Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 25 juin 2025, n°22/00289

L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 25 juin 2025 illustre les limites du pouvoir du syndicat des copropriétaires dans le contrôle des aménagements réalisés par les copropriétaires sur leurs parties privatives. Cette décision s’inscrit dans le contentieux récurrent opposant les intérêts individuels des copropriétaires à la préservation de l’harmonie collective de l’immeuble.

En l’espèce, des copropriétaires avaient installé sur leurs terrasses divers aménagements, parmi lesquels un thermomètre extérieur, des projecteurs à détecteur de mouvements, des appliques lumineuses, un miroir et un boîtier d’alarme. Ces équipements étaient fixés sur les dalles de marbre composant la façade de l’immeuble. Le syndicat des copropriétaires leur a adressé des mises en demeure restées infructueuses, puis a été autorisé par l’assemblée générale à engager une action en justice. Par acte du 20 décembre 2019, le syndicat a assigné les copropriétaires devant le tribunal judiciaire de Grasse aux fins de les voir condamnés, sous astreinte, à retirer l’ensemble des aménagements visibles depuis l’extérieur.

Par jugement du 28 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Grasse a débouté le syndicat des copropriétaires de l’intégralité de ses demandes. La juridiction a également dispensé les copropriétaires défendeurs de toute participation aux frais de la procédure sur le fondement de l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 et a condamné le syndicat au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Le syndicat des copropriétaires a interjeté appel de cette décision le 7 janvier 2022.

Devant la cour d’appel, le syndicat soutenait que les aménagements litigieux, réalisés sans autorisation de l’assemblée générale, portaient atteinte à l’aspect extérieur de l’immeuble et à sa destination compte tenu du standing de la résidence. Il invoquait les dispositions de l’article 25 b de la loi du 10 juillet 1965 exigeant une autorisation pour tous travaux affectant les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble. Les copropriétaires intimés répliquaient que les aménagements étaient situés dans des emprises privatives et ne nécessitaient aucune autorisation préalable.

La cour d’appel devait déterminer si de petits aménagements fixés sur la façade de l’immeuble, mais situés sur des terrasses à usage privatif, constituaient une atteinte à l’aspect extérieur ou à la destination de l’immeuble justifiant leur retrait.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé le jugement de première instance en toutes ses dispositions. Elle a retenu que le syndicat n’établissait pas en quoi les aménagements portaient atteinte à la destination de l’immeuble. Elle a jugé que ces « petits aménagements facilement retirables ne constituent pas une emprise sur une partie commune » et « ne sont pas de nature à porter une atteinte grave et pérenne à l’aspect extérieur de l’immeuble ». La cour a relevé que « faute de photographie de vue d’ensemble de la façade résultant des constats de commissaire de justice, il est difficile d’apprécier de cette atteinte alléguée ».

Cette décision invite à examiner les conditions d’application de l’autorisation préalable aux aménagements privatifs (I), avant d’analyser les conséquences procédurales attachées à l’échec de l’action du syndicat (II).

I. Les conditions restrictives de l’autorisation préalable aux aménagements privatifs

La cour d’appel rappelle le principe de libre jouissance des parties privatives (A), tout en précisant les critères d’appréciation de l’atteinte à l’aspect extérieur de l’immeuble (B).

A. Le rappel du principe de libre jouissance des parties privatives

La cour d’appel fonde son analyse sur l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 qui dispose que « chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble ». Ce texte consacre un principe fondamental du droit de la copropriété : la liberté d’usage des parties privatives.

Cette liberté trouve cependant une limite dans l’article 25 b de la même loi, qui soumet à l’autorisation de l’assemblée générale les travaux « affectant les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble ». L’articulation de ces deux textes constitue une source permanente de contentieux. Le copropriétaire entend exercer pleinement ses prérogatives sur les parties dont il a la jouissance exclusive. Le syndicat, gardien de l’intérêt collectif, veille à la préservation de l’harmonie architecturale.

En l’espèce, la cour relève que les aménagements litigieux se situent « sur les terrasses à usage privatif ». Cette qualification emporte des conséquences juridiques importantes. Le copropriétaire titulaire d’un droit de jouissance privatif sur une partie commune dispose d’une liberté d’aménagement plus étendue que sur les parties strictement communes. La jurisprudence admet traditionnellement que certains aménagements légers peuvent être réalisés sans autorisation préalable lorsqu’ils n’excèdent pas l’usage normal de la partie concernée.

La cour caractérise les installations en cause comme de « petits aménagements facilement retirables ». Cette qualification révèle l’application implicite du critère de réversibilité. Un aménagement aisément démontable ne porte pas la même atteinte à l’immeuble qu’une construction pérenne. La cour en déduit que ces aménagements « ne constituent pas une emprise sur une partie commune ». L’absence d’emprise signifie que le copropriétaire n’a pas outrepassé les limites de son droit de jouissance privatif.

B. L’exigence d’une atteinte grave et pérenne à l’aspect extérieur

La cour d’appel ne se contente pas de constater que les aménagements sont situés sur des parties privatives. Elle examine si ces installations portent atteinte à l’aspect extérieur de l’immeuble au sens de l’article 25 b de la loi du 10 juillet 1965. Cette disposition vise à préserver l’harmonie architecturale de l’immeuble, qui constitue un élément du patrimoine commun des copropriétaires.

Le syndicat des copropriétaires invoquait le standing de la résidence pour justifier sa demande. Il soutenait que les aménagements n’étaient « pas conformes à la destination de l’immeuble du fait du standing de ce dernier ». La cour écarte cet argument en relevant que « le syndicat des copropriétaires n’établit pas en quoi ces aménagements portent atteinte à la destination de l’immeuble comme n’étant pas à la hauteur du standing de ce dernier ». Cette motivation souligne l’exigence probatoire pesant sur le syndicat demandeur.

La cour introduit un critère déterminant en exigeant une « atteinte grave et pérenne à l’aspect extérieur de l’immeuble ». Cette formulation mérite attention. Elle suggère que toute atteinte à l’aspect extérieur ne justifie pas l’application de l’article 25 b. Seule une atteinte présentant un certain degré de gravité et de permanence impose l’autorisation préalable. Cette interprétation tend à préserver la liberté des copropriétaires pour les aménagements mineurs.

La cour relève également une carence probatoire du syndicat : « faute de photographie de vue d’ensemble de la façade résultant des constats de commissaire de justice, il est difficile d’apprécier de cette atteinte alléguée ». Cette observation rappelle que la charge de la preuve incombe au demandeur. Le syndicat qui prétend qu’un aménagement porte atteinte à l’aspect extérieur doit en rapporter la démonstration. Des constats parcellaires ne suffisent pas à établir l’impact visuel global des installations litigieuses.

II. Les conséquences de l’échec de l’action du syndicat sur la répartition des charges

L’échec de l’action engagée par le syndicat emporte des conséquences sur la répartition des frais de procédure (A) et sur l’appréciation du caractère abusif de cette action (B).

A. La dispense de participation aux frais de procédure

La cour d’appel confirme la dispense accordée aux copropriétaires défendeurs sur le fondement de l’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965. Ce texte permet au juge de « dispenser un copropriétaire opposant ou défaillant de toute participation à la dépense commune des frais de procédure ». Cette disposition protège le copropriétaire qui subit une action injustifiée contre l’obligation de contribuer aux frais engagés pour le poursuivre.

L’application de ce texte suppose que le copropriétaire ait la qualité de défendeur et que l’action engagée contre lui échoue. Ces conditions sont réunies en l’espèce. Les copropriétaires n’avaient pas sollicité l’engagement de la procédure. Ils se sont contentés de résister à une demande du syndicat qui a été intégralement rejetée. La dispense apparaît comme la conséquence logique de ce rejet.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante. Il serait inéquitable de contraindre un copropriétaire à financer, fût-ce partiellement, une action dirigée contre lui et qui s’avère mal fondée. L’article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 corrige cette injustice en permettant au juge d’isoler le copropriétaire concerné de la masse des charges communes afférentes au litige.

La dispense s’étend aux « frais de procédure » et à « toute dépense subséquente à cette instance ». Cette formulation large englobe non seulement les dépens stricto sensu mais également les honoraires d’avocat du syndicat et les frais de constat d’huissier. Le copropriétaire victorieux est ainsi totalement préservé des conséquences financières d’une action qu’il n’a pas provoquée.

B. Le rejet de la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Les copropriétaires défendeurs sollicitaient la condamnation du syndicat au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive. La cour d’appel rejette cette demande en énonçant que « l’exercice d’une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages et intérêts qu’en cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol, insuffisamment caractérisées en l’espèce ».

Cette motivation reprend une formule classique de la jurisprudence relative à l’abus du droit d’ester en justice. Le droit d’agir en justice constitue une liberté fondamentale. Son exercice ne peut engager la responsabilité de son titulaire que dans des circonstances exceptionnelles. La seule circonstance que l’action soit rejetée ne suffit pas à caractériser l’abus.

La cour exige la démonstration d’une intention de nuire, d’une mauvaise foi ou d’une erreur d’une gravité telle qu’elle s’apparente à une faute intentionnelle. En l’espèce, le syndicat des copropriétaires pouvait légitimement s’interroger sur la conformité des aménagements litigieux au règlement de copropriété et aux dispositions légales. Son action, bien que mal fondée, n’était pas dépourvue de tout fondement apparent.

Cette solution préserve l’équilibre entre la protection des justiciables contre les actions vexatoires et la garantie d’un libre accès à la justice. Le syndicat qui agit de bonne foi, même sans succès, ne doit pas être sanctionné par des dommages et intérêts. Seul l’usage manifestement dévoyé du droit d’agir justifie une telle condamnation. La cour fait une application mesurée de ces principes en distinguant l’action mal fondée de l’action abusive.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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