Cour d’appel de Bordeaux, le 3 juillet 2025, n°23/05254

Un arrêt rendu le 3 juillet 2025 par la Cour d’appel de Bordeaux illustre la rigueur avec laquelle les juridictions sanctionnent le non-respect des formalités procédurales en matière d’appel. Cette décision s’inscrit dans le contentieux locatif, mais son apport principal réside dans l’application des dispositions relatives au droit de timbre.

Les faits de l’espèce sont simples. Par acte du 8 novembre 2019, des bailleurs ont consenti un bail d’habitation portant sur un bien situé en Charente. Des loyers étant demeurés impayés, un commandement de payer visant la clause résolutoire a été signifié les 29 septembre et 11 octobre 2022 pour un montant de 1 840 euros. Les bailleurs ont ensuite assigné les locataires devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d’Angoulême.

Par jugement du 6 septembre 2023, le premier juge a constaté l’acquisition de la clause résolutoire, ordonné l’expulsion et condamné solidairement les locataires ainsi que la caution au paiement de l’arriéré locatif. La locataire principale a relevé appel de cette décision par déclaration électronique du 21 novembre 2023. Par ordonnance du 4 avril 2024, la première présidente de la Cour d’appel de Bordeaux a rejeté la demande d’arrêt de l’exécution provisoire.

L’appelante soulevait devant la cour plusieurs moyens tendant à l’infirmation du jugement. Elle invoquait la nullité du commandement de payer, l’inapplicabilité de la clause résolutoire en raison de l’insalubrité alléguée du logement et sollicitait l’indemnisation de son préjudice de jouissance. Les intimés demandaient la confirmation du jugement et l’actualisation du montant de l’arriéré locatif.

La question posée à la Cour d’appel de Bordeaux était de déterminer si l’appel formé par la locataire était recevable au regard des exigences posées par les articles 963 et 964 du code de procédure civile relatives au paiement du droit de timbre.

La cour a constaté l’irrecevabilité de l’appel. Elle relève que « l’appelante ne justifie pas de l’acquittement du droit de timbre prévu par les dispositions de l’article 963 du code de procédure civile ». Elle précise que la régularisation a été sollicitée par message RPVA du 22 novembre 2023 et que « cette formalité n’a pas été accomplie par l’appelante à la date où la cour statue ».

Cette décision soulève deux questions distinctes. La première concerne le régime du droit de timbre comme condition de recevabilité de l’appel (I). La seconde porte sur les conséquences de l’irrecevabilité sur les droits substantiels du justiciable (II).

I. Le droit de timbre, condition impérative de recevabilité de l’appel

La Cour d’appel de Bordeaux fait une application stricte des dispositions procédurales en constatant le défaut de paiement du droit de timbre (A), tout en respectant le principe du contradictoire par l’invitation préalable à régulariser (B).

A. L’exigence légale du paiement du droit de timbre

L’article 963 du code de procédure civile impose à peine d’irrecevabilité le paiement d’un droit de timbre pour les appels formés en matière civile. Cette obligation fiscale trouve son fondement dans la volonté du législateur de responsabiliser les parties dans l’exercice des voies de recours. La cour relève avec précision que « l’appelante ne justifie pas de l’acquittement du droit de timbre prévu par les dispositions de l’article 963 du code de procédure civile ».

Cette formulation mérite attention. La cour ne se contente pas de constater l’absence de paiement ; elle souligne le défaut de justification. La charge de la preuve incombe ainsi à l’appelant, qui doit établir avoir satisfait à cette obligation. Le silence des écritures de l’appelante sur ce point corrobore l’absence de toute tentative de démontrer l’accomplissement de cette formalité.

L’article 964 du même code prévoit la sanction de l’irrecevabilité. Cette sanction présente un caractère automatique dès lors que le défaut de paiement est constaté. La juridiction n’exerce aucun pouvoir d’appréciation sur l’opportunité de prononcer cette irrecevabilité. Elle se borne à vérifier si la condition légale est remplie.

B. La mise en œuvre du contradictoire préalable

La cour précise que « par message RPVA en date du 22 novembre 2023 adressé par le greffe de la présente cour, le conseil de Mme [H] [X] a été mis en mesure de procéder à une régularisation de la situation ». Cette mention n’est pas anodine. Elle démontre que la juridiction a respecté le principe du contradictoire avant de prononcer l’irrecevabilité.

La Cour de cassation a en effet posé l’exigence d’une invitation préalable à régulariser avant tout prononcé d’irrecevabilité pour défaut de timbre. Cette jurisprudence s’inscrit dans le respect du droit à un procès équitable garanti par l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’appelante ne saurait être privée de son droit d’accès au juge sans avoir été préalablement informée du vice affectant son appel.

La cour note que « cette formalité n’a pas été accomplie par l’appelante à la date où la cour statue ». Le délai écoulé entre l’invitation à régulariser et la date de l’arrêt excède dix-huit mois. Cette durée considérable prive l’appelante de tout argument tenant à l’insuffisance du temps laissé pour accomplir la formalité. L’inertie persistante justifie pleinement le prononcé de l’irrecevabilité.

II. Les conséquences de l’irrecevabilité sur la situation des parties

L’irrecevabilité de l’appel emporte des conséquences majeures sur le fond du litige locatif (A), tout en préservant un traitement équitable des accessoires de l’instance (B).

A. La consolidation définitive du jugement de première instance

L’irrecevabilité de l’appel confère au jugement du 6 septembre 2023 l’autorité de la chose jugée. Les condamnations prononcées à l’encontre de la locataire et de la caution deviennent définitives. L’expulsion ordonnée ne peut plus être remise en cause. Les moyens soulevés par l’appelante relatifs à la nullité du commandement et à l’indécence du logement ne seront jamais examinés au fond.

Cette situation présente une singularité procédurale notable. L’appelante soulevait des arguments de fond qui auraient pu prospérer devant la cour. Elle invoquait le manquement des bailleurs à leur obligation de délivrance d’un logement décent et sollicitait une compensation entre les créances réciproques. Ces moyens, pour fondés qu’ils puissent être, demeurent sans examen faute de recevabilité de la voie de recours.

La rigueur procédurale l’emporte sur l’accès au juge du fond. Cette solution peut sembler sévère au regard des enjeux du litige, qui touchent au droit au logement. Elle illustre néanmoins le caractère impératif des règles de forme en matière d’appel. Le législateur a entendu subordonner l’exercice de cette voie de recours à des conditions strictes dont le non-respect est sanctionné sans tempérament.

B. L’équité dans le traitement des frais de procédure

La cour statue sur les accessoires de l’instance d’une manière qui mérite d’être soulignée. Elle précise qu’« il n’y a pas lieu de mettre à la charge de Mme [H] [X] d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ». Cette décision témoigne d’une certaine modération dans l’application de la sanction procédurale.

Les intimés sollicitaient pourtant une somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles. La cour refuse de faire droit à cette demande. Cette solution peut s’expliquer par la nature particulière de l’irrecevabilité prononcée. L’appel n’a pas été examiné au fond et n’a pas donné lieu à des développements substantiels de la part des intimés. L’équité commande de ne pas aggraver la situation de l’appelante au-delà de la perte de son recours.

La condamnation aux dépens demeure en revanche acquise. L’appelante supporte les frais de la procédure d’appel qu’elle a initiée sans satisfaire aux conditions de sa recevabilité. Cette répartition des charges respecte le principe selon lequel la partie qui succombe supporte les dépens. Elle constitue la conséquence normale de l’échec de la voie de recours exercée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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