Cour d’appel de Basse-Terre, le 26 juin 2025, n°24/00159

La promesse synallagmatique de vente constitue un instrument contractuel dont la rigueur impose aux parties une exécution scrupuleuse de leurs engagements respectifs. La cour d’appel de Basse-Terre, par un arrêt du 26 juin 2025, apporte une illustration significative des conséquences attachées au non-respect des stipulations conventionnelles, tout en rappelant le pouvoir modérateur du juge en matière de clause pénale.

En l’espèce, une société civile immobilière avait consenti, par acte notarié du 12 mars 2021, une promesse synallagmatique de vente portant sur un ensemble immobilier situé à Saint-Martin, au prix de 770 000 euros. Cette promesse, valable jusqu’au 28 juin 2021, comportait plusieurs conditions suspensives, notamment l’obtention par le bénéficiaire d’un prêt bancaire d’un montant total de 1 273 697 euros. Une faculté de substitution était stipulée au profit du bénéficiaire, devant être exercée avant le 30 avril 2021. Un dépôt de garantie de 38 500 euros avait été versé entre les mains du notaire.

Le bénéficiaire a entendu exercer cette faculté de substitution au profit d’une autre société civile immobilière. Des demandes de prêt ont été présentées au nom de cette société substituée, lesquelles ont essuyé un refus. Le promettant, estimant que les obligations contractuelles n’avaient pas été respectées, a saisi le tribunal judiciaire de Basse-Terre aux fins de voir constater la caducité de la promesse et d’obtenir la libération du séquestre à son profit.

Le tribunal de proximité de Saint-Martin-Saint-Barthélemy, par jugement réputé contradictoire du 6 novembre 2023, a constaté la caducité de la promesse de vente et dit que l’intégralité du dépôt de garantie était acquise au promettant. Le bénéficiaire initial et la société substituée ont interjeté appel de cette décision.

La question soumise à la cour d’appel portait sur la régularité de l’exercice de la faculté de substitution et, subsidiairement, sur le caractère manifestement excessif de la clause pénale stipulée dans la promesse.

La cour d’appel de Basse-Terre confirme la caducité de la promesse de vente mais infirme partiellement le jugement en réduisant le montant de la clause pénale de 38 500 euros à 8 000 euros.

La présente décision appelle une analyse portant tant sur les exigences formelles de la faculté de substitution (I) que sur le contrôle juridictionnel de la clause pénale (II).

I. La rigueur formelle de la faculté de substitution

La cour procède à une appréciation stricte des conditions d’exercice de la faculté de substitution (A), dont la méconnaissance emporte des conséquences déterminantes sur la condition suspensive de prêt (B).

A. L’exigence d’information du promettant

La faculté de substitution constitue une prérogative contractuelle permettant au bénéficiaire d’une promesse de vente de désigner un tiers pour se substituer à lui dans l’exécution du contrat. Cette faculté, fréquemment stipulée dans les avant-contrats immobiliers, n’opère toutefois pas de plein droit et demeure soumise aux conditions définies par les parties.

La cour relève que la promesse de vente exigeait expressément que « le promettant [soit] informé » de l’exercice de cette faculté. Or, le bénéficiaire « produit au dossier certes un acte du 27 mars 2021 présentant la police de l’étude notariale instrumentaire, mais non le justificatif de ce que le promettant a été informé de cet acte ainsi que l’exige la clause contractuelle ». L’échange de courriels invoqué, dans lequel le bénéficiaire accusait réception d’un document sans autre précision, n’est pas jugé « probant à ce sujet ».

Cette position traduit une conception rigoureuse de la force obligatoire du contrat, fondée sur les articles 1103 et 1104 du code civil expressément visés par la cour. La stipulation d’une condition formelle d’information ne saurait être réputée satisfaite par de simples présomptions ou par des éléments équivoques. Le bénéficiaire supporte la charge de prouver qu’il a respecté l’ensemble des modalités conventionnellement prévues.

B. L’incidence sur la condition suspensive d’obtention de prêt

La défaillance dans l’exercice régulier de la faculté de substitution produit un effet en cascade sur la condition suspensive de financement. La cour observe que « sans qu’il soit établi que [le promettant] ait été valablement informée de l’exercice par [le bénéficiaire] de la réalisation de cette faculté de substitution au profit de [la société substituée], est-ce en violation des termes conventionnels applicables que ce dernier, alors toujours bénéficiaire de cette promesse à titre personnel, a également présenté, au nom de cette société, des demandes de crédits ».

La promesse stipulait en outre que le refus de financement devait être « expressément porté à la connaissance » du promettant. Or, le bénéficiaire se contentait d’alléguer avoir « informé le promettant par téléphone », preuve que la cour juge insuffisante. La correspondance du promettant adressée au notaire le 15 juin 2021, interrogeant ce dernier sur « le résultat de ces demandes de prêts », démontre au contraire son ignorance de la situation.

La cour en déduit logiquement que « la condition suspensive d’obtention d’un prêt n’est pas conforme à ladite promesse de vente signée par [le bénéficiaire] en son nom personnel ». Cette analyse illustre le principe selon lequel la condition suspensive défaille lorsque son accomplissement résulte d’une méconnaissance des stipulations contractuelles par le débiteur de l’obligation. La caducité de la promesse se trouve ainsi confirmée.

II. Le pouvoir modérateur du juge sur la clause pénale

La confirmation de la caducité n’épuise pas l’office du juge, lequel dispose d’un pouvoir de modération de la clause pénale (A), dont l’exercice en l’espèce conduit à une réduction substantielle (B).

A. Le fondement du pouvoir de révision

L’article 1231-5 du code civil confère au juge le pouvoir de modérer la pénalité contractuelle lorsqu’elle apparaît « manifestement excessive ». Ce pouvoir, d’ordre public, ne peut être écarté par les parties et s’exerce même d’office.

La cour rappelle que « la promesse de vente conclue le 12 mars 2021 et en application des dispositions de l’article 1231-5 du code civil dont visa dans les écritures des parties » prévoyait la possibilité de modérer la pénalité. Le bénéficiaire avait formé une demande subsidiaire tendant à « réduire de manière drastique le montant de ladite clause pénale ».

La clause pénale remplit une double fonction : elle constitue d’abord un mécanisme de réparation forfaitaire dispensant le créancier de prouver l’étendue de son préjudice ; elle représente ensuite un instrument de dissuasion destiné à inciter le débiteur à exécuter ses obligations. Le pouvoir modérateur du juge vise à prévenir les déséquilibres contractuels excessifs, conformément à l’exigence de bonne foi qui irrigue le droit des contrats.

B. L’appréciation concrète du caractère excessif

La cour procède à une évaluation in concreto du préjudice subi par le promettant. Elle relève que « vu l’ensemble des pièces du dossier, la durée d’immobilisation du bien – quatre mois -, contrairement à ce que soutient [le promettant], le montant contractuel prévu doit être considéré comme manifestement excessif ».

La réduction opérée est considérable puisque la pénalité passe de 38 500 euros à 8 000 euros, soit une diminution de près de 80 %. Cette proportion témoigne de l’écart significatif entre le montant stipulé et le préjudice réellement subi. La durée d’immobilisation de quatre mois apparaît comme le critère déterminant de cette appréciation.

Le promettant soutenait au contraire qu’il n’y avait pas lieu de réduire la clause pénale, celle-ci n’étant pas « manifestement excessive ». La cour écarte cet argument en considérant qu’« une pénalité de 8 000 euros en faveur du promettant [est] suffisante ». Le solde, soit 30 500 euros sous déduction des frais notariés, devait être restitué au bénéficiaire.

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui apprécie le caractère excessif de la clause pénale au regard du préjudice effectivement subi par le créancier. L’immobilisation temporaire d’un bien immobilier, sans démonstration d’un préjudice particulier lié à la perte d’une chance de vente ou à une dépréciation du bien, ne saurait justifier le maintien intégral d’une pénalité représentant 5 % du prix de vente.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture