Cour d’appel de Grenoble, le 8 juillet 2025, n°24/00263

La cour d’appel de Grenoble, par un arrêt du 8 juillet 2025, ordonne une expertise judiciaire dans un litige opposant des propriétaires voisins au sujet de la conformité d’un abri de jardin. Les demandeurs reprochent à leur voisin d’avoir édifié une construction excédant la hauteur de 3,50 mètres autorisée par le permis de construire et sollicitent sa démolition pour trouble anormal de voisinage.

Les faits sont les suivants. Deux époux sont propriétaires d’une maison d’habitation. Leur voisin est propriétaire de la parcelle adjacente. Ce dernier a déposé le 16 décembre 2020 une demande de permis de construire pour un abri de jardin de 32 m² dont 16 m² en partie fermée, la hauteur prévue étant de 3,50 mètres au faîtage. Le permis a été accordé le 1er février 2021. Les travaux ont débuté en mars 2021. Le 20 octobre 2021, le constructeur a sollicité un permis modificatif portant notamment sur une « hauteur du bâtiment 3,72m au faîtage ». L’arrêté du 23 novembre 2021 a accordé les modifications relatives aux ouvertures et au four à bois, mais a précisé n’apporter « aucun changement » aux prescriptions du permis d’origine. Un certificat de conformité a été délivré le 14 février 2022.

Les époux voisins ont assigné le constructeur le 28 octobre 2021 devant le tribunal judiciaire de Vienne. Ils soutenaient que la construction ne respectait pas le permis de construire et constituait un trouble anormal de voisinage. Par jugement du 23 novembre 2023, le tribunal a rejeté leurs demandes, retenant que le certificat de conformité délivré par le maire établissait la régularité de la construction. Les époux ont interjeté appel le 10 janvier 2024, sollicitant la démolition ou subsidiairement la mise en conformité de l’ouvrage.

La question posée à la cour était de déterminer si la construction litigieuse respectait la hauteur de 3,50 mètres autorisée par le permis de construire et, dans la négative, si elle constituait un trouble anormal de voisinage justifiant sa démolition.

La cour d’appel de Grenoble ordonne une expertise judiciaire avant dire droit. Elle relève que « l’examen des rapports d’expertises amiables communiqués par les parties ne permet pas de déterminer avec exactitude et certitude le niveau du terrain naturel sur le fonds à l’époque du dépôt de sa demande de permis de construire ». La juridiction précise qu’« il y a lieu de déterminer si le réhaussement sur une vingtaine de centimètres du terrain sur lequel est implantée cette construction existait ou pas au jour de cette demande de permis de construire, ce point étant essentiel pour apprécier la régularité de cette construction par rapport à la hauteur autorisée de 3,50m ».

La détermination du niveau de référence pour apprécier la hauteur d’une construction constitue le point névralgique du litige (I). Cette incertitude technique conduit la juridiction à ordonner une expertise dont la mission révèle l’articulation entre conformité urbanistique et trouble anormal de voisinage (II).

I. La détermination du terrain naturel comme référentiel de conformité urbanistique

La cour est confrontée à une difficulté probatoire tenant à l’identification du niveau du terrain naturel (A), que le certificat de conformité délivré par l’autorité administrative ne suffit pas à résoudre (B).

A. L’enjeu de l’identification du terrain naturel avant travaux

Le permis de construire autorisait une hauteur de 3,50 mètres au faîtage. Le constructeur a sollicité une modification portant cette hauteur à 3,72 mètres, que l’arrêté du 23 novembre 2021 n’a pas accordée. La cour relève que cet arrêté précisait n’apporter « aucun changement à la période de validité du permis de construire d’origine, dont les prescriptions et autres obligations sont maintenues ». La hauteur autorisée demeurait donc de 3,50 mètres.

Le litige porte sur le point de départ de cette mesure. Les demandeurs soutiennent que le terrain a été rehaussé avant la construction, de sorte que la hauteur effective de l’ouvrage excède celle autorisée. Le constructeur répond que le niveau fini du dallage « est sensiblement équivalent au niveau du terrain naturel avant travaux ». La cour constate que les expertises amiables produites par les parties aboutissent à des conclusions contradictoires et ne permettent pas de trancher cette question de fait.

La référence au terrain naturel avant travaux constitue une notion fondamentale en droit de l’urbanisme. Elle vise à empêcher qu’un pétitionnaire ne contourne les prescriptions de hauteur en modifiant préalablement le niveau du sol. La difficulté en l’espèce tient à la détermination de ce niveau à une date antérieure aux travaux, lorsque les parties produisent des éléments probatoires divergents.

B. L’insuffisance du certificat de conformité pour établir la régularité de la construction

Le tribunal de première instance avait rejeté les demandes en retenant que le certificat de conformité délivré le 14 février 2022 établissait la régularité de la construction. La cour d’appel adopte une position distincte en ordonnant une expertise judiciaire malgré ce certificat.

Cette approche s’explique par la nature juridique du certificat de conformité. Celui-ci atteste que l’autorité administrative n’a pas contesté la conformité des travaux dans le délai réglementaire. Il ne constitue pas une décision définitive sur la conformité réelle de la construction aux prescriptions du permis. Le juge civil conserve la faculté d’apprécier cette conformité lorsqu’un tiers s’en prévaut pour fonder une action en responsabilité.

La cour précise que les demandeurs « ne contestent pas la régularité du permis de construire mais uniquement le fait que la construction n’a pas été édifiée en conformité avec celui-ci ». Cette distinction est fondamentale. Le contentieux ne porte pas sur la légalité de l’autorisation administrative, qui relève du juge administratif, mais sur le respect des prescriptions autorisées, que le juge civil peut contrôler dans le cadre d’une action fondée sur le trouble anormal de voisinage.

II. L’articulation entre conformité urbanistique et trouble anormal de voisinage

La mission d’expertise ordonnée par la cour révèle le lien entre le respect des prescriptions urbanistiques et la caractérisation du trouble de voisinage (A). Elle illustre également la méthodologie d’évaluation du préjudice en cette matière (B).

A. L’expertise comme préalable à la qualification du trouble anormal

La cour ordonne une expertise judiciaire avec une mission détaillée. L’expert devra « dire si la hauteur de l’abri de jardin édifié atteint 3,50m mesurés à l’égout du toit ou au bas de l’acrotère à partir du niveau du sol avant travaux, comme prescrit par le PLU ». Il devra également « déterminer la hauteur du terrain à l’emplacement de l’édification de la construction litigieuse à l’époque de la demande de permis de construire ».

Cette mission révèle l’articulation entre conformité urbanistique et trouble anormal de voisinage. La violation des règles d’urbanisme ne constitue pas en soi un trouble anormal de voisinage. La jurisprudence exige la démonstration d’un préjudice excédant les inconvénients normaux du voisinage. Toutefois, le dépassement de la hauteur autorisée peut caractériser l’anormalité du trouble lorsqu’il génère une perte d’ensoleillement ou de vue.

La cour demande ainsi à l’expert de « dire si la construction litigieuse impacte l’ensoleillement de la propriété et si elle compromet la vue depuis leur cuisine et leur séjour ». Cette mission établit un lien direct entre la mesure technique de la hauteur et l’appréciation juridique du trouble. Si la construction respecte la hauteur autorisée, le trouble allégué sera plus difficilement qualifiable d’anormal. Si elle l’excède, l’anormalité pourra résulter de ce que les demandeurs subissent un préjudice qu’ils n’auraient pas eu à supporter si le permis avait été respecté.

B. L’évaluation du préjudice conditionnée par les constats techniques

La mission d’expertise comprend également l’évaluation de « la perte de valeur vénale de la propriété en lien avec la perte d’ensoleillement et de vue occasionnée le cas échéant par la construction de l’abri de jardin litigieux ». Cette évaluation est subordonnée aux constats techniques préalables.

Les demandeurs sollicitaient à titre subsidiaire une somme de 22 555 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du trouble anormal de voisinage subi. Ce montant correspond selon eux à la perte de valeur vénale de leur propriété. La cour surseoit à statuer sur cette demande dans l’attente de l’expertise.

Cette approche illustre la méthode d’évaluation du préjudice en matière de trouble anormal de voisinage. Le juge ne peut se fonder sur les seules allégations des parties quant à l’existence et à l’étendue du préjudice. L’expertise permet d’objectiver tant la réalité du trouble que son caractère anormal et son évaluation monétaire.

La cour sursoit également à statuer sur la demande de tour d’échelle formée par le constructeur. Cette demande visait à obtenir l’accès au fonds voisin pour réaliser l’enduit de façade. Le sort de cette demande dépend de la conformité de la construction. Si celle-ci doit être démolie ou mise en conformité, la question du tour d’échelle devient sans objet. La cour fait ainsi preuve de cohérence en liant le sort de toutes les demandes à l’issue de l’expertise.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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