Cour d’appel de Limoges, le 18 juillet 2025, n°24/00844
Le droit locatif français impose au bailleur une obligation fondamentale : délivrer un logement décent. Cette exigence, consacrée par la loi du 6 juillet 1989, soulève régulièrement la question des sanctions applicables lorsque le logement présente des désordres. La Cour d’appel de Limoges, dans un arrêt du 18 juillet 2025, apporte une contribution notable à cette problématique en précisant l’articulation entre l’obligation de décence et le droit du locataire à suspendre le paiement de son loyer.
En l’espèce, un bail portant sur un logement meublé avait été conclu le 9 septembre 2023, moyennant un loyer mensuel de 650 euros outre 50 euros de provision sur charges. Peu après leur entrée dans les lieux, les locataires ont signalé à la bailleresse de nombreux désordres liés notamment à l’humidité. Le service d’hygiène et santé de la commune a constaté, le 1er mars 2024, la présence de moisissures dans les chambres, une fenêtre se fermant mal, ainsi que des défauts de ventilation. La bailleresse n’a entrepris aucun travail pour remédier à ces désordres. Les locataires ont cessé de régler leur loyer dès le mois de novembre 2023, puis ont quitté les lieux le 15 août 2024 sans préavis.
La bailleresse a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire puis a assigné les locataires en référé. Par ordonnance du 6 novembre 2024, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Brive-la-Gaillarde a constaté l’acquisition de la clause résolutoire et condamné solidairement les locataires au paiement de la somme provisionnelle de 7 000 euros au titre des loyers, charges et indemnités d’occupation impayés. Les locataires ont interjeté appel, sollicitant principalement la suspension totale du paiement des loyers en raison de l’indécence alléguée du logement.
La question posée à la Cour d’appel de Limoges était double : d’une part, le locataire peut-il suspendre unilatéralement le paiement de son loyer lorsque le logement présente des désordres caractérisant un défaut de décence ? D’autre part, dans quelle mesure les manquements du bailleur à son obligation de délivrance d’un logement décent ouvrent-ils droit à indemnisation du préjudice de jouissance ?
La Cour confirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a condamné les locataires au paiement de la dette locative. Elle juge que les désordres constatés, bien que constitutifs d’un manquement du bailleur à ses obligations, n’étaient pas d’une gravité suffisante pour caractériser une inhabitabilité des lieux justifiant la suspension du loyer. La juridiction rappelle que le locataire ne peut imposer d’office une suspension ou réduction du loyer mais doit la demander en justice. Elle condamne néanmoins la bailleresse à verser 1 500 euros à chacune des locataires en réparation de leur préjudice de jouissance.
Cette décision invite à examiner successivement la rigueur du régime applicable à l’exception d’inexécution en matière de bail d’habitation (I), puis la reconnaissance d’un droit à indemnisation du locataire malgré le rejet de la suspension des loyers (II).
I. Le cantonnement strict de l’exception d’inexécution opposée au bailleur
La Cour d’appel de Limoges rappelle avec fermeté les conditions dans lesquelles un locataire peut légitimement cesser de payer son loyer (A), avant de préciser les exigences procédurales qui encadrent l’exercice de ce droit (B).
A. L’exigence d’une inhabitabilité caractérisée du logement
La Cour énonce que « des points d’indécence ou des désordres doivent donc être d’une gravité suffisante pour caractériser une inhabitabilité et exonérer le locataire de son obligation de payer les loyers ». Cette formulation traduit une interprétation restrictive du mécanisme de l’exception d’inexécution prévu aux articles 1219 et 1220 du Code civil.
En l’espèce, les désordres constatés par le service d’hygiène consistaient en une « présence d’humidité avec développement de moisissures sur les murs extérieurs et les plafonds », une fenêtre se fermant mal et des défauts de ventilation. La juridiction reconnaît que ces éléments caractérisent un manquement du bailleur à ses obligations légales. Elle relève que la bailleresse « admet dans ses écritures ne pas avoir donné suite à ce courrier, laissant persister les désordres relevés ». Ce manquement est expressément qualifié.
La Cour refuse néanmoins de faire droit à la demande de suspension des loyers. Elle retient qu’« il n’est pas démontré que les locataires se seraient trouvées dans l’impossibilité d’user des lieux loués conformément à leur destination contractuelle, puisqu’elles ne démontrent pas que les lieux étaient inhabitables ». La notion d’habitabilité constitue ainsi le critère déterminant. Les attestations produites, faisant « état que de désordres en lien avec l’humidité notamment », sont jugées « insuffisantes pour caractériser une inhabitabilité ».
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui distingue le simple défaut de décence de l’inhabitabilité. Le premier ouvre droit à des mesures correctrices et éventuellement à une réduction de loyer ordonnée par le juge. Seule la seconde autorise une suspension totale du paiement. La décision commentée confirme que la présence de moisissures et de défauts de ventilation, bien que préjudiciables, ne rendent pas nécessairement le logement impropre à sa destination.
B. L’interdiction pour le locataire de se faire justice à lui-même
La Cour d’appel de Limoges rappelle un principe cardinal du droit des obligations appliqué au bail : « le locataire ne doit en aucun cas cesser de payer tout ou partie de son loyer sous prétexte que le bailleur ne respecte pas ses obligations légales, mais demander en justice la suspension ou la réduction du loyer et non l’imposer d’office au bailleur ».
Cette règle trouve son fondement dans l’exigence de proportionnalité qui gouverne l’exception d’inexécution. Les articles 1219 et 1220 du Code civil subordonnent ce mécanisme à une inexécution « suffisamment grave ». La juridiction précise en outre que « cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais, ce que n’ont pas fait en l’espèce » les locataires. Ce défaut de notification constitue un obstacle supplémentaire à l’admission de l’exception d’inexécution.
La décision souligne également l’absence de démarches préalables des locataires auprès de la commission départementale de conciliation, alors même que l’article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 organise cette procédure. La Cour observe qu’« aucune de ces démarches n’a été réalisée par les locataires, qui ont pourtant su saisir le service d’hygiène et santé de la ville ». Cette remarque suggère une forme d’incohérence dans le comportement des locataires, habiles à mobiliser certaines voies administratives mais négligentes des procédures spécifiquement prévues par la loi.
L’arrêt rappelle enfin que « les locataires ont quitté les lieux en cours de procédure, de sorte qu’elles sont mal fondées à réclamer la suspension ou la réduction du paiement des loyers sur le fondement de l’article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 ». Le départ des locataires prive de pertinence une demande de suspension qui n’a de sens que pour l’avenir.
II. La reconnaissance d’un préjudice de jouissance indépendant de la suspension des loyers
Tout en refusant la suspension du loyer, la Cour admet l’existence d’un préjudice indemnisable (A), ce qui révèle une appréciation nuancée des fautes respectives des parties (B).
A. L’indemnisation du trouble de jouissance subi par les locataires
La Cour condamne la bailleresse à verser 1 500 euros à chacune des locataires « en indemnisation de leur préjudice de jouissance ». Cette solution peut sembler paradoxale au regard du rejet de la demande de suspension des loyers. Elle traduit en réalité une distinction fondamentale entre deux types de sanctions du manquement du bailleur.
La juridiction caractérise le préjudice en ces termes : « les désordres liés à l’humidité affectent principalement les murs des chambres, avec le développement de plus en plus important de moisissures, dont on connaît la nocivité pour la santé des occupants ». Elle retient que ces éléments sont « constatés objectivement par le service d’hygiène » et « corroborés par les attestations de témoins ». Le lien de causalité avec la faute du bailleur est établi par le constat qu’il « n’est par ailleurs pas contesté que madame [la bailleresse] n’a pas effectué volontairement les travaux pour faire cesser ces désordres, ni même entrepris quelconque démarche en ce sens ».
La Cour définit ensuite le contenu du préjudice réparable : il consiste « d’une part à ne pas disposer d’un logement répondant aux critères de décence », et « d’autre part à supporter pendant leur occupation les désagréments liés aux moisissures pour lesquelles [la bailleresse] a refusé à apporter une solution ». Cette motivation distingue clairement l’atteinte objective à la qualité du logement et la gêne concrètement subie par les occupantes.
Le montant de l’indemnisation, fixé à 1 500 euros par locataire pour une période d’occupation d’environ onze mois, correspond approximativement à 20% du loyer total théoriquement dû. Cette quotité traduit une appréciation mesurée du trouble, cohérente avec le refus de qualifier les lieux d’inhabitables.
B. Un équilibre recherché entre les responsabilités des parties
L’arrêt commenté procède à une répartition équilibrée des torts. La bailleresse est sanctionnée pour son inertie fautive face aux désordres signalés. Les locataires sont maintenues dans leur obligation de payer l’intégralité de la dette locative, leur comportement ayant consisté à se faire justice elles-mêmes.
La Cour ordonne « la compensation des dettes réciproques et condamnations connexes ». Cette mesure technique permet de simplifier l’exécution de la décision. Elle traduit également la reconnaissance d’obligations croisées : les locataires restent débitrices des loyers impayés, tandis que la bailleresse doit réparation du préjudice causé par ses manquements.
Sur le plan probatoire, la décision tire les conséquences de l’absence d’état des lieux. La Cour relève qu’« il n’est nullement établi que le logement présentait ces désordres au jour de l’entrée dans les lieux, puisqu’il n’est produit aucun état des lieux d’entrée, ni le diagnostic de performance énergétique ». Cette carence imputable à la bailleresse fragilise sa position. Symétriquement, l’absence d’état des lieux de sortie conduit à présumer le logement « restitué en bon état », ce qui prive les locataires de leur demande de restitution du dépôt de garantie, celui-ci étant légitimement conservé en compensation de la dette locative.
La portée de cet arrêt réside dans la confirmation d’une ligne jurisprudentielle exigeante. Le locataire confronté à un logement présentant des défauts de décence dispose de voies de recours clairement identifiées : saisine de la commission de conciliation, action en mise en conformité, demande judiciaire de réduction du loyer. L’auto-suspension du paiement demeure une voie étroitement encadrée, réservée aux situations d’inhabitabilité avérée. Cette solution préserve l’équilibre du contrat de bail tout en sanctionnant effectivement les manquements du bailleur par l’allocation de dommages et intérêts.
Le droit locatif français impose au bailleur une obligation fondamentale : délivrer un logement décent. Cette exigence, consacrée par la loi du 6 juillet 1989, soulève régulièrement la question des sanctions applicables lorsque le logement présente des désordres. La Cour d’appel de Limoges, dans un arrêt du 18 juillet 2025, apporte une contribution notable à cette problématique en précisant l’articulation entre l’obligation de décence et le droit du locataire à suspendre le paiement de son loyer.
En l’espèce, un bail portant sur un logement meublé avait été conclu le 9 septembre 2023, moyennant un loyer mensuel de 650 euros outre 50 euros de provision sur charges. Peu après leur entrée dans les lieux, les locataires ont signalé à la bailleresse de nombreux désordres liés notamment à l’humidité. Le service d’hygiène et santé de la commune a constaté, le 1er mars 2024, la présence de moisissures dans les chambres, une fenêtre se fermant mal, ainsi que des défauts de ventilation. La bailleresse n’a entrepris aucun travail pour remédier à ces désordres. Les locataires ont cessé de régler leur loyer dès le mois de novembre 2023, puis ont quitté les lieux le 15 août 2024 sans préavis.
La bailleresse a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire puis a assigné les locataires en référé. Par ordonnance du 6 novembre 2024, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Brive-la-Gaillarde a constaté l’acquisition de la clause résolutoire et condamné solidairement les locataires au paiement de la somme provisionnelle de 7 000 euros au titre des loyers, charges et indemnités d’occupation impayés. Les locataires ont interjeté appel, sollicitant principalement la suspension totale du paiement des loyers en raison de l’indécence alléguée du logement.
La question posée à la Cour d’appel de Limoges était double : d’une part, le locataire peut-il suspendre unilatéralement le paiement de son loyer lorsque le logement présente des désordres caractérisant un défaut de décence ? D’autre part, dans quelle mesure les manquements du bailleur à son obligation de délivrance d’un logement décent ouvrent-ils droit à indemnisation du préjudice de jouissance ?
La Cour confirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a condamné les locataires au paiement de la dette locative. Elle juge que les désordres constatés, bien que constitutifs d’un manquement du bailleur à ses obligations, n’étaient pas d’une gravité suffisante pour caractériser une inhabitabilité des lieux justifiant la suspension du loyer. La juridiction rappelle que le locataire ne peut imposer d’office une suspension ou réduction du loyer mais doit la demander en justice. Elle condamne néanmoins la bailleresse à verser 1 500 euros à chacune des locataires en réparation de leur préjudice de jouissance.
Cette décision invite à examiner successivement la rigueur du régime applicable à l’exception d’inexécution en matière de bail d’habitation (I), puis la reconnaissance d’un droit à indemnisation du locataire malgré le rejet de la suspension des loyers (II).
I. Le cantonnement strict de l’exception d’inexécution opposée au bailleur
La Cour d’appel de Limoges rappelle avec fermeté les conditions dans lesquelles un locataire peut légitimement cesser de payer son loyer (A), avant de préciser les exigences procédurales qui encadrent l’exercice de ce droit (B).
A. L’exigence d’une inhabitabilité caractérisée du logement
La Cour énonce que « des points d’indécence ou des désordres doivent donc être d’une gravité suffisante pour caractériser une inhabitabilité et exonérer le locataire de son obligation de payer les loyers ». Cette formulation traduit une interprétation restrictive du mécanisme de l’exception d’inexécution prévu aux articles 1219 et 1220 du Code civil.
En l’espèce, les désordres constatés par le service d’hygiène consistaient en une « présence d’humidité avec développement de moisissures sur les murs extérieurs et les plafonds », une fenêtre se fermant mal et des défauts de ventilation. La juridiction reconnaît que ces éléments caractérisent un manquement du bailleur à ses obligations légales. Elle relève que la bailleresse « admet dans ses écritures ne pas avoir donné suite à ce courrier, laissant persister les désordres relevés ». Ce manquement est expressément qualifié.
La Cour refuse néanmoins de faire droit à la demande de suspension des loyers. Elle retient qu’« il n’est pas démontré que les locataires se seraient trouvées dans l’impossibilité d’user des lieux loués conformément à leur destination contractuelle, puisqu’elles ne démontrent pas que les lieux étaient inhabitables ». La notion d’habitabilité constitue ainsi le critère déterminant. Les attestations produites, faisant « état que de désordres en lien avec l’humidité notamment », sont jugées « insuffisantes pour caractériser une inhabitabilité ».
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui distingue le simple défaut de décence de l’inhabitabilité. Le premier ouvre droit à des mesures correctrices et éventuellement à une réduction de loyer ordonnée par le juge. Seule la seconde autorise une suspension totale du paiement. La décision commentée confirme que la présence de moisissures et de défauts de ventilation, bien que préjudiciables, ne rendent pas nécessairement le logement impropre à sa destination.
B. L’interdiction pour le locataire de se faire justice à lui-même
La Cour d’appel de Limoges rappelle un principe cardinal du droit des obligations appliqué au bail : « le locataire ne doit en aucun cas cesser de payer tout ou partie de son loyer sous prétexte que le bailleur ne respecte pas ses obligations légales, mais demander en justice la suspension ou la réduction du loyer et non l’imposer d’office au bailleur ».
Cette règle trouve son fondement dans l’exigence de proportionnalité qui gouverne l’exception d’inexécution. Les articles 1219 et 1220 du Code civil subordonnent ce mécanisme à une inexécution « suffisamment grave ». La juridiction précise en outre que « cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais, ce que n’ont pas fait en l’espèce » les locataires. Ce défaut de notification constitue un obstacle supplémentaire à l’admission de l’exception d’inexécution.
La décision souligne également l’absence de démarches préalables des locataires auprès de la commission départementale de conciliation, alors même que l’article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 organise cette procédure. La Cour observe qu’« aucune de ces démarches n’a été réalisée par les locataires, qui ont pourtant su saisir le service d’hygiène et santé de la ville ». Cette remarque suggère une forme d’incohérence dans le comportement des locataires, habiles à mobiliser certaines voies administratives mais négligentes des procédures spécifiquement prévues par la loi.
L’arrêt rappelle enfin que « les locataires ont quitté les lieux en cours de procédure, de sorte qu’elles sont mal fondées à réclamer la suspension ou la réduction du paiement des loyers sur le fondement de l’article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 ». Le départ des locataires prive de pertinence une demande de suspension qui n’a de sens que pour l’avenir.
II. La reconnaissance d’un préjudice de jouissance indépendant de la suspension des loyers
Tout en refusant la suspension du loyer, la Cour admet l’existence d’un préjudice indemnisable (A), ce qui révèle une appréciation nuancée des fautes respectives des parties (B).
A. L’indemnisation du trouble de jouissance subi par les locataires
La Cour condamne la bailleresse à verser 1 500 euros à chacune des locataires « en indemnisation de leur préjudice de jouissance ». Cette solution peut sembler paradoxale au regard du rejet de la demande de suspension des loyers. Elle traduit en réalité une distinction fondamentale entre deux types de sanctions du manquement du bailleur.
La juridiction caractérise le préjudice en ces termes : « les désordres liés à l’humidité affectent principalement les murs des chambres, avec le développement de plus en plus important de moisissures, dont on connaît la nocivité pour la santé des occupants ». Elle retient que ces éléments sont « constatés objectivement par le service d’hygiène » et « corroborés par les attestations de témoins ». Le lien de causalité avec la faute du bailleur est établi par le constat qu’il « n’est par ailleurs pas contesté que madame [la bailleresse] n’a pas effectué volontairement les travaux pour faire cesser ces désordres, ni même entrepris quelconque démarche en ce sens ».
La Cour définit ensuite le contenu du préjudice réparable : il consiste « d’une part à ne pas disposer d’un logement répondant aux critères de décence », et « d’autre part à supporter pendant leur occupation les désagréments liés aux moisissures pour lesquelles [la bailleresse] a refusé à apporter une solution ». Cette motivation distingue clairement l’atteinte objective à la qualité du logement et la gêne concrètement subie par les occupantes.
Le montant de l’indemnisation, fixé à 1 500 euros par locataire pour une période d’occupation d’environ onze mois, correspond approximativement à 20% du loyer total théoriquement dû. Cette quotité traduit une appréciation mesurée du trouble, cohérente avec le refus de qualifier les lieux d’inhabitables.
B. Un équilibre recherché entre les responsabilités des parties
L’arrêt commenté procède à une répartition équilibrée des torts. La bailleresse est sanctionnée pour son inertie fautive face aux désordres signalés. Les locataires sont maintenues dans leur obligation de payer l’intégralité de la dette locative, leur comportement ayant consisté à se faire justice elles-mêmes.
La Cour ordonne « la compensation des dettes réciproques et condamnations connexes ». Cette mesure technique permet de simplifier l’exécution de la décision. Elle traduit également la reconnaissance d’obligations croisées : les locataires restent débitrices des loyers impayés, tandis que la bailleresse doit réparation du préjudice causé par ses manquements.
Sur le plan probatoire, la décision tire les conséquences de l’absence d’état des lieux. La Cour relève qu’« il n’est nullement établi que le logement présentait ces désordres au jour de l’entrée dans les lieux, puisqu’il n’est produit aucun état des lieux d’entrée, ni le diagnostic de performance énergétique ». Cette carence imputable à la bailleresse fragilise sa position. Symétriquement, l’absence d’état des lieux de sortie conduit à présumer le logement « restitué en bon état », ce qui prive les locataires de leur demande de restitution du dépôt de garantie, celui-ci étant légitimement conservé en compensation de la dette locative.
La portée de cet arrêt réside dans la confirmation d’une ligne jurisprudentielle exigeante. Le locataire confronté à un logement présentant des défauts de décence dispose de voies de recours clairement identifiées : saisine de la commission de conciliation, action en mise en conformité, demande judiciaire de réduction du loyer. L’auto-suspension du paiement demeure une voie étroitement encadrée, réservée aux situations d’inhabitabilité avérée. Cette solution préserve l’équilibre du contrat de bail tout en sanctionnant effectivement les manquements du bailleur par l’allocation de dommages et intérêts.