Cour d’appel de Lyon, le 9 septembre 2025, n°23/07885

Un acheteur, ayant acquis en février 2017 un véhicule auprès d’un professionnel exerçant sous le régime de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée, invoquait l’existence d’un vice caché tenant à une fuite d’huile moteur. Après mise en demeure infructueuse, l’acquéreur a assigné l’EIRL devant le tribunal d’instance de Saint-Étienne, lequel s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance. Une expertise judiciaire fut ordonnée par jugement du 7 avril 2021, laquelle a confirmé l’existence du désordre allégué.

Le tribunal judiciaire de Saint-Étienne, par jugement réputé contradictoire du 9 mai 2023, a prononcé la résolution de la vente, condamné l’EIRL au remboursement du prix d’acquisition à hauteur de 4.000 euros et mis à sa charge les dépens ainsi qu’une indemnité de procédure de 2.000 euros.

Le vendeur a interjeté appel de cette décision le 16 octobre 2023. L’acquéreur a formé appel incident, sollicitant le remboursement intégral du prix de 5.990 euros ainsi que diverses indemnités.

Par avis du 4 juillet 2025, la cour d’appel de Lyon a relevé d’office le moyen tiré de l’irrecevabilité des demandes formées contre l’EIRL, structure dépourvue de personnalité juridique.

La question posée à la cour était la suivante : les demandes formées à l’encontre d’une entreprise individuelle à responsabilité limitée, dépourvue de la personnalité morale, sont-elles recevables ?

Par arrêt du 9 septembre 2025, la cour d’appel de Lyon a infirmé le jugement en toutes ses dispositions et déclaré irrecevables les demandes de l’acquéreur, au motif que « une EIRL est dépourvue de la personnalité juridique ». La cour a condamné l’acquéreur aux dépens des deux instances ainsi qu’au paiement d’une indemnité de procédure.

Cette décision illustre les conséquences procédurales de l’absence de personnalité juridique de l’EIRL sur la recevabilité de l’action. Elle invite à s’interroger sur la rigueur de l’exigence d’identification du défendeur. Il convient d’examiner le fondement de l’irrecevabilité tirée du défaut de personnalité juridique (I), puis d’apprécier la portée de cette solution sur la protection du justiciable (II).

I. Le défaut de personnalité juridique de l’EIRL, cause d’irrecevabilité de l’action

L’absence de capacité d’être partie à un procès constitue un obstacle absolu à la recevabilité de l’action (A). La cour en tire les conséquences avec rigueur, en relevant d’office ce moyen (B).

A. L’incapacité d’ester en justice d’une structure sans personnalité morale

La cour d’appel de Lyon fonde sa décision sur l’article 32 du code de procédure civile, aux termes duquel « est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir ». Ce texte subordonne la recevabilité de l’action à l’existence d’une personnalité juridique chez le demandeur comme chez le défendeur.

L’EIRL, instituée par la loi du 15 juin 2010, permettait à l’entrepreneur individuel d’affecter un patrimoine distinct à son activité professionnelle. Cette technique de séparation patrimoniale n’emportait pas création d’une personne morale distincte de l’entrepreneur lui-même. La cour le rappelle sans ambiguïté : « une EIRL est dépourvue de la personnalité juridique ».

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante. L’entrepreneur individuel demeure l’unique titulaire de droits et d’obligations. L’EIRL constitue un simple mode d’exercice de son activité, non une entité autonome susceptible d’être attraite en justice. L’acquéreur aurait dû diriger son action contre l’entrepreneur en son nom personnel, et non contre la dénomination commerciale sous laquelle celui-ci exerçait.

B. Le relevé d’office du moyen d’irrecevabilité par la cour

La cour d’appel a relevé d’office le moyen tiré de l’irrecevabilité des demandes. Cette initiative mérite attention. L’article 125 du code de procédure civile dispose que les fins de non-recevoir doivent être relevées d’office lorsqu’elles ont un caractère d’ordre public.

La capacité d’être partie au procès touche à l’organisation du procès civil. Une action dirigée contre une entité inexistante en droit constitue un détournement des règles procédurales fondamentales. La cour était donc fondée, sinon tenue, de soulever ce moyen.

L’acquéreur a tenté de régulariser sa situation par une note en délibéré, en formant des demandes contre l’entrepreneur personnellement. La cour rejette cette tentative avec fermeté. Les demandes nouvelles formulées postérieurement aux conclusions sont irrecevables pour ne pas être « contenues dans ses conclusions ». La forclusion sanctionne ainsi l’inattention procédurale initiale.

II. Une solution rigoureuse aux effets sévères pour le demandeur

L’irrecevabilité prononcée prive l’acquéreur de tout recours effectif (A). Cette rigueur interroge sur l’équilibre entre formalisme procédural et accès au juge (B).

A. L’anéantissement du droit d’action de l’acquéreur

La décision de la cour d’appel de Lyon emporte des conséquences considérables pour l’acquéreur. Le jugement de première instance, qui avait prononcé la résolution de la vente et condamné le vendeur au remboursement du prix, est intégralement infirmé. L’acquéreur se trouve débouté de l’ensemble de ses prétentions.

La cour condamne l’acquéreur aux dépens des deux instances, « en ce y compris les frais d’expertise ». Elle lui impose en outre le paiement d’une indemnité de procédure de 2.000 euros au profit du vendeur. L’acquéreur, qui avait obtenu gain de cause en première instance, supporte finalement l’intégralité des frais du procès.

Cette issue peut paraître sévère au regard de la situation matérielle. L’expertise judiciaire avait confirmé l’existence du vice affectant le véhicule. Le tribunal avait accueilli l’action en garantie des vices cachés. L’erreur de l’acquéreur portait exclusivement sur l’identification du défendeur, non sur le bien-fondé de sa prétention.

B. La tension entre rigueur formelle et effectivité du droit

La solution retenue par la cour d’appel de Lyon soulève une difficulté. L’acquéreur avait assigné le professionnel sous la dénomination figurant sur les documents commerciaux. L’entrepreneur, partie à l’instance, n’avait pas soulevé ce moyen d’irrecevabilité en première instance ni en appel. Le tribunal judiciaire avait statué au fond sans relever cette difficulté.

La confusion entre l’EIRL et son titulaire est fréquente en pratique. L’entrepreneur exerce sous une dénomination qui laisse croire à l’existence d’une entité distincte. L’absence de personnalité morale n’apparaît pas de manière évidente aux tiers contractants.

La Cour de cassation a parfois admis une certaine souplesse dans l’identification du défendeur, lorsque la confusion ne fait aucun doute. La solution retenue en l’espèce privilégie une approche stricte. L’acquéreur ne pouvait régulariser son action par note en délibéré, cette voie étant procéduralement fermée.

Cette décision rappelle l’importance de vérifier, dès l’introduction de l’instance, la qualité exacte du défendeur. Elle s’inscrit dans une conception formaliste de la procédure civile, où l’erreur sur la personne du défendeur constitue un vice rédhibitoire. Le législateur a depuis lors supprimé le statut de l’EIRL par la loi du 14 février 2022, rendant ce contentieux en voie d’extinction. La solution conserve toutefois sa portée pour les instances en cours concernant des actes passés sous ce régime.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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