Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 11 septembre 2025, n°22/00216

Un ancien syndic de copropriété, dont le mandat avait été révoqué lors d’une assemblée générale, a saisi les juridictions afin de contester les condamnations prononcées à son encontre. Le présent arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, rendu le 11 septembre 2025, illustre les tensions fréquentes entre syndics et syndicats de copropriétaires lors des changements de gestion.

Les faits se présentent ainsi. Une société exerçant les fonctions de syndic d’un immeuble en copropriété avait sollicité la désignation d’un huissier de justice pour assister à l’assemblée générale du 19 juin 2017. Lors de cette réunion, son mandat n’a pas été reconduit et un nouveau syndic a été désigné avec effet immédiat. Par acte du 4 avril 2019, le syndicat des copropriétaires a assigné l’ancien syndic afin d’obtenir le remboursement de diverses sommes qu’il estimait avoir été prélevées indûment.

Le tribunal judiciaire de Nice, par jugement du 13 décembre 2021, a condamné l’ancien syndic à rembourser la somme de 9575,71 euros au titre de ses honoraires perçus jusqu’au 8 novembre 2017, la somme de 3024 euros au titre de vacations pour des réunions de conseil syndical non justifiées, ainsi que la somme de 3000 euros de dommages et intérêts. Le premier juge a rejeté la demande du syndicat tendant au remboursement des frais d’huissier et d’avocat. L’ancien syndic a relevé appel de cette décision le 6 janvier 2022. Le syndicat des copropriétaires a formé un appel incident.

La question posée à la cour d’appel était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si la révocation anticipée du syndic était fondée sur un motif légitime et si celui-ci pouvait prétendre au maintien de ses honoraires. Il s’agissait ensuite d’apprécier si le comportement adopté par le syndic lors de l’assemblée générale constituait une faute susceptible d’engager sa responsabilité.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence a infirmé partiellement le jugement. Elle a condamné l’ancien syndic au remboursement des frais d’huissier et d’avocat à hauteur de 2391,16 euros. Elle a confirmé la condamnation au titre des vacations non justifiées. Elle a rejeté la demande du syndicat tendant au remboursement des honoraires du syndic, estimant que la révocation anticipée n’était pas justifiée par un motif légitime. Elle a réduit les dommages et intérêts à 2000 euros.

La cour retient que « la révocation anticipée du mandat n’est pas justifiée par un motif légitime » et que le syndicat des copropriétaires « ne prétend d’ailleurs pas que des manquements auraient été commis justifiant une telle révocation puisqu’il indique même dans ses écritures que la société n’a pas été révoquée au motif d’une faute mais non renouvelée en ses fonctions de syndic ». Elle ajoute que « les conditions dans lesquelles la société a quitté l’assemblée générale, avant même d’avoir été démise de ses fonctions à effet immédiat, en emportant la liste et les feuilles d’émargement ainsi que le support informatique pour le comptage des votes sont fautives ».

Cette décision appelle un examen des conditions de la révocation du syndic de copropriété (I), puis une analyse du comportement fautif reproché lors de l’assemblée générale (II).

I. Les conditions de la révocation du syndic de copropriété

La cour d’appel examine successivement l’exigence d’un motif légitime de révocation (A), puis les conséquences attachées à l’absence d’un tel motif (B).

A. L’exigence d’un motif légitime de révocation

L’annexe 1.3 du décret du 26 mars 2015 définissant le contrat type de syndic de copropriété énonce que « cette révocation doit être fondée sur un motif légitime ». Cette disposition transpose en droit de la copropriété un principe général applicable à la révocation des mandataires.

La cour d’appel relève que le syndicat des copropriétaires ne démontre pas l’existence d’un motif légitime justifiant la révocation anticipée. Elle cite les propres écritures du syndicat qui reconnaît que « la société n’a pas été révoquée au motif d’une faute mais non renouvelée en ses fonctions de syndic ». Cette confusion entre non-renouvellement et révocation est significative. Le non-renouvellement intervient à l’échéance normale du mandat et n’exige aucune justification. La révocation anticipée, en revanche, met fin au contrat avant son terme et suppose un motif légitime.

L’exigence d’un motif légitime protège le syndic contre une révocation arbitraire. Cette protection trouve sa justification dans la nature même du contrat de syndic, contrat à durée déterminée créant des attentes légitimes pour les deux parties. Le syndic organise son activité en fonction de la durée prévisible de son mandat. Une révocation sans motif légitime porte atteinte à cette prévisibilité.

B. Les conséquences de l’absence de motif légitime

La cour d’appel tire les conséquences de l’absence de motif légitime en infirmant la condamnation au remboursement des honoraires. Elle juge que « la société peut prétendre à une indemnité, liée au caractère anticipé de sa révocation ».

Cette solution repose sur le principe selon lequel la révocation sans motif légitime n’éteint pas le droit à rémunération du mandataire. Le contrat prévoyait une échéance au 8 novembre 2017. La révocation est intervenue le 19 juin 2017, soit près de cinq mois avant le terme contractuel. L’ancien syndic pouvait donc légitimement prétendre au maintien de sa rémunération pour cette période.

La cour ne précise pas le montant de l’indemnité due. Elle se borne à rejeter la demande de remboursement des honoraires déjà perçus. Cette solution laisse subsister une incertitude. L’ancien syndic n’avait pas formé de demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour révocation abusive. La cour ne pouvait donc statuer au-delà des demandes des parties. Le principe demeure cependant posé : la révocation sans motif légitime ouvre droit à indemnisation.

II. Le comportement fautif lors de l’assemblée générale

La cour examine les fautes commises par le syndic lors de l’assemblée générale, tant au regard des frais engagés sans autorisation (A) qu’au regard du départ précipité de la réunion (B).

A. L’engagement de frais sans autorisation de l’assemblée générale

L’article 55 du décret du 17 mars 1967 dispense le syndic de solliciter l’autorisation de l’assemblée générale pour certaines actions, notamment les mesures conservatoires. Le syndic soutenait que la désignation d’un huissier pour assister à l’assemblée générale constituait une telle mesure conservatoire.

La cour rejette cette qualification. Elle retient que « la désignation d’un huissier aux fins d’éviter toute tension au sein d’une assemblée générale ne s’analyse pas comme une mesure conservatoire, qui consiste en une mesure tendant à permettre de sauvegarder les droits du syndicat des copropriétaires ».

Cette analyse est juridiquement fondée. La mesure conservatoire vise à préserver un droit menacé de disparition ou d’altération. La présence d’un huissier pour prévenir des tensions ne répond pas à cette définition. Elle relève d’une mesure de précaution, distincte de la mesure conservatoire au sens juridique du terme. Le syndic ne pouvait donc engager ces frais sans autorisation préalable de l’assemblée générale.

La cour ajoute qu’« il ne peut être justifié la présence de l’huissier de justice a posteriori ». Cette formule exclut toute ratification implicite. Le fait que l’assemblée générale se soit effectivement déroulée dans un climat de tension ne valide pas rétroactivement l’initiative du syndic.

B. Le départ précipité et l’emport des documents de séance

La cour qualifie de fautif le comportement du syndic qui a quitté l’assemblée générale en emportant les documents et outils nécessaires à la poursuite de la réunion. Elle relève que ce départ est intervenu « avant même d’avoir été démise de ses fonctions à effet immédiat ».

L’article 15 du décret du 17 mars 1967 prévoit que le syndic assure le secrétariat de la séance, sauf décision contraire de l’assemblée générale. La cour souligne que « la présence d’un secrétaire aux assemblées est une formalité substantielle car elle permet, dans l’intérêt des copropriétaires, de connaître précisément le déroulement de l’assemblée ».

Le syndic n’avait pas été élu secrétaire de séance. Mais cette circonstance ne l’autorisait pas à quitter les lieux en emportant les feuilles d’émargement, les documents administratifs et l’ordinateur contenant le logiciel de comptage des votes. Le procès-verbal d’huissier atteste que ce départ a créé des difficultés pour la poursuite de l’assemblée, l’huissier exprimant ses « plus expresses réserves ».

La cour réduit néanmoins les dommages et intérêts de 3000 à 2000 euros. Elle observe que « l’assemblée générale s’est néanmoins poursuivie, sans que d’autres difficultés n’aient été mentionnées sur le procès-verbal ». Le préjudice effectivement subi par le syndicat des copropriétaires était donc limité. Cette appréciation mesurée du préjudice témoigne du souci de la cour de proportionner la réparation au dommage réellement causé.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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