Cour d’appel de Montpellier, le 17 juin 2025, n°23/06135

Par un arrêt réputé contradictoire du 17 juin 2025, la chambre commerciale de la cour d’appel de Montpellier s’est prononcée sur un litige relatif à la cession d’un fonds de commerce d’entreprise de travaux agricoles.

Un acte authentique du 13 juin 2017 avait acté la cession d’un fonds de commerce comprenant des éléments incorporels valorisés à 5 000 euros et du matériel agricole évalué à 130 000 euros. Ce matériel comprenait deux ensileuses et une moissonneuse-batteuse. L’acquéreur avait en outre établi une reconnaissance de dette de 40 000 euros au profit du cédant. En 2019, l’acquéreur a revendu les deux ensileuses à un tiers pour un prix global de 85 200 euros. Le cédant, n’ayant reçu aucun paiement au titre de la reconnaissance de dette, a mis en demeure l’acquéreur en juillet 2020. Ce dernier a alors invoqué un dol et sollicité la restitution du prix du matériel agricole.

Une ordonnance de référé du 1er juin 2021, confirmée par la cour d’appel de Montpellier le 17 mars 2022, a débouté l’acquéreur de sa demande d’expertise judiciaire. Par assignation du 25 avril 2022, l’acquéreur a sollicité devant le tribunal de commerce de Rodez, à titre principal, la résolution du contrat pour manquement à l’obligation de délivrance conforme et, subsidiairement, la nullité pour dol. Le tribunal de commerce, par jugement contradictoire du 21 novembre 2023, l’a débouté de l’ensemble de ses demandes. L’acquéreur a relevé appel le 14 décembre 2023. Durant cette période, le tribunal de commerce avait arrêté un plan de sauvegarde au bénéfice de l’acquéreur le 22 septembre 2023.

Devant la cour, l’appelant soutenait que le matériel acquis ne correspondait pas aux caractéristiques annoncées. Il produisait une facture de réparation mentionnant une puissance moteur non conforme à l’origine pour l’une des ensileuses, ainsi que deux rapports d’expertise concernant la moissonneuse. Il réclamait la résolution du contrat sur le fondement des articles 1604 et 1137 du code civil, la restitution du prix de vente, ainsi que des dommages et intérêts pour le préjudice financier subi. L’intimé contestait toute non-conformité et tout dol, relevant notamment que l’acquéreur avait revendu les ensileuses à un prix supérieur à celui de leur acquisition.

La cour devait déterminer si l’acquéreur rapportait la preuve d’un défaut de délivrance conforme ou d’un dol de nature à justifier la résolution ou la nullité du contrat de cession de fonds de commerce.

La cour d’appel de Montpellier a confirmé le jugement en toutes ses dispositions. Elle a jugé que l’acquéreur était « défaillant à rapporter la preuve de la non-conformité des matériels » et « tout autant […] à démontrer l’existence de manœuvres dolosives ».

La question de la charge de la preuve dans le contentieux de la cession de fonds de commerce mérite examen. La cour exige de l’acquéreur qu’il établisse positivement le défaut de conformité ou le vice du consentement, conformément aux principes généraux du droit de la preuve (I). Cette exigence probatoire se révèle particulièrement rigoureuse lorsque le demandeur a lui-même disposé du bien litigieux avant d’en contester la conformité (II).

I. L’exigence d’une preuve positive du défaut de conformité

La charge probatoire incombant à l’acquéreur insatisfait (A) se heurte en l’espèce à l’insuffisance des éléments produits (B).

A. Le principe de la charge de la preuve en matière de délivrance non conforme

L’article 1604 du code civil impose au vendeur une obligation de délivrance conforme. Cette obligation suppose que la chose livrée corresponde aux stipulations contractuelles. Lorsque l’acquéreur conteste la conformité, il lui appartient d’établir l’écart entre la chose promise et la chose délivrée. La cour rappelle implicitement ce principe en constatant que l’appelant ne produit qu’une « facture de réparation du mois de septembre 2018 » pour fonder ses prétentions relatives aux ensileuses.

Cette facture mentionnait des « travaux non garantis suite puissance moteur non conforme à l’origine ». La cour juge cette pièce isolée « insuffisante à la preuve du défaut de conformité invoqué ». Elle relève en outre qu’« aucun défaut de ce type n’est même invoqué s’agissant de l’autre ensileuse ». L’acquéreur aurait dû produire des éléments techniques établissant avec certitude la non-conformité au jour de la vente. Une simple mention sur une facture de réparation émise seize mois après la cession ne saurait suffire.

B. L’inopérance des rapports d’expertise non probants

S’agissant de la moissonneuse, l’appelant produisait deux rapports d’expertise. Le premier, non contradictoire, datait du 1er septembre 2020. Le second, contradictoire mais amiable, avait été établi le 25 janvier 2021. Ces documents constataient des modifications des pièces d’origine. La cour observe que « l’expert affirme dans les conclusions de son rapport que les modifications sur la moissonneuse ont été effectuées avant l’achat », mais cette « affirmation ne résulte pas de ses constatations propres ».

L’expert s’était borné à retranscrire les déclarations d’une partie sans les corroborer par des éléments objectifs. La cour souligne que l’intimé « conteste être à l’origine de ces non-conformités » et que « les modifications non conformes n’ont été constatées qu’en 2021, soit 4 ans plus tard ». L’antériorité des défauts par rapport à la vente constitue un élément essentiel que l’acquéreur n’a pas établi. Cette lacune probatoire prive ses demandes de tout fondement.

II. L’incidence du comportement post-contractuel sur l’appréciation des prétentions

La revente des biens litigieux à un prix avantageux affaiblit considérablement la thèse de l’acquéreur (A). L’échec de la démonstration du dol procède de la même insuffisance probatoire (B).

A. La contradiction entre la revente profitable et l’allégation de non-conformité

La cour relève un fait déterminant. L’acquéreur « a ensuite revendu en 2019 les deux matériels à la même société CMA […] pour un prix supérieur (85 200 euros) à celui qu’il avait payé […] (78 500 euros) ». Cette circonstance contredit directement l’allégation d’un défaut de conformité substantiel. Un acquéreur véritablement lésé par la non-conformité du bien n’aurait pas pu le céder à un prix excédant celui de son acquisition.

Ce comportement révèle une incohérence dans la stratégie contentieuse de l’appelant. La cour en tire une conséquence probatoire implicite mais nette. L’acquéreur qui réalise une plus-value sur la revente du bien dont il conteste la conformité peine à convaincre de la réalité du préjudice invoqué. Cette appréciation témoigne du pouvoir souverain des juges du fond dans l’évaluation des preuves.

B. L’absence de preuve des manœuvres dolosives

L’appelant invoquait subsidiairement le dol sur le fondement de l’article 1137 du code civil. Le dol suppose la démonstration de manœuvres, mensonges ou dissimulation intentionnelle ayant déterminé le consentement. La cour constate que l’acquéreur est « défaillant […] à démontrer l’existence de manœuvres dolosives […] ayant vicié son consentement ».

L’absence de preuve de la non-conformité entraîne mécaniquement l’échec de la démonstration du dol. Sans établir que le vendeur connaissait les prétendus défauts et les a délibérément dissimulés, l’acquéreur ne peut prospérer sur ce terrain. La cour applique ici une jurisprudence constante qui exige des éléments tangibles et non de simples allégations. Le refus antérieur d’ordonner une expertise judiciaire, confirmé en appel en 2022, avait déjà fragilisé la position de l’acquéreur qui disposait de la charge de la preuve sans les moyens de l’établir contradictoirement.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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