Cour d’appel de Bordeaux, le 26 juin 2025, n°24/03135

Now using node v22.15.1 (npm v10.8.2)
Utilisation de Node.js v20.19.4 et npm 10.8.2
Codex est déjà installé.
Lancement de Codex…
Par un arrêt du 26 juin 2025, la Cour d’appel de Bordeaux statue sur un contentieux locatif né d’un bail d’habitation conclu en mars 2020, assorti d’une mise à disposition verbale d’un box et d’un terrain. Des fuites sont apparues rapidement, puis des travaux de toiture ont été réalisés par un entrepreneur, malgré la présence d’amiante signalée au diagnostic, entraînant un contentieux technique nourri. Une expertise judiciaire a été ordonnée en référé le 9 avril 2021 et déposée le 2 février 2022. Les locataires ont quitté les lieux en janvier 2023, après un congé pour reprise. Par jugement du 22 mai 2024, le premier juge a retenu l’indécence du logement, ordonné la déconsignation des loyers, alloué un préjudice de jouissance, mis à la charge de la bailleresse certaines obligations, et partagé la responsabilité avec l’entrepreneur. L’appel interjeté porte notamment sur la caractérisation de l’indécence, l’exception d’inexécution, le périmètre des loyers dus au titre du bail verbal distinct, l’indemnisation du préjudice moral, les réparations locatives, et l’étendue de la garantie de l’entrepreneur.

La question posée est double. D’abord, selon quels critères factuels et probatoires l’indécence est-elle caractérisée, et quelles en sont les conséquences sur les obligations réciproques, spécialement l’exception d’inexécution et l’éventuel cumul avec un trouble de jouissance. Ensuite, comment s’organisent la répartition des responsabilités entre la bailleresse et l’entrepreneur, la mesure de remise en état par décontamination et les postes d’indemnisation locative. La Cour retient l’indécence du logement, confirme l’exception d’inexécution pour le bail d’habitation, la refuse pour le bail verbal séparé, exclut le cumul avec des dommages et intérêts de jouissance, admet un préjudice moral, précise les réparations locatives et fixe une astreinte pour la décontamination, tout en maintenant une garantie partielle de l’entrepreneur.

I. La caractérisation de l’indécence et ses effets sur les obligations locatives

A. La preuve de l’indécence par la contamination à l’amiante et les désordres connexes

La Cour procède d’abord à l’identification de la question décisive: « Il convient d’examiner si l’indécence du logement est caractérisée. » Elle rappelle le cadre légal et réglementaire, en retenant que « Un logement décent est un logement qui répond aux caractéristiques définies par le décret n°2002-120 du 30 janvier 2002. » L’analyse s’adosse ensuite aux pièces techniques contradictoires issues du référé-expertise.

L’autorité probante du rapport judiciaire constitue l’axe central. La Cour constate que deux laboratoires, selon des prélèvements documentés, ont établi la présence de fibres d’amiante dans une pièce. Elle tranche sans ambiguïté: « Au regard de l’ensemble des éléments qui précèdent, la preuve de la présence de fibres d’amiante dans la chambre 3 de l’immeuble loué est suffisamment rapportée. » Elle motive la causalité par les modalités de dépose des plaques et l’absence de précautions requises dans une opération impliquant des matériaux amiantés. Elle insiste enfin sur la nature du risque: « Ces désordres étant de nature à porter gravement atteinte à la santé des occupants, le manquement de la bailleresse à son obligation d’assurer un logement décent à ses locataires est caractérisé. »

Ce raisonnement écarte les analyses postérieures unilatérales, réalisées tardivement, jugées « dénuées de valeur probatoire suffisante ». La Cour neutralise aussi l’argument tiré d’une prétendue obstruction des preneurs, en relevant l’absence d’initiative utile pendant l’expertise et l’inertie sur la décontamination pourtant préconisée. L’indécence est donc appréhendée globalement, la contamination constituant le cœur du manquement, corroboré par des désordres d’eaux pluviales, d’évacuation, d’étanchéité et d’électricité.

B. L’exception d’inexécution et ses limites: périmètre contractuel et non-cumul indemnitaire

L’indécence avérée ouvre droit à l’exception d’inexécution sur le bail d’habitation, la Cour retenant la gravité du risque et l’absence de décontamination. Elle confirme la restitution des loyers consignés et l’exonération corrélative des loyers non consignés sur ce bail. En revanche, elle distingue clairement le bail verbal distinct portant sur un box et un terrain, non affecté par les griefs techniques: « de sorte que les locataires n’avaient pas à être exonérés du paiement du loyer y afférent. » La solution opère ainsi une stricte segmentation des obligations, indexée à l’objet loué réellement impacté.

La Cour règle également le rapport entre l’exception d’inexécution et l’indemnisation autonome de jouissance. Elle énonce un principe de non-cumul particulièrement net: « les locataires ne peuvent, sous peine d’obtenir une double indemnisation, à la fois être dispensés du paiement de l’intrégralité de leurs loyers et charges (…) et obtenir des dommages et intérêts pour trouble de jouissance ». Le trouble de jouissance est donc évincé, l’exception opérant déjà la réparation économique de l’inexécution sur l’usage du logement. Cette articulation, cohérente avec la logique fonctionnelle de l’exception, évite la surcompensation et clarifie la portée réparatrice des mécanismes en concours.

II. La répartition des responsabilités et l’ordonnancement des remèdes

A. Le rôle de l’entrepreneur et la décontamination sous astreinte

La Cour confirme le principe d’une responsabilité concurrente de l’entrepreneur, déjà retenue en première instance au regard de manquements précis (plaques amiantées entreposées, descentes d’eaux pluviales inachevées, déconnexion d’eaux usées), et maintient une garantie à hauteur de moitié sur les chefs indemnitaires en lien. Elle consacre par ailleurs l’impératif de remise en sécurité de la pièce contaminée par une mesure d’exécution concrète et mesurée. Elle précise en effet: « Il convient toutefois d’assortir cette condamnation d’une astreinte provisoire de 20 euros par jour de retard passé le délai de deux mois (…) pendant une durée de trois mois. » L’astreinte, calibrée dans le temps et le quantum, accompagne l’effectivité de la décontamination, tout en réservant la restitution des effets après justification.

Cette combinaison illustre une répartition ordonnée des charges: la bailleresse supporte l’obligation de désamiantage, l’entrepreneur demeure garant partiel des condamnations corrélatives, et les preneurs doivent récupérer leurs biens après exécution, sans transfert des frais de transport. L’équilibre recherché concilie l’impératif sanitaire, la causalité fautive et la bonne fin des restitutions.

B. Le préjudice moral des occupants et la réévaluation des réparations locatives

La Cour admet un préjudice moral distinct du trouble de jouissance, fondé sur l’angoisse objectivée par certificats médicaux et le risque sanitaire propre à l’exposition à l’amiante. Elle décide que « leur préjudice sera justement réparé par l’allocation d’une somme globale de 4.000 euros », appréciation sobre et proportionnée au regard des pièces. Cette voie indemnitaire, autonome de l’exception d’inexécution, s’attache à l’atteinte psychique, et non à l’usage économique des lieux.

Concernant les réparations locatives, la Cour confronte les états des lieux d’entrée et de sortie, écarte le poste de remise en état du jardin, mais retient le nettoyage intégral, la remise en état des peintures et mobiliers abîmés, ainsi que la serrure du portail. Sur le nettoyage et lessivage, elle motive sans détour: « La demande en paiement des indemnités de nettoyage et lessivage de la maison est par conséquence justifiée. » Cette méthode, fidèle aux textes, rétablit la charge normale des dégradations imputables aux preneurs, sans excéder le différentiel objectivé par les constats contradictoires.

L’arrêt de Bordeaux propose ainsi une grille claire. La preuve technique construit l’indécence et déclenche l’exception d’inexécution pour le bail d’habitation, sans contaminer le bail verbal séparé. Le non-cumul avec un trouble de jouissance évite la double réparation, tout en réservant l’indemnisation d’un préjudice moral spécifique. L’astreinte de décontamination favorise l’effectivité, et la garantie partielle de l’entrepreneur reflète une causalité partagée, adossée à l’expertise et à la logique des postes indemnitaires.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture