconnaissance (II).
I. La protection du défendeur défaillant contre les vices de notification
La Cour d’appel de Nancy fait une application rigoureuse de l’article 34, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I (A), en vérifiant scrupuleusement l’effectivité de la notification de l’acte introductif d’instance (B).
A. Le fondement textuel du refus de reconnaissance
L’article 34 du règlement CE n° 44/2001, dit règlement Bruxelles I, énumère limitativement les motifs pour lesquels une décision rendue dans un État membre peut ne pas être reconnue dans un autre État membre. Le paragraphe 2 de cet article dispose qu’une décision n’est pas reconnue si « l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre ». Ce texte ajoute toutefois une réserve : cette cause de non-reconnaissance est écartée si le défendeur « n’a pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire ».
La Cour d’appel de Nancy applique ce texte avec méthode. Elle examine d’abord si la notification de l’acte introductif d’instance a été régulière. Elle constate que « la défenderesse n’ayant jamais élue domicile ou déclarée sa résidence au [Adresse 1] à [Localité 4], elle devait par conséquent être citée à l’audience du 3 juillet 2014, par acte d’huissier de justice, à sa dernière adresse ». La Cour relève que cette adresse figurait au bail et était donc connue de la société bailleresse. Elle en déduit que la convocation adressée à l’adresse des locaux commerciaux ne pouvait valoir notification régulière.
Cette analyse s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne. Celle-ci a toujours interprété strictement les garanties procédurales prévues par le règlement Bruxelles I. Le respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit de l’Union. La Cour de Luxembourg a jugé à plusieurs reprises que la régularité de la notification doit s’apprécier au regard de l’effectivité de l’information du défendeur, et non au regard du seul respect formel des règles procédurales nationales.
B. L’appréciation concrète de l’effectivité de la notification
La Cour d’appel de Nancy ne se contente pas de constater l’irrégularité formelle de la notification. Elle vérifie si le défendeur a été effectivement privé de la possibilité de se défendre. Cette appréciation in concreto est conforme à l’esprit du règlement Bruxelles I, qui vise à assurer une protection effective des droits de la défense tout en favorisant la libre circulation des décisions.
En l’espèce, la débitrice produit des attestations de scolarité établissant qu’elle résidait à l’adresse française mentionnée au bail. La Cour relève que « Mme [K] [G] [R] justifie qu’elle a résidé, au cours de l’année 2013, au [Adresse 2] à [Localité 7], et non au [Adresse 1] à [Localité 4] au Grand-Duché du Luxembourg ». Elle ajoute que « le bail conclu entre les parties précise bien qu’elle est domiciliée [Adresse 2] à [Localité 7], alors que l’adresse [Adresse 1] à [Localité 4] est celle des lieux donnés à bail, s’agissant en l’occurrence de locaux à usage commercial et non d’habitation ».
La société créancière objectait que la débitrice était inconnue des fichiers de la mairie de Thionville à la date de l’introduction de la requête. La Cour écarte cet argument. Elle rappelle que le droit luxembourgeois prévoit, en l’absence de domicile ou de résidence connus, une notification par huissier de justice assortie d’un procès-verbal relatant les diligences accomplies pour rechercher le destinataire. Elle souligne que « l’article 89 du nouveau code de procédure civile luxembourgeois rappelle à cet effet que le jugement par défaut rendu contre une partie demeurant à l’étranger doit constater expressément les diligences faites en vue de donner connaissance de l’acte introductif d’instance au défendeur ». Ces diligences n’ont pas été accomplies.
II. L’articulation entre le recours national et le refus de reconnaissance européen
La réserve prévue par l’article 34, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I impose au défendeur défaillant d’avoir exercé les voies de recours disponibles avant de pouvoir invoquer l’irrégularité de la notification (A). La Cour d’appel de Nancy démontre que cette condition était impossible à remplir en l’espèce (B).
A. La condition tenant à l’impossibilité d’exercer un recours
L’article 34, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I ne permet au défendeur défaillant d’invoquer l’irrégularité de la notification que s’il n’a « pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire ». Cette disposition vise à éviter que le défendeur négligent puisse tirer profit de sa propre inertie. Le défendeur qui, informé de la décision rendue contre lui, s’abstient délibérément de former un recours ne saurait ensuite invoquer l’irrégularité de la procédure devant le juge de l’exequatur.
La Cour d’appel de Nancy applique cette règle avec rigueur. Elle examine les conditions d’exercice de l’opposition en droit luxembourgeois. L’article 90 du nouveau code de procédure civile luxembourgeois prévoit que « l’opposition tend à faire rétracter un jugement rendu par défaut. Elle n’est ouverte qu’au défaillant. Le délai pour former opposition est de 15 jours à partir de la signification respectivement de la notification ». Le jugement du 10 juillet 2014 était donc susceptible d’opposition dans un délai de quinze jours à compter de sa signification.
Or cette signification a été effectuée le 6 août 2014, à la même adresse erronée que la convocation initiale. La Cour constate que « du fait de l’erreur d’adresse commise dans l’acte introductif d’instance et reproduite dans l’acte de signification susvisé, Mme [K] [G] [R] qui n’a pas été touché par ce dernier a été privée de la possibilité de former opposition contre le jugement ».
B. La cohérence du raisonnement juridique
Le raisonnement de la Cour d’appel de Nancy présente une cohérence remarquable. L’erreur d’adresse commise lors de l’introduction de l’instance a produit des effets en cascade. Elle a d’abord privé la défenderesse de la possibilité de comparaître à l’audience. Elle a ensuite été reproduite dans l’acte de signification du jugement, privant la défenderesse de la possibilité de former opposition. Elle a enfin été reproduite dans la procédure de constatation de la force exécutoire, dix ans plus tard.
Cette analyse met en lumière l’importance de la diligence du demandeur dans l’identification du domicile du défendeur. La société créancière disposait de l’adresse exacte de la débitrice, puisque celle-ci figurait au contrat de bail. Elle a néanmoins choisi d’adresser la convocation à l’adresse des locaux commerciaux. Cette négligence, ou ce choix délibéré, ne saurait être opposée à la défenderesse pour lui refuser le bénéfice de la protection prévue par l’article 34, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I.
La décision de la Cour d’appel de Nancy s’inscrit dans une conception exigeante des droits de la défense. Elle rappelle que la libre circulation des décisions de justice au sein de l’Union européenne ne peut s’effectuer au détriment des garanties procédurales fondamentales. Le créancier qui entend se prévaloir d’une décision obtenue par défaut dans un autre État membre doit établir qu’il a accompli les diligences nécessaires pour informer le débiteur de la procédure. À défaut, la décision demeure inexécutable, fût-elle revêtue de l’autorité de la chose jugée dans l’État d’origine.
La reconnaissance et l’exécution des décisions de justice au sein de l’Union européenne reposent sur un équilibre délicat entre la libre circulation des jugements et le respect des droits fondamentaux de la défense. L’arrêt rendu le 13 août 2025 par la Cour d’appel de Nancy, cinquième chambre commerciale, illustre cette tension avec une particulière acuité.
Les faits à l’origine du litige sont les suivants. Par acte sous seing privé du 18 février 2014, une société luxembourgeoise a donné à bail commercial un pavillon situé au Luxembourg à une personne physique domiciliée en France, à Thionville. Le loyer mensuel était fixé à 2 357,50 euros. La locataire ayant cessé de payer ses loyers, la société bailleresse a saisi le tribunal de paix d’Esch-sur-Alzette par requête du 10 juin 2014. La convocation à l’audience a été adressée à la défenderesse à l’adresse des locaux commerciaux loués, et non à son domicile français mentionné au contrat de bail. Par jugement rendu par défaut le 10 juillet 2014, le tribunal luxembourgeois a condamné la locataire au paiement de la somme de 10 952,25 euros outre une indemnité de relocation de 6 225,75 euros. Ce jugement a été signifié à la même adresse erronée. Dix ans plus tard, le 21 juin 2024, la société créancière a sollicité du tribunal judiciaire de Val-de-Briey la constatation de la force exécutoire de cette décision en France. La directrice des services de greffe a fait droit à cette demande le même jour. La débitrice a formé un recours contre cette déclaration le 26 juillet 2024.
Devant la Cour d’appel de Nancy, la locataire soutenait que la décision luxembourgeoise ne pouvait recevoir force exécutoire en France dès lors que l’acte introductif d’instance ne lui avait jamais été régulièrement notifié. Elle produisait des attestations de scolarité établissant qu’elle résidait en France au cours de l’année 2013, à l’adresse mentionnée au bail. La société bailleresse demandait la confirmation de la déclaration constatant la force exécutoire.
La question posée à la Cour d’appel de Nancy était la suivante : une décision rendue par défaut dans un État membre peut-elle recevoir force exécutoire dans un autre État membre lorsque le défendeur défaillant n’a pas été touché par l’acte introductif d’instance en raison d’une erreur d’adresse imputable au demandeur, et n’a pas davantage été en mesure de former un recours contre cette décision pour le même motif ?
La Cour d’appel de Nancy rétracte la déclaration constatant la force exécutoire du jugement luxembourgeois. Elle retient que « la société Munhowen ne justifie pas que la signification ou de la notification de son acte introductif d’instance devant le tribunal de paix de Esch-sur-Alzette à Mme [K] [G] [R], défaillante, en temps utile et de telle manière qu’elle puisse se défendre ». La Cour relève également que la débitrice « n’a pas été en mesure de former opposition dans le délai de quinze jours qui lui était imparti ».
Cette décision mérite attention en ce qu’elle précise les conditions d’application du motif de non-reconnaissance tiré de l’atteinte aux droits de la défense (I), tout en mettant en lumière l’articulation entre les règles procédurales nationales et le droit européen de la reconnaissance (II).
I. La protection du défendeur défaillant contre les vices de notification
La Cour d’appel de Nancy fait une application rigoureuse de l’article 34, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I (A), en vérifiant scrupuleusement l’effectivité de la notification de l’acte introductif d’instance (B).
A. Le fondement textuel du refus de reconnaissance
L’article 34 du règlement CE n° 44/2001, dit règlement Bruxelles I, énumère limitativement les motifs pour lesquels une décision rendue dans un État membre peut ne pas être reconnue dans un autre État membre. Le paragraphe 2 de cet article dispose qu’une décision n’est pas reconnue si « l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse se défendre ». Ce texte ajoute toutefois une réserve : cette cause de non-reconnaissance est écartée si le défendeur « n’a pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire ».
La Cour d’appel de Nancy applique ce texte avec méthode. Elle examine d’abord si la notification de l’acte introductif d’instance a été régulière. Elle constate que « la défenderesse n’ayant jamais élue domicile ou déclarée sa résidence au [Adresse 1] à [Localité 4], elle devait par conséquent être citée à l’audience du 3 juillet 2014, par acte d’huissier de justice, à sa dernière adresse ». La Cour relève que cette adresse figurait au bail et était donc connue de la société bailleresse. Elle en déduit que la convocation adressée à l’adresse des locaux commerciaux ne pouvait valoir notification régulière.
Cette analyse s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne. Celle-ci a toujours interprété strictement les garanties procédurales prévues par le règlement Bruxelles I. Le respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit de l’Union. La Cour de Luxembourg a jugé à plusieurs reprises que la régularité de la notification doit s’apprécier au regard de l’effectivité de l’information du défendeur, et non au regard du seul respect formel des règles procédurales nationales.
B. L’appréciation concrète de l’effectivité de la notification
La Cour d’appel de Nancy ne se contente pas de constater l’irrégularité formelle de la notification. Elle vérifie si le défendeur a été effectivement privé de la possibilité de se défendre. Cette appréciation in concreto est conforme à l’esprit du règlement Bruxelles I, qui vise à assurer une protection effective des droits de la défense tout en favorisant la libre circulation des décisions.
En l’espèce, la débitrice produit des attestations de scolarité établissant qu’elle résidait à l’adresse française mentionnée au bail. La Cour relève que « Mme [K] [G] [R] justifie qu’elle a résidé, au cours de l’année 2013, au [Adresse 2] à [Localité 7], et non au [Adresse 1] à [Localité 4] au Grand-Duché du Luxembourg ». Elle ajoute que « le bail conclu entre les parties précise bien qu’elle est domiciliée [Adresse 2] à [Localité 7], alors que l’adresse [Adresse 1] à [Localité 4] est celle des lieux donnés à bail, s’agissant en l’occurrence de locaux à usage commercial et non d’habitation ».
La société créancière objectait que la débitrice était inconnue des fichiers de la mairie de Thionville à la date de l’introduction de la requête. La Cour écarte cet argument. Elle rappelle que le droit luxembourgeois prévoit, en l’absence de domicile ou de résidence connus, une notification par huissier de justice assortie d’un procès-verbal relatant les diligences accomplies pour rechercher le destinataire. Elle souligne que « l’article 89 du nouveau code de procédure civile luxembourgeois rappelle à cet effet que le jugement par défaut rendu contre une partie demeurant à l’étranger doit constater expressément les diligences faites en vue de donner connaissance de l’acte introductif d’instance au défendeur ». Ces diligences n’ont pas été accomplies.
II. L’articulation entre le recours national et le refus de reconnaissance européen
La réserve prévue par l’article 34, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I impose au défendeur défaillant d’avoir exercé les voies de recours disponibles avant de pouvoir invoquer l’irrégularité de la notification (A). La Cour d’appel de Nancy démontre que cette condition était impossible à remplir en l’espèce (B).
A. La condition tenant à l’impossibilité d’exercer un recours
L’article 34, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I ne permet au défendeur défaillant d’invoquer l’irrégularité de la notification que s’il n’a « pas exercé de recours à l’encontre de la décision alors qu’il était en mesure de le faire ». Cette disposition vise à éviter que le défendeur négligent puisse tirer profit de sa propre inertie. Le défendeur qui, informé de la décision rendue contre lui, s’abstient délibérément de former un recours ne saurait ensuite invoquer l’irrégularité de la procédure devant le juge de l’exequatur.
La Cour d’appel de Nancy applique cette règle avec rigueur. Elle examine les conditions d’exercice de l’opposition en droit luxembourgeois. L’article 90 du nouveau code de procédure civile luxembourgeois prévoit que « l’opposition tend à faire rétracter un jugement rendu par défaut. Elle n’est ouverte qu’au défaillant. Le délai pour former opposition est de 15 jours à partir de la signification respectivement de la notification ». Le jugement du 10 juillet 2014 était donc susceptible d’opposition dans un délai de quinze jours à compter de sa signification.
Or cette signification a été effectuée le 6 août 2014, à la même adresse erronée que la convocation initiale. La Cour constate que « du fait de l’erreur d’adresse commise dans l’acte introductif d’instance et reproduite dans l’acte de signification susvisé, Mme [K] [G] [R] qui n’a pas été touché par ce dernier a été privée de la possibilité de former opposition contre le jugement ».
B. La cohérence du raisonnement juridique
Le raisonnement de la Cour d’appel de Nancy présente une cohérence remarquable. L’erreur d’adresse commise lors de l’introduction de l’instance a produit des effets en cascade. Elle a d’abord privé la défenderesse de la possibilité de comparaître à l’audience. Elle a ensuite été reproduite dans l’acte de signification du jugement, privant la défenderesse de la possibilité de former opposition. Elle a enfin été reproduite dans la procédure de constatation de la force exécutoire, dix ans plus tard.
Cette analyse met en lumière l’importance de la diligence du demandeur dans l’identification du domicile du défendeur. La société créancière disposait de l’adresse exacte de la débitrice, puisque celle-ci figurait au contrat de bail. Elle a néanmoins choisi d’adresser la convocation à l’adresse des locaux commerciaux. Cette négligence, ou ce choix délibéré, ne saurait être opposée à la défenderesse pour lui refuser le bénéfice de la protection prévue par l’article 34, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I.
La décision de la Cour d’appel de Nancy s’inscrit dans une conception exigeante des droits de la défense. Elle rappelle que la libre circulation des décisions de justice au sein de l’Union européenne ne peut s’effectuer au détriment des garanties procédurales fondamentales. Le créancier qui entend se prévaloir d’une décision obtenue par défaut dans un autre État membre doit établir qu’il a accompli les diligences nécessaires pour informer le débiteur de la procédure. À défaut, la décision demeure inexécutable, fût-elle revêtue de l’autorité de la chose jugée dans l’État d’origine.