Cour d’appel de Dijon, le 1 juillet 2025, n°24/01194
La responsabilité de l’acquéreur ou du vendeur, lorsqu’un immeuble ancien révèle ses fissures après la vente, soulève des questions probatoires délicates. La cour d’appel de Dijon, dans un arrêt du 1er juillet 2025, apporte un éclairage sur les conditions d’octroi d’une mesure d’expertise en référé.
Une maison d’habitation a été vendue par acte notarié du 19 septembre 2023, moyennant la somme de 56 000 euros. L’acquéreur a confié la rénovation de la charpente et la réparation de la couverture à une société spécialisée. En cours de travaux, des désordres sont apparus : importantes fissures entre le mur de pignon et les façades, instabilité de la souche de cheminée, et révélation d’un sinistre incendie ayant affecté l’ancienne charpente. Un expert amiable a été missionné et a conclu que « certains éléments constructifs montrent un état d’instabilité inquiétant ». L’acquéreur a alors assigné en référé les vendeurs et l’entreprise aux fins d’expertise judiciaire.
Par ordonnance du 24 août 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône a ordonné l’expertise sollicitée et rejeté la demande de provision de l’entreprise. Les vendeurs ont interjeté appel, soutenant que la clause d’exclusion de garantie des vices cachés insérée dans l’acte rendait toute action au fond manifestement vouée à l’échec. L’entreprise a formé appel incident pour obtenir le paiement provisionnel de ses factures.
La question posée à la cour était de savoir si l’existence d’une clause exonératoire de garantie des vices cachés prive l’acquéreur de tout motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile. Une question accessoire concernait le caractère sérieusement contestable de la créance invoquée par l’entrepreneur.
La cour d’appel de Dijon confirme l’ordonnance en toutes ses dispositions. Elle retient que « les éléments du dossier ne permettent pas de considérer […] qu’une éventuelle action à l’initiative de l’acquéreur serait manifestement vouée à l’échec ». Elle constate l’existence d’une contradiction entre le rapport amiable et certaines attestations. Elle confirme également le rejet de la provision sollicitée par l’entreprise en raison d’une contestation sérieuse sur la qualité de l’exécution des travaux.
Cette décision invite à examiner les conditions d’admission de l’expertise in futurum en présence d’une clause exonératoire (I), avant d’analyser le régime de la provision sur travaux lorsqu’existe une contestation sur la responsabilité contractuelle (II).
I. L’expertise in futurum confrontée à la clause d’exclusion de garantie
La cour apprécie d’abord le motif légitime requis par l’article 145 du code de procédure civile (A), puis neutralise l’objection tirée de l’échec manifeste de l’action envisagée (B).
A. L’exigence d’un procès en germe non manifestement voué à l’échec
L’article 145 du code de procédure civile permet d’ordonner une mesure d’instruction « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ». La cour rappelle que cette disposition suppose « l’existence d’un procès en germe possible et non manifestement voué à l’échec ».
Le standard probatoire demeure peu contraignant. Le demandeur n’a pas à démontrer le bien-fondé de son action future. Il lui suffit de caractériser une vraisemblance suffisante. En l’espèce, le rapport amiable établissait que la charpente avait subi un sinistre incendie « masqué par l’intérieur » et « indécelable au moment de l’acquisition ». Cette circonstance ouvre la voie à une action en garantie des vices cachés, dès lors que la réticence dolosive du vendeur pourrait paralyser la clause exonératoire.
La cour vérifie donc l’existence d’un litige potentiel sans préjuger du fond. Elle note que l’expertise « n’implique aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure ». Cette neutralité du juge des référés préserve les droits de chacun tout en permettant la constitution de preuves.
B. La relativisation de la clause exonératoire par la contradiction des éléments
Les vendeurs soutenaient que l’acquéreur avait acheté « en connaissance de cause » et que la clause d’exclusion des vices apparents et cachés rendait toute action irrecevable. Cette argumentation reposait sur le caractère apparent des fissures et sur l’information donnée concernant un début d’incendie.
La cour constate cependant une « contradiction notamment entre les indications de l’expert amiable et l’attestation de l’agent immobilier ». L’expert relevait que les traces d’incendie sur la charpente étaient « indécelables au moment de l’acquisition ». L’agent immobilier avait évoqué un « début d’incendie » dont la portée exacte restait incertaine. Cette divergence empêche de conclure à l’échec manifeste de l’action.
La jurisprudence admet que la clause d’exclusion de garantie soit écartée lorsque le vendeur connaissait les vices. La cour n’anticipe pas sur cette question. Elle se borne à relever que les éléments contradictoires justifient la mesure d’instruction. Cette position s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence favorable à l’expertise préventive lorsque les faits présentent une complexité technique nécessitant l’éclairage d’un sachant.
II. Le rejet de la provision face à la contestation sérieuse sur l’exécution des travaux
La cour examine ensuite la demande provisionnelle de l’entrepreneur (A) et tire les conséquences de l’incertitude technique pesant sur la qualité des travaux (B).
A. La condition d’une obligation non sérieusement contestable
L’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile autorise le juge des référés à accorder une provision « dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ». L’entreprise réclamait 19 084 euros correspondant à la valeur des travaux réalisés, en faisant valoir que le chantier avait été interrompu à la demande de l’acquéreur.
La cour rappelle le principe applicable. L’absence de contestation sérieuse s’apprécie au regard de l’ensemble des éléments produits. L’entrepreneur ne peut se prévaloir de la simple exécution matérielle des travaux pour obtenir paiement si la qualité de cette exécution est mise en doute.
La société invoquait l’avancement du chantier et l’absence de tout règlement. Elle ajoutait que le lien de causalité entre son intervention et les fissures n’était, selon l’expert amiable, « ni prouvable, ni évident ». Cet argument tendait à dissocier la question du paiement de celle de la responsabilité.
B. L’hypothèse retenue par l’expert amiable comme source de contestation
Le rapport amiable émettait cependant « l’hypothèse que l’aggravation des fissures résulte de la dépose de la charpente sans précaution particulière ». L’expert relevait que « le poids du complexe avait jusque là maintenu le mur pignon en place et stabilisé les fissures ». Il estimait que « la découverte de la charpente sinistrée aurait dû conduire à stopper les travaux et à prendre conseil auprès d’un bureau d’études compétent ».
Ces observations caractérisent une contestation sérieuse « en termes de conception de l’ouvrage ». L’entrepreneur aurait dû anticiper les conséquences du retrait de la charpente sur la stabilité des murs. Cette carence potentielle dans l’exécution du contrat de louage d’ouvrage justifie le refus de la provision.
La cour confirme ainsi que l’interdépendance des obligations dans un contrat d’entreprise peut faire obstacle à l’octroi d’une provision. Le maître de l’ouvrage oppose valablement l’exception d’inexécution lorsque les travaux présentent des désordres susceptibles d’engager la responsabilité de l’entrepreneur. L’expertise ordonnée permettra d’établir si les travaux ont été réalisés conformément aux règles de l’art et de déterminer les responsabilités respectives.
La responsabilité de l’acquéreur ou du vendeur, lorsqu’un immeuble ancien révèle ses fissures après la vente, soulève des questions probatoires délicates. La cour d’appel de Dijon, dans un arrêt du 1er juillet 2025, apporte un éclairage sur les conditions d’octroi d’une mesure d’expertise en référé.
Une maison d’habitation a été vendue par acte notarié du 19 septembre 2023, moyennant la somme de 56 000 euros. L’acquéreur a confié la rénovation de la charpente et la réparation de la couverture à une société spécialisée. En cours de travaux, des désordres sont apparus : importantes fissures entre le mur de pignon et les façades, instabilité de la souche de cheminée, et révélation d’un sinistre incendie ayant affecté l’ancienne charpente. Un expert amiable a été missionné et a conclu que « certains éléments constructifs montrent un état d’instabilité inquiétant ». L’acquéreur a alors assigné en référé les vendeurs et l’entreprise aux fins d’expertise judiciaire.
Par ordonnance du 24 août 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône a ordonné l’expertise sollicitée et rejeté la demande de provision de l’entreprise. Les vendeurs ont interjeté appel, soutenant que la clause d’exclusion de garantie des vices cachés insérée dans l’acte rendait toute action au fond manifestement vouée à l’échec. L’entreprise a formé appel incident pour obtenir le paiement provisionnel de ses factures.
La question posée à la cour était de savoir si l’existence d’une clause exonératoire de garantie des vices cachés prive l’acquéreur de tout motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile. Une question accessoire concernait le caractère sérieusement contestable de la créance invoquée par l’entrepreneur.
La cour d’appel de Dijon confirme l’ordonnance en toutes ses dispositions. Elle retient que « les éléments du dossier ne permettent pas de considérer […] qu’une éventuelle action à l’initiative de l’acquéreur serait manifestement vouée à l’échec ». Elle constate l’existence d’une contradiction entre le rapport amiable et certaines attestations. Elle confirme également le rejet de la provision sollicitée par l’entreprise en raison d’une contestation sérieuse sur la qualité de l’exécution des travaux.
Cette décision invite à examiner les conditions d’admission de l’expertise in futurum en présence d’une clause exonératoire (I), avant d’analyser le régime de la provision sur travaux lorsqu’existe une contestation sur la responsabilité contractuelle (II).
I. L’expertise in futurum confrontée à la clause d’exclusion de garantie
La cour apprécie d’abord le motif légitime requis par l’article 145 du code de procédure civile (A), puis neutralise l’objection tirée de l’échec manifeste de l’action envisagée (B).
A. L’exigence d’un procès en germe non manifestement voué à l’échec
L’article 145 du code de procédure civile permet d’ordonner une mesure d’instruction « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ». La cour rappelle que cette disposition suppose « l’existence d’un procès en germe possible et non manifestement voué à l’échec ».
Le standard probatoire demeure peu contraignant. Le demandeur n’a pas à démontrer le bien-fondé de son action future. Il lui suffit de caractériser une vraisemblance suffisante. En l’espèce, le rapport amiable établissait que la charpente avait subi un sinistre incendie « masqué par l’intérieur » et « indécelable au moment de l’acquisition ». Cette circonstance ouvre la voie à une action en garantie des vices cachés, dès lors que la réticence dolosive du vendeur pourrait paralyser la clause exonératoire.
La cour vérifie donc l’existence d’un litige potentiel sans préjuger du fond. Elle note que l’expertise « n’implique aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure ». Cette neutralité du juge des référés préserve les droits de chacun tout en permettant la constitution de preuves.
B. La relativisation de la clause exonératoire par la contradiction des éléments
Les vendeurs soutenaient que l’acquéreur avait acheté « en connaissance de cause » et que la clause d’exclusion des vices apparents et cachés rendait toute action irrecevable. Cette argumentation reposait sur le caractère apparent des fissures et sur l’information donnée concernant un début d’incendie.
La cour constate cependant une « contradiction notamment entre les indications de l’expert amiable et l’attestation de l’agent immobilier ». L’expert relevait que les traces d’incendie sur la charpente étaient « indécelables au moment de l’acquisition ». L’agent immobilier avait évoqué un « début d’incendie » dont la portée exacte restait incertaine. Cette divergence empêche de conclure à l’échec manifeste de l’action.
La jurisprudence admet que la clause d’exclusion de garantie soit écartée lorsque le vendeur connaissait les vices. La cour n’anticipe pas sur cette question. Elle se borne à relever que les éléments contradictoires justifient la mesure d’instruction. Cette position s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence favorable à l’expertise préventive lorsque les faits présentent une complexité technique nécessitant l’éclairage d’un sachant.
II. Le rejet de la provision face à la contestation sérieuse sur l’exécution des travaux
La cour examine ensuite la demande provisionnelle de l’entrepreneur (A) et tire les conséquences de l’incertitude technique pesant sur la qualité des travaux (B).
A. La condition d’une obligation non sérieusement contestable
L’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile autorise le juge des référés à accorder une provision « dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ». L’entreprise réclamait 19 084 euros correspondant à la valeur des travaux réalisés, en faisant valoir que le chantier avait été interrompu à la demande de l’acquéreur.
La cour rappelle le principe applicable. L’absence de contestation sérieuse s’apprécie au regard de l’ensemble des éléments produits. L’entrepreneur ne peut se prévaloir de la simple exécution matérielle des travaux pour obtenir paiement si la qualité de cette exécution est mise en doute.
La société invoquait l’avancement du chantier et l’absence de tout règlement. Elle ajoutait que le lien de causalité entre son intervention et les fissures n’était, selon l’expert amiable, « ni prouvable, ni évident ». Cet argument tendait à dissocier la question du paiement de celle de la responsabilité.
B. L’hypothèse retenue par l’expert amiable comme source de contestation
Le rapport amiable émettait cependant « l’hypothèse que l’aggravation des fissures résulte de la dépose de la charpente sans précaution particulière ». L’expert relevait que « le poids du complexe avait jusque là maintenu le mur pignon en place et stabilisé les fissures ». Il estimait que « la découverte de la charpente sinistrée aurait dû conduire à stopper les travaux et à prendre conseil auprès d’un bureau d’études compétent ».
Ces observations caractérisent une contestation sérieuse « en termes de conception de l’ouvrage ». L’entrepreneur aurait dû anticiper les conséquences du retrait de la charpente sur la stabilité des murs. Cette carence potentielle dans l’exécution du contrat de louage d’ouvrage justifie le refus de la provision.
La cour confirme ainsi que l’interdépendance des obligations dans un contrat d’entreprise peut faire obstacle à l’octroi d’une provision. Le maître de l’ouvrage oppose valablement l’exception d’inexécution lorsque les travaux présentent des désordres susceptibles d’engager la responsabilité de l’entrepreneur. L’expertise ordonnée permettra d’établir si les travaux ont été réalisés conformément aux règles de l’art et de déterminer les responsabilités respectives.